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Portrait de famille

Le Portrait de la baronne James de Rothschild peint par Ingres, Pierre Assouline
en a fait tout un roman, sobrement intitulé Le Portrait (2007). Il a choisi de faire raconter au tableau sa propre histoire, de la rue Laffitte à Paris jusqu’à l’Hôtel Lambert, rue Saint-Louis-en-l’île, en passant par d’autres villes et demeures dont le château de Ferrières. En réalité, l’auteur nous embarque dans la saga des Rothschild parisiens. Pour ce « portrait de famille », Assouline s’est beaucoup documenté ; quatre pages de bibliographie en témoignent à la fin du livre,
sous l’intitulé « Reconnaissance de dettes » !

Ingres, Portrait de la baronne James de Rothschild (wikimedia commons).jpg

« On reçoit, on célèbre, on transmet : si c’est là l’accomplissement d’une vie, il ne reste plus, ensuite, qu’à se laisser partir » dit le portrait au début. Quand la baronne s’éteint en 1886, à quatre-vingt-un ans, le pire lui est déjà advenu : son fils Salomon est mort à vingt-neuf ans, quand elle en avait cinquante-neuf. Pour elle, ni fleurs ni couronnes ni discours, selon les volontés de la défunte, mais on ne s’appelle pas Goriot ; le char mortuaire marqué du « R » des Rothschild est suivi de sept voitures aux lanternes allumées et de dix voitures de deuil. A la synagogue, le rabbin y va de son éloge de celle qui a rempli à merveille « le rôle de la femme juive dans l’histoire. Elle a été épouse et mère. Elle a aimé et protégé le beau, elle a
soutenu le pauvre… »

Témoin des visites de condoléances, la baronne assiste dans son cadre à la lecture du testament. Comme James de Rothschild, son oncle avant de devenir son époux, elle exige chez ses héritiers le maintien de la religion juive. Ceux qui s’écartent de la règle du mariage « entre Juifs » sont déshérités, les convertis au christianisme exclus. Puis viendra M. Auguste, l’expert, qui estime sa collection à plus de trois millions de francs. Le portrait part ensuite à la rue Saint-Florentin, chez son fils aîné.

C’est l’occasion de raconter l’acquisition de cet hôtel du XVIIIe siècle, d’évoquer l’affaire Dreyfus et la vague d’antisémitisme qui obligera les Rothschild à quitter le Jockey. Dans le salon de sa belle-fille, les commentaires vont bon train sur le portrait : « grâce souveraine, distinction naturelle, tact supérieur, tout est là. » C’est le rappel des visiteurs illustres : Ingres, Rossini, Littré, Delacroix, Balzac emprunteur qui s’est inspiré de Rothschild au « fort accent tudesque » pour le personnage du financier Nucingen. Et Chopin, qui a dédié à la baronne sa Valse en si mineur et qui lui donnait des cours particuliers, ainsi qu’à sa fille. Elle avait assisté à son premier concert et au dernier, seize ans après.

Installée à Paris en 1824, après son voyage de noces, la jeune baronne observe que « le nouveau monde parisien n’était au fond qu’une élite de l’argent qui se donnait pour élite de l’esprit ». Dans cette société où règne « un snobisme de
caste suraigu »
, « être bien né ne dispense pas d’être mal élevé. Ce qui les sauve alors ? Leur esprit probablement, alliage de sens de la repartie, d’élevage de bons mots en serre, d’indifférence au qu’en-dira-t-on et d’inébranlable confiance en son propre rang. » Entre les bals et les réceptions, Betty de Rothschild reçoit
aussi à l’heure du thé : de nombreuses femmes, des hommes parfois. Parmi ceux-ci, Heinrich Heine qui fait partie du premier cercle de leurs intimes, esprit brillant plein d’insolence, poète, et aussi complice dans le rire.

Le château de Ferrières, où James a placé partout ses armoiries dans un décor de « luxe, faste et théâtralité », est envahi et pillé lors de la guerre franco-allemande, avant la fameuse « Entrevue de Ferrières » de 1870. Mais l’auteur de Lutetia explore surtout la période de la seconde guerre mondiale. Ferrières est vidé par les Allemands, les autres propriétés aussi. Nous suivons les péripéties des collections Rothschild. L’astronome de Vermeer comme le Portrait sont emmenés au Jeu de Paume, avant de se retrouver en Allemagne dans une mine de sel. Les objets volés pour Hitler connaîtront finalement un sort plus enviable que ceux dispersés aux enchères et disparus sans laisser d’adresse.

Ce n’est qu’à la fin du roman que nous est racontée la naissance du Portrait, commandé à Ingres, attendu, achevé en 1848 : « Qu’attend-on d’un grand artiste
si ce n’est de saisir ce qu’un visage a d’immuable au-delà du flou des apparences ? »
Dans sa robe de soie rose et bleue, « la vedette du tableau »,  la baronne se plaira au « salon de l’amour » du 2, rue Saint-Louis-en-l’île, sur le mur de reliures en trompe-l’œil de la bibliothèque, jusqu’à la dispersion des biens entre les petits-enfants de Guy de R. « Nous ne serons jamais plus comme nous étions,
c’est ainsi. »

Dès les premières pages, l’auteur se justifie : « Le romancier n’a-t-il pas tous les droits et le roman n’est-il pas le lieu de l’absolue liberté de l’esprit ? » Il fait dire au portrait : « Vue de mon mur, la comédie humaine est d’une saveur inédite. » Assouline le journaliste et romancier veut faire battre le cœur d’une femme, sans doute, mais le souffle de la fiction est ici plus faible que l’histoire d’une lignée, dont Assouline le biographe relève les noms, les dates, les affaires, un patrimoine hors du commun – « Le vrai chef-d’œuvre, c’est de durer. »

Commentaires

  • « un snobisme de caste suraigu », « être bien né ne dispense pas d’être mal élevé. Ce qui les sauve alors ? Leur esprit probablement, alliage de sens de la repartie, d’élevage de bons mots en serre, d’indifférence au qu’en-dira-t-on et d’inébranlable confiance en son propre rang. » Je me demande si cela a beaucoup changé. En tout cas, la baronne Nadine de R. a ouvert une "école de maintien" à Carouge, près de Genève, il y a quelques années, probablement pour modeler les jeunes richetons et richetonnes de la Haute à ne pas confondre argent et bonne éducation. La baronne de R. loge parfois dans la propriété familiale, à Pregny, village où le roi Léopold III passa quelques années d'exil pendant la question Royale. Ce n'est pas une masure.

  • @Damien
    Ce qui a sans doute changé, c'est la bêtise de toute une génération et la morgue des parvenus qui ne connait à peu près plus de limites

  • L'idée de faire parler les portraits me plaît beaucoup. J'avais lu, il y a tout un temps de ça, un article fort intéressant dans le journal "El País" sur le portrait de Ginevra de Benci et j'en avais fait un résumé sur mon (ancien) blog, il s'intitulait "La voix des portraits".
    http://colomuseur.spaces.live.com/blog/cns!AB5A71B9860C118C!1130.entry

  • Je suis fascinée par la vedette du tableau, cette robe de soie est sublime ! merci aussi pour les nombreux liens passionnants, merci à colo pour le sien.

  • Je n'ai jamais rien lu d'Assouline, il faut que je me laisse tenter un jour, le thème ici m'attire mais Tania je ne te sens pas convaincue totalement

  • C'est que tout portrait cache une vie ( comme une photo ) et que toute vie est un roman.

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