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Abbaye du Thoronet

La première impression, c’est la douceur de la pierre blonde. Une fois la voiture garée de l’autre côté de la route, à l’ombre, on traverse et sous les chênes verts, on emprunte une large allée aux pierres irrégulières qui mène au portail, sous l’arrondi d’une échauguette, à l’entrée du site. Pour nous accueillir, deux personnes derrière le comptoir, et puis la présence mouchetée, mordorée, ronronnante d’un chat familier. Il répond au bonjour en frottant sa petite tête dure contre un des sacs à dos déposés là sur le sol, qu’il pétrit avec euphorie. 

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Bien sûr, nous ne sommes pas venus visiter un chat mais découvrir, à la saison des yuccas en fleurs, encouragés par une amie chère désormais incapable de voyager, l’abbaye du Thoronet. Ses vieilles pierres vivent de la lumière du Midi. Fermes sous nos pieds, elles vibrent dans le regard qui longe les murs, s’élève, s’abaisse, anticipe – arbres et pierres, ciel et eau forment ici des lignes de force. Des marches s’allongent vers le clocher, mais le parcours commence sur le côté gauche, où une conférencière des monuments nationaux est déjà lancée dans une introduction passionnée à la plus ancienne des abbayes cisterciennes de Provence. 

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Des moines qui se sont installés ici au XIIe siècle, il ne reste rien d’autre que ces bâtiments, leur contenu caché dans un château voisin ayant brûlé dans un incendie. Une maquette dans le cellier permet de comprendre le choix du site monastique : entre une source et le coude d’une rivière – l’eau est rare –, un terrain en pente qui complique les constructions, bien à l’écart du monde temporel et au contact de la nature, création divine. L’axe de l’église distribue les bâtiments : vers l’est, où naît la lumière, le spirituel – le chœur, la bibliothèque, la salle capitulaire, le dortoir des moines ; vers l’ouest, les tâches matérielles – le réfectoire, le cellier, le bâtiment des frères convers (ceux-ci, chargés des travaux manuels, "n’avaient pas voix au chapitre"). Les reliant, le cloître, cœur du monastère. 

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Contrairement aux moines de Cluny, assez riches pour se consacrer uniquement à la prière et à la liturgie, qu’ils développent somptueusement, les moines du Thoronet travaillent aux champs, pressent les olives et le raisin. Ils sont revenus à la simplicité radicale de la règle de saint Benoît : quasi pas de décor sculpté, sauf dans la salle capitulaire ("pas besoin d’images, on sait lire", dit la conférencière, ce qui me laisse songeuse), des volumes qui laissent toute sa place au vide, propice à la prière et au recueillement. Isolement total : pas de pèlerins, pas de messe paroissiale, aucun contact extérieur. A l’inverse des Chartreux, les moines cisterciens n’ont pas droit à la solitude : ils travaillent et prient ensemble, mangent au réfectoire, en silence, partagent le dortoir. 

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Le cloître aux murs très épais, un quadrilatère irrégulier vu les contraintes du terrain, joue de l’ombre et de la lumière tout au long du jour, par ses arcades à trois ouvertures : deux arcs en plein cintre que sépare une colonne au chapiteau orné de quelques bourgeons et un simple oculus qui les surmonte. Le passage sous la voûte est large, dégagé de tout superflu. Le lavabo-fontaine qui le jouxte est un bassin circulaire au centre d’une pièce hexagonale – les gouttes qui y tombent renouvellent à chaque instant la perception du cercle à sa surface. 

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Mais c’est en pénétrant dans l’église qu’on perçoit pleinement, dans sa perfection irradiante, le sens des proportions chez ces grands bâtisseurs du Moyen Age. Non pas séparé mais souligné d’un simple rebord le long des murs et de la voûte, le chœur en cul-de-four est percé de trois petites fenêtres en plein cintre derrière l’autel de pierre et la croix de bois. Rien ne distrait dans ce lieu de prière chantée, psalmodiée ou silencieuse. 

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C’est la première église que je découvre dépourvue de portail central : elle n’était pas ouverte aux fidèles, elle l’est maintenant chaque dimanche. Monument en restauration depuis 1841 (c’est l’écrivain Prosper Mérimée, un des premiers inspecteurs des monuments historiques, qui sauve l’abbaye du Thoronet de la ruine en la signalant),
elle s’ouvre désormais chaque dimanche à midi pour une messe chantée par les sœurs de Bethléem, installées à proximité.
 

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De l’extérieur, j’admire encore l’appareillage des pierres, d’une finesse remarquable, avant de jeter un coup d’œil au grand bassin rectangulaire sur la place où dans l’eau verte, des grenouilles attendent l’œil ouvert, immobiles. Le site ferme à treize heures, alors près du chevet de l’église, je ramasse un caillou de cette belle couleur rose et blonde qu’ont les pierres du Thoronet, je le glisse en poche avant de retourner sur
mes pas. Le chat, petit génie du lieu, est tout aussi réceptif pour saluer notre sortie.
Ce matin, la sérénité était au rendez-vous.

Commentaires

  • Je suis émerveillée par ton billet. Je ne connais hélas pas ce lieu, j'espère le découvrir un jour. Je suis fascinée par ces bâtisseurs qu'étaient les moines et ce style dépouillé. Je te conseille vivement la lecture des "pierres sauvages" de Fernand Pouillon, relatant la construction du Thoronet (romancée), mais peut-être le connais-tu déjà.

  • Merci de nous avoir fait partager cette douceur provençale dans un cadre de spiritualité cistercienne … Je suis resté longtemps rêveur devant ces fenêtres ouvertes au temps suspendu dans le silence des monastères …
    Rêveur et nostalgique … !

  • Silence que seul interrompt la goutte d’eau qui « renouvelle à chaque instant la perception du cercle à sa surface » … Beau symbole de la paix monacale … : Une goutte d’eau qui se transmet … puis se meurt … mais s’ajoute aux autres gouttes d’eau de la fontaine … pour s’éloigner ensuite dans les ruisseaux, les fleuves et les mers …

  • Chère Aifelle, merci pour la référence au livre de Pouillon que je ne connais pas, il m'intéresse beaucoup.

    Cher Doulidelle, oui, c'est un endroit où le temps est véritablement suspendu. J'y ai ressenti une grande paix et apprécié le mouvement infime de ces gouttes d'éternité.

  • Ma connaissance de l´architecture religieuse est assez limitée, mais cette abbaye cistercienne du Thoronet, datant du XIIe siècle, est parmi celle qui m´a fait la plus forte impression. Cela remonte à presque dix ans, un dimanche matin ensoleillé de décembre peu avant midi, alors que les cloches sonnaient pour rassembler les fidèles. La sobriété des bâtiments, la sérénité du lieu et le ciel bleu sans nuages y sont évidemment pour quelque chose.
    Merci pour ce billet et ces photos qui ravivent mon souvenir.

  • Un vrai moment de bonheur la lecture de ce billet et les photos superbes, comme BOL je suis sensible à la réactivation de ma mémoire à l'émotion ressentie lors de ma première visite, ayant travaillé quelques temps à Aix en Provence je me suis gavée de visites à Fontfroie, Sénanque et au Thoronet
    Je ne peux que renchérir sur Aifelle : lis Fernand Pouillon, son livre est magnifique, apre et fort, dépouillé comme ces pierres fières et lumineuses
    magnifique billet

  • Qu'ajouter? Sobriété, sérénité, même les batraciens s'aiment dans cette ambiance. Tes photos sont lumineuses à souhait, merci!

  • Merci pour cette belle promenade à Thoronet.
    J'en ai profité pour relire Prosper et j'ai passé un très bon moment ;-)

  • C'est chaud et frais en même temps. Le coeur s'émerveille de la tranquille chaleur de cet automne sans fin et l'âme qui a besoin d'ombre et de fraîcheur pour voltiger autour de nos pensées. C'est très bien rendu et les grenouilles en sont toutes vibrantes de caresses.

  • @ Guess Who: ravie de votre impression, merci.

    @ BOL: ces souvenirs-là portent aussi leur lumière. Je vais explorer votre blog dès que j'en aurai le loisir.

    @ Dominique: la Provence n'a pas de secrets pour vous, dans ce cas. Merci pour les encouragements.

    @ Colo: je pensais bien que ces grenouilles de ... te plairaient ;-)

    @ Claire: lire et relire, quels bonheurs!

    @ Damien: le Thoronet est une île, à sa façon. Merci pour vos commentaires.

  • J'adore le baiser des grenouilles...
    Merci pour cette belle visite guidée, Tania.

  • Merci Tania, j'ai surtout aimé découvrir la vie de Mérimée (son site est très bien conçu) mais je me suis aussi longuement penchée sur vos jolies photos, il y fait "chaud et frais en même temps" comme dit Damien.

  • Très belle description. Ce qui m'a le plus impressionné dans cette Abbaye c'est la diffusion du son dans l'église. J'ai été bluffé, croyant que le guide avait enclenché un lecteur, quand je me suis aperçu de la réalité des sons qu'il était seul à psalmodier, il était presque trop tard pour en garder des miettes sur une piètre vidéo, mais qui donne une idée quand même.

  • @ Luc Vander Borght : Merci, Luc, de laisser ici votre impression personnelle. Quand je retournerai à l'Abbaye du Thoronet, je serai plus attentive à cette acoustique particulière.

  • Vraiment dommage que vous ayez utilisé le grand angle pour photographier l'abside, les verticales se resserrant trop de bas en haut ! Elle aurait été la plus belle photo que j'aie trouvée de cette abside, peu et mal photographier !

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