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thé - Page 2

  • Douce tranquillité

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    « On peut goûter, on peut sentir ; mais on ne saurait exprimer cette douce tranquillité, dont on est redevable à une boisson ainsi préparée. »

     

    Empereur Qianlong, Eloge de la ville de Mukden

     

    (Sabine Yi, Jacques Jumeau-Lafond, Michel Walsh, Le livre de l’amateur de thé, Robert Laffont, 1985)

  • Tous les matins

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    « J’ai vu la princesse, qui parle de vous, qui comprend ma douleur, qui vous aime, qui m’aime, et qui prend tous les jours douze tasses de thé. Elle le fait infuser comme nous, et remet encore dans la tasse plus de la moitié d’eau bouillante ; elle pensa me faire vomir. Cela, dit-elle, la guérit de tous ses maux. Elle m’assura que Monsieur le Landgrave en prenait quarante tasses tous les matins. « Mais, madame, ce n’est peut-être que trente – Non, c’est quarante.  Il était mourant. Cela le ressuscita à vue d’œil. » Enfin, il faut avaler tout cela. »

     

    Madame de Sévigné, Lettre (4 octobre 1684)

  • La première tasse

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    « La première tasse humecte mes lèvres et mon gosier.

    La seconde rompt ma solitude.

    La troisième pénètre mes entrailles et y remue des milliers d’idéographes étranges.

    La quatrième me procure une légère transpiration et tout ce qui est mauvais dans ma vie s’en va à travers les pores de ma peau. »

     

    Lu Tong

     

    (Sabine Yi, Jacques Jumeau-Lafond, Michel Walsh, Le livre de l’amateur de thé, Robert Laffont, 1985)

  • Le thé de la veuve

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    « La veuve de Shen Wu vivait avec ses deux fils dans la ville de Yanxian. Elle était une adepte du thé. La cour de la maison abritait la tombe d’un inconnu et, toutes les fois qu’elle préparait du thé, elle ne manquait pas d’en offrir au défunt avant d’en boire elle-même. Ce qui déplaisait à ses fils. « Que peut bien en savoir la tombe, disaient-ils. Vous vous donnez vraiment du mal pour rien. » Ils se décidèrent à supprimer la tombe, mais, devant les raisonnements de leur mère, différèrent plusieurs fois leur geste. Or, une nuit, la veuve fit un rêve : un homme l’accostait qui lui disait : « Il ne reste rien de moi excepté cette tombe qui existe depuis trois cents ans. A plusieurs reprises vos fils ont décidé de la détruire, mais votre protection les en a empêchés. De plus vous m’offrez toujours du thé qui sent bon. Quoique je ne sois plus que quelques os desséchés, que puis-je faire pour répondre à votre gentillesse ? » Lorsqu’elle se leva le matin, la veuve trouva dans sa cour cent mille pièces d’or qui semblaient avoir été enterrées depuis longtemps alors que la ficelle qui les enserrait paraissait neuve. Elle appela ses fils et leur fit honte en montrant ce que la vieille tombe avait fait. »

     

    Lu Yu (Sabine Yi, Jacques Jumeau-Lafond, Michel Walsh, Le livre de l’amateur de thé, Robert Laffont, 1985)

  • Un livre, du thé

    A l’heure du thé, le Guide des comptoirs et salons de thé de France, Suisse, Belgique et Québec (L'Archipel, 2002) m’a fait découvrir, il y a quelques années, certains hauts lieux du thé à Bruxelles : le Comptoir Florian, Le Palais des thés, The Tea House. J’y avais coché aussi des adresses parisiennes, sans doute à vérifier aujourd’hui. Le thé dans l’encrier du même auteur, Gilles Brochard, signale dans une réédition récente quelques disparitions. Mais le propos diffère ici : ce livre propose
    une promenade littéraire autour du thé. « Je ne suis qu’un passeur, un ambassadeur sans lettres de créance de ces auteurs qui ont déroulé leurs phrases en d’indicibles infusions, sur l’arc-en-ciel des familles de thé. »

     

    Amoureux du thé, Brochard aime les moments où il le prépare, entre impatience et désir. « La jouissance du thé, à la fois chaude et tendre, gracieuse et violente, me remplit de félicité. » Quel amateur de thé ne se reconnaîtrait dans cet aveu ? Le Président du Club des Buveurs de thé rappelle que dans les années 1990, proclamer sa passion pour ce que certains croyaient réservé « aux vieillards, aux femmes et aux malades » comportait des risques. Aujourd’hui, les blogs de théomanes fleurissent sur la Toile et permettent de comparer ou de découvrir mille et une saveurs. Bu en solitaire, le thé est davantage encore apprécié en bonne compagnie, une des cinq conditions d’un bonne réunion de  thé pour les Chinois, comme expliqué dans
    son Petit traité du thé (La Table Ronde, 1997), avec un cadre agréable, une eau très pure, des feuilles bien choisies, et un service à thé sobre et joli.

     

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    Le Thé dans l’encrier abonde en citations d’écrivains, bien sûr. Madame de Sévigné, déjà, jugeait cette boisson la meilleure et la plus salutaire pour l’esprit comme pour le corps. Brochard conte des lectures, et aussi des rencontres, rêvées ou réelles, avec ces plumes qui ont changé en encre le séduisant breuvage. « Un peu de thé, un peu de conversation » écrivait Jeanne de Caillavet sur ses cartes de visite en guise d’invitation. Belle formule. Comme celle de Yasunari Kawabata : « Une « réunion de thé » est une communion de sentiments, quand de bons amis se retrouvent au meilleur moment, dans les meilleures conditions. »

     

    Balzac, à la célèbre cafetière, conservait un thé de Chine blond, qu’il se faisait envoyer via Moscou, dans une boite kamtschakale qu’il n’ouvrait que pour ses amis connaisseurs. Moins connue que Proust, passage obligé, la romancière irlandaise Molly Keane voyait dans le thé « le compagnon et le réconfort de toutes les personnes seules ». Pour ceux qui l’aiment, « Le thé est une respiration essentielle, un point de repère ou un point d’ancrage dans l’habitude des jours ». Katherine Mansfield confiait avoir envie de thé « comme les hommes ont envie de vin ».

     

    Dans les années 1920, Sylvia Beach avait invité Joyce dans sa célèbre libraire parisienne Shakespeare and Company. Frédéric Prokosch, mis dans la confidence et convié avec un ami à se joindre à eux pour le thé, écoutait attentivement le fameux auteur d’Ulysse. « Je ne devrais pas boire de thé : Nora dit que c’est constipant. (…) Ces éclairs sont excellents. Mais je ne devrais pas en manger. Nora dit
    qu’ils donnent des flatulences. »
    Commentaire de Prokosch : « Son œil unique me scruta de biais avec une soudaine perspicacité comme si l’amusait la profondeur de mon désenchantement. » (En note, Brochard rassure – le thé ne présente pas cet inconvénient.)

     

    « Le thé-amitié de Nathalie Barney », qui recevait chaque vendredi dans son salon de la rue Jacob, à Saint-Germain-des-Prés, est évoqué grâce aux souvenirs de Jean Chalon converti par elle au Lapsang Souchong, un thé fumé de Chine. « Pour plaire
    à
    l’Amazone, écrit-il dans Portrait d’une séductrice, il faut savoir parler à voix basse, savoir se taire aussi, servir le thé, et, en ces années de tumultes et de folies, garder une fragilité de vierge 1898. » Les thés de Miss Barney étaient un rite recherché. Ses invités, Gertrude Stein et sa compagne, Alice B. Toklas, Colette, « les dames aimées par Rilke et les messieurs aimés par Gide ». Paris des années trente.

     

    Brochard évoque un salon de thé disparu, place Dauphine, Fanny Tea, un repaire où les amateurs de thé pouvaient accompagner leur dégustation d’un livre emprunté à la bibliothèque de leur hôtesse. Thé et pâtisseries maison excellents, lieu chaleureux et harmonieux. « Je ne suis qu’une goutte de thé sur une place historique », disait la modeste Fanny. « Sa collection de théières était unique. Chacune d’entre elles était associée à un thé particulier. » Avec la hausse des loyers, le salon a dû fermer ses portes, mais depuis 2003, Place Numéro Thé, avec terrasse, a pris le relais.

    Dans les endroits préférés de Gilles Brochard, on sert un thé de qualité – de bonnes feuilles – préparé dans les règles. Rien à voir avec le sachet de thé broyé d’une marque courante trempée dans l’eau bouillante (si tout va bien) qu’on sert un peu partout. Dans un « Je me souviens » à la façon de Perec, ce passionné évoque la théière en argent Sheffield de sa grand-mère ; Thé et sympathie, un film de Minelli ; son premier baiser d’amour chez Angelina ; la fermeture d’un autre salon de la rue de Rivoli, W. H. Smith, dont il a acheté tables et chaises en souvenir de « ce lieu unique à Paris, sous les arcades des Tuileries ». S’il prenait le thé avec Frédéric Vitoux, conclut-il, ce serait « un thé stendhalien, en rouge et noir, à boire en compagnie de son chat, thé feutré, malicieux et chaleureux. (…) Accord souhaité avec un bonbon de chocolat ou une tarte au chocolat noir. » A quand un Dictionnaire amoureux du thé ?