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intéressant

  • L'intéressant

    Lire avec Marthe Robert / 1     

    La catégorie de « l’intéressant ». – Elle tend de plus en plus à évincer toutes les autres dans le lexique de la critique quotidienne, d’abord sans doute à cause de sa commodité, mais aussi parce qu’elle rend d’énormes services à la masse de produits du jour qui n’appellent pas de qualificatifs plus précis. Personne n’aurait l’idée de dire « intéressante » une œuvre classique ou simplement classée, le mot, c’est évident, est strictement réservé à ce qui n’a pas et n’aura peut-être jamais de place dans l’ordre de la durée.

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    Lié à l’apparition de quelque chose dont nul ne sait combien de temps il mettra à passer, l’intéressant laisse en blanc toutes les qualités que l’objet actuel possède au mieux virtuellement, en revanche il souligne à gros traits la seule valeur qu’il puisse avoir à la rigueur, en tant que ce qui se fait aujourd’hui parmi nous, pour nous, à l’image même de nos incertitudes et de notre précarité. L’intéressant expulse du vocabulaire le beau, le vrai, le juste ou le faux, le manqué ou le réussi, pour ne parler que de l’ici et du maintenant où le contemporain trouve une preuve de sa propre existence, et comme une justification, voire une exaltation de son propre flottement dans un présent mal cerné. Il dit en somme qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter, qu’aujourd’hui vaut bien hier, qu’il vaut même plus puisque rien n’en sort qui ne soit formé de notre substance, tramé avec les fils de notre singularité. Mais s’il console le présent en lui montrant l’attrait et l’abondance de ses produits – l’intéressant est aussi nombreux que le vrai est rare –, il a surtout pour but de faire obstacle au jugement, car il n’y a pas de jugement de l’instant en matière de création, afin de pouvoir remplacer les attendus de la rigueur critique par la complaisance vague de l’opinion. »

    Marthe Robert, Livre de lectures, Grasset & Fasquelle, 1997 / Biblio essais, 1983.