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le boulevard périphérique

  • Shadow est là

    Lire & relire Bauchau / 3 

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    Metamorphosis © Ch Wery 2011

    Je vous invite à découvrir Christian Wéry Creative.

    « Je suis dans la chambre qui me paraît plus blanche et plus noire qu’il y a trois jours. Derrière la chaise longue de Shadow, il y a dans l’axe de la fenêtre le soleil qui m’aveugle. Pourtant Shadow est là. Je le devine à travers cette lumière qui, après l’escalier et le sombre couloir, m’éblouit. Je sens sa pesanteur, une densité, qui me trouble plus encore que l’éclat du soleil. La pesanteur de celui qui questionne, qui torture, qui peut torturer encore. Stéphane, lui, n’éblouissait pas, il montrait, il montrait comment jouer au jeu de la roche et de l’alpe avec lui. En sortant de l’éblouissement, je vois Shadow couché cette fois sur une chaise longue métallique, le visage plus vivant qu’il y a trois jours. Les yeux ouverts, très grands, très pâles. C’est son regard peut-être qui m’a ébloui. A moins que ce ne soit la grosse lampe à portée de sa main qu’il a peut-être braquée sur moi. Ils me font face, lui et la femme, Marguerite. Il me regarde et j’ai l’impression d’être vu comme je suis, il me perce à jour, me dénude, sait des choses innombrables sur moi, les classe, les emmagasine. Cela va loin, très loin. Je suis blessé, vidé par cette façon qu’il a de pénétrer en moi. Il peut, s’il le veut, tout savoir de moi, mais il ne veut pas me forcer comme un coffre-fort. Il sait que mon coffre est presque vide. Il hausse imperceptiblement les épaules. Ressent un élancement sans doute à ses blessures, fait une petite grimace de douleur, de sa joue droite. Il ne veut pas en savoir plus, il cesse de me questionner du regard et tout mon corps, qui commençait à souffrir, retombe d’un bloc dans l’absence. »

    Henry Bauchau, Le boulevard périphérique (Actes Sud, 2008)

  • Le mouvement de la vie

    Le Boulevard périphérique d’Henry Bauchau (Actes sud, 2008) commence dans le métro. Le narrateur pense à Paule, sa belle-fille qu’il va visiter à l’hôpital où on la soigne pour un cancer. En même temps surgit le souvenir de son ami Stéphane, assassiné en 1944, et donc éternellement dans la force de ses vingt-sept ans.

    Jour après jour, nous suivons ces allées et venues, et aussi ce va-et-vient entre présent et passé. La malade est immobilisée, autour d’elle on se déplace. On vient à son chevet, on la quitte. Elle-même, pour continuer à vivre, dans le lit où elle est clouée, se prépare à un voyage en Suisse où elle compte s’installer quand elle sera guérie. Son mari, pris par son travail, se faufile dans les embouteillages et prend la direction de l’hôpital quand il le peut. Mais il y a aussi Win, le petit garçon, dont il doit assurer les trajets entre l’école, la maison, la chambre de sa mère.

    Difficultés de circulation, problèmes de voiture, aléas des transports en commun, escaliers à descendre, ascenseurs à emprunter, peur d’être en retard : 5b4fed4e49acd8ffb84e8a36b3819491.jpgle narrateur, malgré la fatigue, est fidèle aux rendez-vous avec Paule, qui tient tant à leurs conversations. L’a-t-il décidé ? Y est-il forcé ? Non, c’est un courant qui l’emporte, sans qu’il s’y oppose. Stéphane, l’ami qui l’a initié à l’alpinisme, se jouait de l’immobilité. C’était le maître du geste juste. Avec lui, l’élan du corps ouvrait sur une joie de vivre pleine et partagée. La guerre les a séparés. Quand il a appris la mort de Stéphane, dans des circonstances non éclaircies, il n’a eu de cesse d’en savoir plus, est reparti sur ses traces, sans se douter alors que c’est encore en mouvement, face à l’inéluctable, que ce premier de cordée avait lancé son dernier défi.

    Avec une superbe simplicité de ton, Bauchau  dit ce qui se meut entre les hommes, entre les femmes, entre les hommes et les femmes. Dans le mouvement de la vie.  « Ainsi nous vivons entourés, protégés par l’attention de quelques êtres qui nous sont peu à peu arrachés. »