« J’ai rebroussé chemin. Je n’entrerais plus au lycée. Je n’étais pas enseignante. J’étais pianiste. Je ne devais pas transmettre des règles arbitraires, je devais diffuser des évidences sonores. Il me fallait trouver un clavier, quel qu’il fût, dans une académie ou un salon, avant qu’il ne fût trop tard, que les démons qui avaient recueilli ma promesse ne revinssent me traquer, m’infliger les punitions prescrites, cette chaîne de punitions qui ne ferait que croître, vers les pires châtiments, si je n’en rompais pas le cours, si je ne récupérais pas dignement le retard sonore que j’avais accumulé depuis mes vingt-deux ans, âge où la promesse eût dû être accomplie, âge où j’eusse dû interpréter de deuxième concerto de Prokofiev, qui m’avait à présent quittée, mais que je retrouverais, parce qu’il avait été ma vie, parce qu’il devait être ma vie, parce que je ne pouvais, sur cette terre, n’adhérer qu’à lui. »
Marie Delos, L'immédiat
Commentaires
Cet extrait est suffisamment intrigant pour que j'aille voir de plus près ce roman.
On perçoit la solitude angoissée d’une âme en mal de musique qui décide d’échanger la transmission de « règles arbitraires » contre la production « d’évidences sonores » dans l’isolement intérieur. On comprend la souffrance de l’enseignante qui a fui la bruyance juvénile pour trouver le bonheur que lui apporte la « réponse musicale » de son clavier.