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marthe robert

  • Déjeuner de soleil

    Lire avec Marthe Robert / 8          

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    « Déjeuner de soleil » par exemple ne laissait pas de m’intriguer, parce que ma mère en parlait avec prédilection, à propos d’objets et de situations dont le lien n’était pas toujours apparent. Comme elle avait un parler bien à elle dont j’ignorais le plus souvent l’origine, je rangeai d’abord « déjeuner de soleil » parmi ses créations personnelles ; et naturellement j’en comprenais la signification, mais l’expression ne me paraissait pas très bien venue, je trouvais le « de » incorrect, car qui aurait pu se nourrir de soleil, ou si l’on prenait la chose à l’envers, de quoi le soleil aurait-il pu se sustenter ? Je me trompais sur tous les points, « déjeuner de soleil » existe bel et bien et le génitif y est parfaitement justifié, seulement on ne l’utilisait pas en toutes les occasions que ma mère jugeait appropriées, il ne s’appliquait qu’aux tissus de mauvais teint dont la couleur passait à la lumière et dont le soleil ne faisait effectivement qu’une bouchée.

    Marthe Robert, Le Puits de Babel, Grasset & Fasquelle, 1987 / Biblio essais, 1988.

  • Mots perdus

    Lire avec Marthe Robert  / 7     

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    Deuil et mélancolie des mots perdus. – Qu’est-ce qui les a chassés du discours quotidien, où ils marquaient pourtant le besoin de la nuance, de la différence, et, au physique comme au moral, l’inépuisable variété des phénomènes humains ? Où sont partis le débonnaire, l’affable, le bonhomme ou le bonasse, l’atrabilaire ou le chafouin ? Où, le chenapan, le papelard, le doucereux ? Le salace, le graveleux, le salé ont complètement succombé au porno ; l’acrimonieux et le sarcastique s’abolissent dans l’agressif ; le piquant cède la place à l’intéressant, tandis que la charmeuse ou la sorcière, la sainte-nitouche ou la virago, et combien d’autres mots si propres à diversifier choses et gens, tombent dans le néant créé en hâte par notre rage de nivellement (comme si de tout fourrer dans la grisaille de l’uniforme avançait le règne de l’égalité). (…)

    Marthe Robert, La vérité littéraire, Grasset & Fasquelle, 1981 / Biblio essais, 1983.

  • Pas d'emploi

    Lire avec Marthe Robert / 6      

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    « Un homme qui ne trouve pas d’emploi est une figure infiniment plus tragique que n’importe quel Hamlet ou Œdipe. » On chercherait en vain cette phrase dans le discours politique d’un contemporain, lequel, d’où qu’il vienne, est tellement figé par les stéréotypes qu’il ne laisse plus rien passer de vrai. D’après Alice James, la sœur de William et d’Henry, qui la cite dans son Journal, la phrase a été prononcée par un certain John Morley qui, en 1866, avait été premier secrétaire pour l’Irlande au gouvernement britannique. Je ne sais si ce Morley a accompli d’autre part une œuvre mémorable, mais il a bien mérité de passer à la postérité, ne serait-ce que pour sa compréhension profonde du seul drame humain qui, quoique aussi vieux que la civilisation, n’a jamais eu accès aux hauteurs de la tragédie. 

    Marthe Robert, Le Puits de Babel, Grasset & Fasquelle, 1987 / Biblio essais, 1988.

  • Ambiguïté du « néo »

    Lire avec Marthe Robert / 5      

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    Du seul fait qu’il se réclame de quelque chose, qui l’a précédé, pour le renouveler sans doute, mais aussi en soulignant sa volonté de renouer avec une certaine portion du passé, le néo se trouve du même côté que le rétro, à ceci près toutefois qu’il utilise l’anachronisme pour faire neuf, tandis que le rétro cherche à se donner des airs d’ancien, sans vouloir réellement tromper.

    Marthe Robert, La vérité littéraire, Grasset & Fasquelle, 1981 / Biblio essais, 1984.

  • Fenêtre ouverte

    Lire avec Marthe Robert / 4      

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    Ce qui importe d’abord dans la vie, selon un rabbin du Talmud : transformer son miroir en une fenêtre ouverte sur la rue. C’est aussi la loi de toute littérature vraie, la fausse étant celle où l’auteur se contente de se contempler, en prétendant de surcroît que le lecteur y trouvera autant de joie qu’il en a pris lui-même à sa propre image.

    Marthe Robert, La tyrannie de l’imprimé, Grasset & Fasquelle, 1984 / Biblio essais, 1986.