Lire & relire Bauchau / 3
Je vous invite à découvrir Christian Wéry Creative.
« Je suis dans la chambre qui me paraît plus blanche et plus noire qu’il y a trois jours. Derrière la chaise longue de Shadow, il y a dans l’axe de la fenêtre le soleil qui m’aveugle. Pourtant Shadow est là. Je le devine à travers cette lumière qui, après l’escalier et le sombre couloir, m’éblouit. Je sens sa pesanteur, une densité, qui me trouble plus encore que l’éclat du soleil. La pesanteur de celui qui questionne, qui torture, qui peut torturer encore. Stéphane, lui, n’éblouissait pas, il montrait, il montrait comment jouer au jeu de la roche et de l’alpe avec lui. En sortant de l’éblouissement, je vois Shadow couché cette fois sur une chaise longue métallique, le visage plus vivant qu’il y a trois jours. Les yeux ouverts, très grands, très pâles. C’est son regard peut-être qui m’a ébloui. A moins que ce ne soit la grosse lampe à portée de sa main qu’il a peut-être braquée sur moi. Ils me font face, lui et la femme, Marguerite. Il me regarde et j’ai l’impression d’être vu comme je suis, il me perce à jour, me dénude, sait des choses innombrables sur moi, les classe, les emmagasine. Cela va loin, très loin. Je suis blessé, vidé par cette façon qu’il a de pénétrer en moi. Il peut, s’il le veut, tout savoir de moi, mais il ne veut pas me forcer comme un coffre-fort. Il sait que mon coffre est presque vide. Il hausse imperceptiblement les épaules. Ressent un élancement sans doute à ses blessures, fait une petite grimace de douleur, de sa joue droite. Il ne veut pas en savoir plus, il cesse de me questionner du regard et tout mon corps, qui commençait à souffrir, retombe d’un bloc dans l’absence. »
Henry Bauchau, Le boulevard périphérique (Actes Sud, 2008)
Commentaires
Très beau passage sur ce "coffre" que chacun de nous possède comme un bien propre mais que depuis la nuit des temps, d'autres n'hésitent pas à dépouiller allègrement comme si c'était le leur.
Le plus souvent, chacun connaît les pièces principales de son coffre. Ce sont des bijoux fantasques et poussiéreux que nous sommes seuls à voir. Je suis convaincu qu'il doit être bon de les sortir de leur abri et de les porter, un temps, si on le veut bien. On leur fait prendre l'air en toute discrétion. Malheureusement, on ne s'en débarasse jamais vraiment.
Cependant, il s'avère que quand on y est forcé et qu'on vous en affuble ouvertement et sans but, se déploie alors une inquiétante connexion au monde, à l'opposée de la métamorphose.
Encore un bel extrait. Etre mis à nu - vivre comme un cristal. Il va manquer, Bauchau.
@ Shadow : Beau prolongement sur la part d'ombre et l'inquiétude existentielle, merci pour ce commentaire.
@ Bonheur du jour : Beaucoup de tension dans ce texte, oui. "Le boulevard périphérique" est un roman douloureux, mais la lumière n'y manque pas.