Aurais-je lu Les Testaments jusqu’au bout si je n’avais pas admiré comment Margaret Atwood, dans La Servante écarlate, campe un monde où, sous le prétexte de faire régner l’ordre et la sécurité « sous son Œil » – l’œil de Dieu, en réalité celui des hommes de pouvoir – les femmes sont enfermées dans des rôles aliénants ? Trente-deux ans après ce terrible conte devenu série télévisée à succès, la romancière canadienne lui a donné une suite, Les Testaments (traduit de l’anglais (Canada) par une autre traductrice, Michèle Albaret-Maatsch, qui a modifié quelques termes par rapport au premier récit).
La troisième épigraphe est tirée d’une saga dans le genre « fantasy » : « La liberté est une lourde charge, un immense et étrange fardeau à assumer pour l’esprit… Ce n’est pas un cadeau que l’on reçoit mais un choix, et le choix est parfois difficile. » (Ursula K. Le Guin, Les tombeaux d’Atuan) Les trois testaments donnés à lire ici sont « Le testament olographe d’Ardua Hall » et la « Transcription des déclarations » de deux témoins, 369A et 369B, en alternance.
Chacun des testaments est rédigé à la première personne, le premier par Tante Lydia, une des fondatrices d’Ardua Hall, une ancienne bibliothèque où seules vivent les « Tantes », des femmes qui ont renoncé à la maternité et à toute vie familiale pour se donner entièrement à l’organisation de la vie des femmes à Galaad. Elles seules ont accès à l’écriture et aux livres. Puissante et crainte, tante Lydia a sa photo partout dans les écoles de filles et on lui a élevé une statue plus grande que nature.
369A, Agnès Jemima, a grandi à Galaad et revêt les tenues imposées aux filles, toujours en jupe longue pour se protéger des « pulsions des hommes ». A l’école, Tante Vidala leur assure qu’elles auront de bons maris choisis par leurs parents qui occupent une position en vue dans la société, à la différence des enfants de familles « Econos ». Tabitha, la mère d’Agnès, lui a raconté un conte sur sa naissance et joue avec elle : sa maison de poupée est un mini-Galaad dont elle apprend ainsi l’organisation et les fonctions des unes et des autres. Mais quand elle a huit ou neuf ans, sa mère meurt, son père se remarie, sa vie change.
Tante Lydia, le croque-mitaine, la femme forte de Galaad, cache parfaitement son jeu. Si en public elle fait réciter des prières comme « Bénis Bébé Nicole que sa traîtresse de mère, la Servante, a enlevée et que des impies cachent maintenant quelque part au Canada », dans le plus grand secret de la salle des Archives, elle rédige un manuscrit qu’elle cache dans un ouvrage censuré dont elle a découpé l’intérieur. Avant la création de Galaad, elle travaillait comme juge aux affaires familiales, elle voudrait à présent donner une justification à sa vie.
Au Canada, 369B, Daisy, la fille de Neil et Mélanie, fête ses seize ans. Ses parents tiennent une boutique de vêtements usagés, où on croise des sans-abri, parfois leur amie Ada, au look de motarde, et même des Perles, ces femmes aux colliers de perles sur robe argent, des missionnaires qui distribuent des brochures en faveur de Galaad. Une demande d’extradition a été introduite pour Bébé Nicole, enlevée à ses parents, mais celle-ci a disparu. Malgré que ses parents le lui aient interdit, Daisy participe à une manifestation contre Galaad qui tourne à l’émeute. Ada arrive à l’en extirper pour la ramener chez ses parents inquiets de l’avoir vue à la télévision. Quand ceux-ci mourront dans un attentat, leur prétendue fille va découvrir sa véritable identité.
Dans la version télévisée de La servante écarlate, June, devenue « Defred » – la fameuse Servante si bien interprétée par Elisabeth Moss – a réussi à sauver sa fille Nicole et l’a laissée au Canada pour rentrer à Galaad à la recherche de sa première fille. Dans le roman, la fin reste indéterminée et c’est June qui raconte son histoire tout du long. Dans Les Testaments, on change de « je » d’une séquence à l’autre, un peu à la manière de ces feuilletons où on passe sans cesse d’un groupe de personnages à l’autre et c’est lassant.
A travers les écrits de Tante Lydia, on découvre comment la république de Galaad s’est organisée et comment le pouvoir s’y exerce – elle-même est passée par toutes les épreuves physiques et mentales de la conversion forcée. Derrière le régime de terreur imposé aux habitants règne une corruption monstrueuse. Confidente et partenaire politique du Commandant Judd, dont les épouses successives ont tendance à mourir prématurément, Lydia est très bien placée pour être informée de tout ce qui se passe et elle a de quoi nourrir son rapport accablant sur Galaad.
J’ai lu Les Testaments jusqu’au bout, mais ce fut une lecture poussive. Trop fragmenté, trop peu « écrit », le récit ressemble plus à un scénario pour une suite télévisée qu’à un roman d’envergure. Margaret Atwood dit l’avoir écrit en réponse aux lecteurs qui ne cessaient de l’interroger sur ce qui se passait après la fin de La Servante écarlate. Elle précise que « La série télévisée a respecté l’un des axiomes du livre : tout événement qui y survient doit impérativement avoir eu un précédent dans l’histoire des hommes. » Les deux romans se terminent d’ailleurs par des « notes historiques » relatives aux « études galaadiennes », datées de 2195 et 2197. La servante écarlate est une contre-utopie à placer près de 1984 et du Meilleur des Mondes. Les Testaments, à mon avis, n’y ajoutent pas grand-chose. A vous de voir.