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Le ciel de Paris

Julien Green (1900-1998) n’a pas son pareil pour l'élégance des premières phrases. « J’ai bien des fois rêvé d’écrire sur Paris un livre qui fût comme une grande promenade sans but où l’on ne trouve rien de ce qu’on cherche, mais bien des choses qu’on ne cherchait pas. » C’est l’incipit de son Paris, publié en 1983.

 

« C’est le secret des grandes villes d’offrir des promenades dont le charme est souvent inexplicable, et l’on aura beau me dire que mon contentement est fait de ce que les maisons sont belles et les cours profondes, et vieilles les pierres, il y a autre chose à quoi les mots ne peuvent que faire allusion : une certaine légèreté de cœur que donne la vue d’un arbre auprès d’un toit, ou dans une rue ensoleillée, la subite fraîcheur d’une voûte obscure sous les croisées dédaigneuses d’un hôtel d’autrefois. » « Croisée », joli mot ancien qu’il reprend volontiers, et qui s’accorde au passé présent de sa ville natale.

 

Paris.jpg

 

« Nous étions de Passy ». Julien Green se souvient des regards qu’il portait, enfant, en remontant vers les hauteurs de son quartier, « les joues prises contre les barreaux des grilles » aux « jardins merveilleux, dont les lointains bleuâtres, comme dans un tableau, allaient rejoindre les rives de la Seine. » Il a vu Paris changer, c’est le propre de tout ce qui vit, mais « demeure stupéfait de ce qu’un quart de siècle a
pu faire pour priver de son charme cette partie de la ville. »
Ses souvenirs évoquent avec émerveillement « une exquise venelle du XVIIIe siècle », « des rangées de villas d’une élégance surannée et des jardins conservant comme un trésor leur silence et leurs chants d’oiseaux ».

 

Un plan de Paris fixé au mur l’aida souvent, écrit-il, « à passer des heures difficiles ». Mais c’est en marchant dans une ville qu’on la sent : « La ville, en effet, ne sourit qu’à ceux qui l’approchent et flânent dans ses rues. » Dans ses promenades, l’écrivain aimait se perdre. La ville alors se donnait. « A moins d’avoir perdu son temps dans une ville, personne ne saurait prétendre la bien connaître. » Il y a le Paris des escaliers, le Paris enchanté, et aussi « la ville sur la ville », le Paris des statues au fronton ou sur les toits des églises, des palais, des grands bâtiments du XIXe siècle. « Paris a de plus cette particularité de se montrer la nuit mieux qu’il ne le fait le jour. » Le ciel, la lumière, sont essentiels à cette magie. « Ce que sait faire le ciel de Paris avec un rien de brouillard et le degré d’obscurité nécessaire m’a toujours confondu de surprise. »

 

La ville des impressionnistes, comme il l’appelle, est reconnaissable entre toutes. « Il y a dans un paysage parisien quelque chose d’aussi parfaitement indéfinissable que l’expression d’un visage humain. » « Ciel d’avril de Pissarro » ou « crépuscule rose de Lebourg », toile de Manet, Degas ou Monet, il est reconnaissant aux peintres de nous rendre « un Paris heureux, la ville de la lumière ». Parfois l’écrivain s’indigne. C’est « la seule ville où l’on traite ainsi nos frères les arbres ». Il s’émeut du sort de certains marronniers familiers ou du plus vieil arbre de Paris, le robinier de plusieurs siècles près de Saint-Julien-le-Pauvre, église qui « a gardé sa grâce robuste et sa mystérieuse jeunesse » malgré les transformations successives.

 

Quand il se promenait des grilles du Luxembourg au pont des Saints-Pères, Julien Green pensait de Paris ce que le vieux Samuel Johnson disait de Londres, « à savoir que lorsqu’on est las de ses rues, on est las de la vie ». Il appelle de ses vœux un architecte visionnaire « poète de l’espace » qui « nous donnera enfin la cité du futur, une belle ville capable de séduire ceux qui viendront, comme nous avons été ensorcelés par le Paris façonné peu à peu par les siècles. »

 

Commentaires

  • Bravo pour votre blog que je viens de découvrir et au plaisir de vous retrouver sur http://journalpetitbelge.blogspot.com

  • Intriguée par l'intérêt de Julien Green pour le plus vieil arbre de Paris je me demandais l'allure qu'il avait. Le site: http://krapoarboricole.unblog.fr/2008/07/06/robinier-plante-en-1602-
    square-saint-julien-le-pauvre-paris-5eme/:
    me donne la réponse mais me pose une autre question: soins palliatifs ou acharnement thérapeutique?

  • En effet ! Merci pour le lien, les photos sont belles.
    Revoici le lien, en espérant qu'il passe mieux:

    http://krapoarboricole.unblog.fr/2008/07/06/robinier-plante-en-1602-square-saint-julien-le-pauvre-paris-5eme/

  • La lecture de ton billet m'a fait penser à la chanson de Francis Lemarque(chantée par Yves Montand) intitulée simplement: À Paris. Comme j'ai pris grand plaisir à en relire les paroles, et même si c'est un peu long, les voici:

    A Paris
    Quand un amour fleurit
    Ça fait pendant des semaines
    Deux cœurs qui se sourient
    Tout ça parce qu'ils s'aiment
    A Paris

    Au printemps
    Sur les toits les girouettes
    Tournent et font les coquettes
    Avec le premier vent
    Qui passe indifférent
    Nonchalant

    Car le vent
    Quand il vient à Paris
    N'a plus qu'un seul souci
    C'est d'aller musarder
    Dans tous les beaux quartiers
    De Paris

    Le soleil
    Qui est son vieux copain
    Est aussi de la fête
    Et comme deux collégiens
    Ils s'en vont en goguette
    Dans Paris

    Et la main dans la main
    Ils vont sans se frapper
    Regardant en chemin
    Si Paris a changé

    Y a toujours
    Des taxis en maraude
    Qui vous chargent en fraude
    Avant le stationnement
    Où y a encore l'agent
    Des taxis

    Au café
    On voit n'importe qui
    Qui boit n'importe quoi
    Qui parle avec ses mains
    Qu'est là depuis le matin
    Au café

    Y a la Seine
    A n'importe quelle heure
    Elle a ses visiteurs
    Qui la regardent dans les yeux
    Ce sont ses amoureux
    A la Seine

    Et y a ceux
    Ceux qui ont fait leur nid
    Près du lit de la Seine
    Et qui se lavent à midi
    Tous les jours de la semaine
    Dans la Seine

    Et les autres
    Ceux qui en ont assez
    Parce qu'ils en ont vu de trop
    Et qui veulent oublier
    Alors y se jettent à l'eau
    Mais la Seine

    Elle préfère
    Voir les jolis bateaux
    Se promener sur elle
    Et au fil de son eau
    Jouer aux caravelles
    Sur la Seine

    Les ennuis
    Y en n'a pas qu'à Paris
    Y en n'a dans le monde entier
    Oui mais dans le monde entier
    Y a pas partout Paris
    V'là l'ennui

    A Paris
    Au quatorze juillet
    A la lueur des lampions
    On danse sans arrêt
    Au son de l'accordéon
    Dans les rues

    Depuis qu'à Paris
    On a pris la Bastille
    Dans tous les faubourgs
    Et à chaque carrefour
    Il y a des gars
    Et il y a des filles
    Qui sur les pavés
    Sans arrêt nuit et jour
    Font des tours et des tours
    A Paris

  • Merci Colo, et aussi pour le lien sur youtube:
    "A Paris" par Yves Montand
    http://www.youtube.com/watch?v=-6Zh8ypPPTY

  • Merci à Colo de nous rappeler cette si belle chanson écrite par Francis Lemarque avec des mots qui prenaient une coloration chaude et nostalgique quand ils étaient portés par la voix d’Yves Montand.

    J’aimerais apporter à ce concert d’amour pour la ville des « poètes » ma modeste contribution écrite la première fois (il y a longtemps) quand je m’enthousiasmais de ce je découvrais dans ce « joyau » de notre culture.


    Paris, ô grand Paris,
    Tes muses t’ont décrit
    Beau joyau des orfèvres,
    Fragile oiseau de nuit,
    Ton sang brûlant de fièvre,
    En flots s’écoule et fuit
    Le long des avenues
    Qu’ont tant porté aux nues
    Ecrivains et poètes,
    Chantant ton peuple en fête.

    Hurle la carmagnole
    En abattant ton roi,
    Affole les nuits folles
    De ton peuple en émoi.

    Agite tes bouffons
    Au son de leurs grelots,
    Etale tes chiffons,
    Lâche tes camelots.

    Paris, mage des mots,
    Et reine des lumières,
    Au parvis des prières,
    Refuge des poulbots.

    Paris, belle de France,
    Paris, au cœur immense,
    Havre des grands amours :
    Ceux qui rêvent toujours.

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