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résistance - Page 6

  • L'argenterie

    « Marchant sur la pointe des pieds, j’ai enjambé les pièces d’argenterie alignées sur le sol pour prendre place sur le lit.

    - Ce sont des objets assez coûteux. On ne peut plus s’en procurer désormais.

    Il a fait demi-tour à sa chaise pour se tourner vers moi.
    - Vous croyez ? Il est vrai que pour ma mère, c’était très précieux.

    - Cela vaut le coup de les astiquer. Plus on le fait soigneusement, plus c’est gratifiant.

    - Comment ça, gratifiant ?

    - La pellicule d’ancienneté dont ils étaient recouverts s’en va peu à peu et le brillant revient. Pas un éclat perçant, une lumière beaucoup plus discrète, sage et solitaire. Quand on les prend, on a l’impression de prendre la lumière elle-même. Et je m’aperçois qu’ils me racontent quelque chose. Alors j’ai envie de les caresser.

    - Jamais je n’aurais pensé que le brillant de l’argent pouvait faire cet effet-là.

    J’ai regardé le chiffon bleu foncé en bouchon sur la table. Il ouvrait et refermait ses doigts comme pour détendre ses mains. »

     

    Yoko Ogawa, Cristallisation secrète 

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  • L'île de l'oubli

    Cristallisation secrète, un roman de Yoko Ogawa récemment traduit par Marie-Rose Makino, date de 1994. La romancière japonaise situe l’action sur une île, l’île des disparitions – « Je me demande de temps en temps ce qui a disparu de cette île en premier ». La narratrice, qui écrit des romans, ne peut se figurer l’époque d’avant sa naissance que lui décrivait sa mère, quand « il y avait des choses en abondance ici ».  A chaque disparition, les choses s’effacent de la mémoire des insulaires au point que, très vite, leur nom même n’évoque plus rien pour eux. Sauf chez quelques-uns. Ainsi sa mère a longtemps caché dans les tiroirs d’une vieille commode un ruban, un grelot, une émeraude, un timbre, du parfum, qu'elle lui montrait en racontant leur usage autrefois.

     

     

    Après avoir perdu sa mère, son père, puis sa nourrice, la jeune romancière a appris à vivre seule dans sa maison. Un matin, les oiseaux disparaissent. Tous ceux qui en possédaient chez eux ouvrent spontanément leurs cages et le lendemain, la police secrète débarque chez elle pour vider le bureau de son père ornithologue, éliminer toute trace de ce qui concerne les oiseaux. Dans sa vie, deux personnes comptent vraiment : le grand-père, un ancien mécanicien du ferry, le mari de la nourrice, qui réside à bord du vieux ferry rouillé amarré au port – il n’y a plus de ferry sur l’île depuis longtemps – et R, son éditeur, à qui elle montre régulièrement ce qu’elle écrit. C’est en se rendant chez lui qu’elle croise pour la troisième fois depuis le début du mois les traqueurs de souvenirs, ceux qui arrêtent les gens qui ont trop de mémoire, comme sa mère, emmenée il y a quinze ans. Ces policiers débusquent leurs cachettes, les repèrent même par « décryptage des gènes », selon la rumeur, et les embarquent on ne sait où dans des camions bâchés.

     

    Son roman en cours conte l’histoire d’une dactylographe qui perd sa voix, enfermée dans une tour, emprisonnée par son amant. Un jour, la romancière reçoit la visite inattendue de la famille Inui : sa mère leur avait confié quelques-unes de ses sculptures ; comme ils craignent d’être arrêtés, ils les lui rapportent. Elle ne sait pas encore qu’elles possèdent un secret. Un autre jour, les roses disparaissent, leurs pétales jonchent la rivière. Quand elle court à la roseraie, elle découvre un cimetière
    de tiges sans fleurs, le vent les a toutes emportées.

     

    « … C’est sans doute parce que vous écrivez des romans que vous allez
    trop loin, euh, comment dire, peut-être que vous pensez des choses un peu extravagantes ? »
    répond le grand-père quand la jeune femme s’inquiète du sort de l’île. Dans son roman en cours, la dactylo a perdu sa voix depuis trois mois. Dans sa vie, c’est l’avenir de R qui pose problème : il se souvient de tout, comme sa mère auparavant, or les traqueurs de souvenirs sont de plus en plus actifs et brutaux. Avec le grand-père du ferry, la romancière aménage une cachette dans le sous-sol de sa maison, à laquelle on n’accède que par une trappe dissimulée sous un tapis. R accepte avec reconnaissance de s’y cacher et sa femme enceinte retourne vivre chez ses parents.

     

    Cristallisation secrète est un récit fantastique sur la mémoire et l’oubli, sur la résistance de quelques-uns au pouvoir totalitaire. Ce qui est troublant, c’est que les uns et les autres ne semblent pas choisir de se souvenir ou d’oublier, mais retiennent ou non la trace des choses en eux. Encouragés par l’éditeur, ses amis vont essayer de résister à l’érosion des souvenirs – « Vous croyez sans doute qu’à chaque disparition le souvenir s’efface, mais en réalité ce n’est pas cela. Il est seulement en train de flotter au fond d’une eau où la lumière n’arrive pas. C’est pourquoi
    il suffit d’oser plonger la main au fond pour arriver peut-être à toucher quelque chose. Que l’on ramène à la lumière. C’est insupportable pour moi de regarder sans rien dire votre cœur s’épuiser. »

     

    Mais de disparition en disparition, le trio est confronté aux aspects pratiques du secret et de la cohabitation – à la suite d’un tremblement de terre, le grand-père est venu les rejoindre –, à la pénurie qui s’installe peu à peu sur l’île, à la police secrète de plus en plus inquisitrice. Pourront-ils préserver cette vie solidaire et clandestine ? faire face
    à la disparition des photographies ? des romans ? des corps mêmes ?

     

     

    Yoko Ogawa, attentive aux gestes quotidiens, au concret, au langage des corps qui occupent une part essentielle dans son œuvre, prend place avec ce roman aux côtés des anti-utopistes (Huxley, Orwell, Bradbury). Son univers poétique éclaire de façon très délicate les liens qui se tissent entre les êtres, même au cœur d’un drame qui prive les personnages de leur passé et, peut-être bientôt, de leur avenir.

  • Souvenirs de guerre

    Ma mère m’a raconté bien des choses de la guerre. J’ai dit comment à la suite de son frère Hilaire Gemoets, elle était entrée dans la Résistance. 

    Promenade à Duisburg (novembre 2009) - le kouter.JPG


    Au printemps 1944, il avait beaucoup plu pendant plusieurs jours. Occupée à la cuisine, ma mère entend un avion qui vole vraiment très bas. Tout le monde sort dans la rue. L’avion repasse, un Thunderbolt américain, un avion de chasse. Maman se précipite vers la plaine d’aviation provisoire qui servait de piste de secours aux avions en détresse. Là, rien. Mais en remontant en bout de piste, elle voit l’avion, caché par la ferme d’E. Schroeven tout près, les roues en l’air. Avec un autre, le fermier finit de déterrer le pilote, choqué, mais qui n’a finalement qu’une grosse bosse au front. Comme il parle aux hommes qui ne le comprennent pas, maman lui adresse la parole en anglais, ce dont il est très content. Il voudrait téléphoner, mais le téléphone le plus proche se trouve à deux kilomètres. A pied, il passe d’abord à la maison où elle lui lave sa blessure et où sa mère lui prépare de l’ersatz de café, qu’il n’arrive pas à boire. Puis ils vont à la laiterie, au village, là elle demande au téléphone le champ d’aviation de Brustem où se trouvait une escadrille américaine. Quand elle a dit qui elle était, on lui a répondu : "Yes, we know you.
    You are the only english speaking family over there."

     

    Maman avait suivi des cours d’anglais à Louvain pendant la guerre, dans un institut privé, à défaut d’avoir pu étudier à l’Ecole Normale comme elle l’aurait souhaité. Son père était un homme très curieux de tout et faisait partie d’un club d’espéranto. Il n’avait pu faire des études mais avait commencé son service militaire près de la frontière allemande, et appris ainsi un peu d’allemand. Grâce à cela, un jour de la Grande Guerre où les Allemands avaient rassemblé des gens dans une maison à laquelle ils comptaient mettre le feu, il s’était adressé à l’officier dans sa langue. On ne sait pas ce qu’il lui a dit, mais tout le monde a pu sortir. Grâce à lui, disait-on. Il fut le seul de quatre enfants à survivre à la grippe espagnole.

     

    Revenons à la deuxième guerre. Un autre souvenir terrible : un jour de beau temps, maman décide d’aller chez sa tante Emily à Onze-Lieve-Vrouw Tielt, à environ sept kilomètres, pour chercher du ravitaillement sans doute (on ne se déplace que quand il le faut, la guerre n’est pas finie et régulièrement des combats aériens opposent alliés et Allemands). De loin, elle voit quelques bombardiers qui reviennent d’Allemagne. Sur la chaussée de Louvain, il lui est facile de les suivre du regard. Un des avions est à la traîne, ce qui cause sa perte. Des chasseurs allemands ont commencé à tourner autour et à le mitrailler. Un moteur a pris feu, puis le deuxième. Un parachute blanc s’est ouvert, un autre, cinq en tout. Donc deux hommes n’ont pu sauter, sans doute blessés. Mais l’horreur, ce fut de voir les chasseurs allemands tourner autour des hommes en parachute et tirer sur eux. Ma mère a pleuré tout le long du chemin et sa tante n’a pas pu la consoler.  

     
    Promenade à Duisburg (novembre 2009) - les chevaux.JPG

     

    « Josée », le nom de ma mère dans la Résistance, se chargeait du courrier, le plus souvent à vélo. Une après-midi, elle va chercher un colis chez un inconnu, qui lui donne le mot de passe. Sur le chemin du retour, sur la route de Louvain, le pneu avant de son vélo éclate. Moment de panique. En plus des lettres, elle transporte quelques grenades et deux pistolets. Un contrôle de la Sicherheitspolizei (qui supervisait la Gestapo) est toujours possible, partout. Elle finit par trouver quelqu’un qui lui répare son pneu et rentre sans incident.

     

    Quelques semaines plus tard, elle doit partir subitement : son frère lui donne une lettre à porter à un officier du Quartier Général de la gendarmerie à Etterbeek, en mains propres. Elle attrape le tram à la grand-route, de justesse ; plusieurs contrôles de la Sicherheitspolizei entre Assent et Louvain l’ont sérieusement énervée. Elle ne connaît pas le contenu de la lettre mais Hilaire a dit que c’était très important. Elle doit rentrer sans faute avant vingt-deux heures ou trouver un abri quelque part, après cette heure on ne peut circuler en ville sans permis spécial. Mais elle rate la correspondance à Louvain et n’arrive sur place que vers vingt heures.

     

    Au corps de garde d’Etterbeek, on la fait attendre une demi-heure. Elle entend tout à coup des bruits de voitures et de bottes et des ordres criés à haute voix. L’officier qu’elle doit voir arrive, prend la lettre et lui dit : « Sauvez-vous vite, c’est une rafle », puis s’encourt. Dans la rue, des Allemands en uniforme armés de fusils ont coupé le trafic, peu dense à cette heure-là. Ma mère s’attend à être arrêtée mais personne ne
    lui adresse la parole. Soulagée, elle marche le long du boulevard mais la nuit tombe. Le plus vite possible, elle se rend chez des connaissances où elle se réfugie juste après le couvre-feu.
     

    Promenade à Duisburg (novembre 2009) - le clocher.JPG

     

    En juin 1944, après l’arrestation de son père, elle s’est sauvée à vélo avec sa petite valise, à travers champs, dans la lueur de l’aube naissante, pareille à un rêve étrange. Comme sa mère le lui a demandé, elle va d’abord prévenir les frères Jonckers, également résistants. Là on la fait entrer, on lui donne du café. Les hommes ne sont pas à la maison. Une heure plus tard, elle se remet en route pour aller chez une amie d’Hilaire à Diest. Sa maison se trouvait juste à l’angle du petit pont qui enjambe le Demer, en face de l’entrée du pensionnat. Dans la Demerstraat, où elle a fréquenté l’école avec sa sœur, elle aperçoit de loin des voitures. A sa droite, la porte d’une maison s’ouvre : « Mademoiselle, vous n’êtes pas une fille Gemoets ? N’allez pas plus loin, votre papa se trouve dans une des voitures et aussi un de vos frères. » Maman ne connaît pas cette femme mais ne se pose pas de questions et fait demi-tour.

     

    Après un long temps d’hésitation, elle décide de rentrer chez elle où sa mère lui raconte que, quelques minutes après son départ, les Allemands sont revenus à sa recherche. Heureusement, grâce à cette inconnue, elle leur a échappé. Plus question de rester à la maison dorénavant. Les deux premières nuits, elle dort dans le foin au-dessus d’un hangar. Le troisième jour, sa mère lui fait parvenir un billet : quelqu’un viendra la chercher. John Vandevloed, le propriétaire d’une pension de famille non loin de l’abbaye d’Averbode, l’emmène chez lui à la tombée du jour. Elle partage la chambre de sa fille Marie-Louise et donne un coup de main à celle-ci pour dresser les tables – il y a entre trente et quarante pensionnaires. On la fait passer pour une nièce.

     

    L’hôtel était plein de vacanciers, surtout de la région d’Anvers. Dans cette pension de famille dont la nouvelle aile avait été réquisitionnée par des officiers allemands, certains d’entre eux sont visiblement fatigués et découragés à la fin de la guerre ; d’autres, fanatiques, menacent de revenir avec des armes nouvelles. Ma mère apprendra plus tard que s’y cachaient aussi des Juifs. C’est là qu’elle se trouvait le 3 septembre 1944, le jour où son frère a été fusillé – ce dont elle reste à jamais inconsolable.

     

    Quand son père est revenu du camp de concentration en juin 1945, tout le village est passé à la maison pour témoigner sa sympathie, une longue file qui entrait par devant et sortait par derrière. Mais mon grand-père ne voulait parler ni de la guerre ni des camps, où les prisonniers mis au travail sabotaient la fabrication des V2, sauf avec un ancien déporté de la région d’Anvers qui venait lui rendre visite. Il ne supportait plus qu'on jette des restes de nourriture et exigea longtemps de manger avec la cuiller de métal tordu qu’il s’était fabriquée là-bas, à l’exclusion de toute autre. C’est en lisant Si c’est un homme de Primo Levi que maman comprendra beaucoup plus tard cet étrange attachement à un objet qui agaçait ma grand-mère. Trois ans après le retour d’Allemagne de mon grand-père, une infirmière allemande qui l’avait soigné à Weimar, à sa sortie du camp, est venue le visiter chez lui avec son mari : elle lui a rapporté son chapelet qu’il avait oublié là-bas. "Ecris-le aussi, me dit maman, c’est tellement beau." 

    Pour conclure ces souvenirs de guerre rédigés par « devoir de mémoire », une dernière anecdote. Un commandant de bord américain, que maman avait vu tomber du ciel un jour de l’hiver 44/45, dans le verger, et qui avait été accueilli chez eux, lui avait remis son parachute en souvenir. Quand fut fixée la date de son mariage avec un jeune aviateur wallon qui venait d’obtenir « ses ailes » à la R.A.F., sa mère et ses sœurs ont mis des heures à découdre les coutures très serrées de ce magnifique parachute blanc, très fin, avec un reflet argenté, dont une couturière allait faire sa robe de mariée. Le 8 septembre 1948, je peux encore le voir sur une photo ancienne, maman resplendit au bras de papa dans sa robe en soie de parachute. La paix l’a emporté sur la guerre.

  • Un Résistant / Een verzetstrijder

    Il avait vingt ans, le 3 septembre 1944, lorsqu’on lui a fait creuser sa propre tombe, au bord d’un champ, avant de le fusiller. Le jour de la Libération de Bruxelles. Dans l’énorme joie d’une guerre qui se termine, que de larmes dans la famille Gemoets d’Assent, près de Diest. Ce jeune frère de ma mère ne verrait jamais la paix. Sur le monument élevé à sa mémoire à Webbekom, près de l’endroit où des Allemands lui ont ôté la vie, on peut lire en flamand :

    Cérémonie d'hommage à Hilaire Gemoets le 3 septembre 2009 (2bis).JPG
    « Ici fut fusillé Hilaire GEMOETS
    Assent 14 janvier 1924
    Webbekom  3 septembre 1944
    Commandant de corps des Partisans Belges
    Membre du groupe G
    Pour le peuple et la patrie » 

    Chaque année, le 3 septembre, une cérémonie est organisée à sa mémoire. J’y ai assisté pour la première fois cette année, aux côtés de ma mère et de la famille. Une centaine de personnes, dont plus d'une trentaine de porte-drapeaux, s’étaient déplacées, soixante-cinq ans après sa mort, pour un double hommage, d’abord au monument, puis autour de sa tombe au cimetière d’Assent. Discours. Musique. Fleurs. La mémoire de la Résistance est forte et fidèle. C’est une image de la Flandre que les médias ne montrent pas souvent, où les drapeaux belges flottent fièrement.

    Mes parents – mon père wallon, ma mère flamande – ont souvent raconté leurs souvenirs marquants de la guerre. Ceux qui prétendent que tant d’années après, ces blessures sont fermées, ne peuvent imaginer à quel point ceux qui les ont vécus restent hantés par ces événements. Leur évocation reste si sensible qu’on n’en parle encore dans ma famille maternelle qu’au bord des larmes.

    Pourquoi n’avoir pas écrit toute votre histoire en détail après la guerre, ai-je demandé à ma mère. La souffrance était trop insupportable. Mon grand-père, arrêté en juin 1944 – parce qu’on n’avait trouvé ni le fils ni la fille engagés dans la Résistance, c’est-à-dire mon oncle Hilaire et ma mère – et emmené au camp de Dora puis de Buchenwald, n’est revenu chez lui, d’une maigreur effrayante, qu’en juin 1945. Puis il fallait se tourner vers l’avenir, il fallait vivre. 

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    Je ne suis pas historienne, et j’ignore s’il existe des archives de la Résistance belge où seraient mentionnés les faits et gestes du groupe de partisans de mon oncle Hilaire, qu’on appelait « Frans » dans la Résistance. Même ma mère, dite « Josée », n’en connaît que des bribes. Le silence était la première des sécurités. Mais il a confié certaines choses à sa sœur.

    Un jour de 1941 ou 1942, Hilaire Gemoets prend le tram vicinal pour Louvain. Comme cela arrivait régulièrement, le tram s’arrête et deux membres de la Gestapo montent pour contrôler les identités. Une dame s’approche alors de lui et lui demande en lui montrant une lettre de la porter à une adresse précise à Louvain. Il. Il comprend que cette femme se sent en danger, met la lettre dans sa poche. C’était une ancienne institutrice de Bekkevoort, Céline, qui a été arrêtée plus tard et déportée. 

    Les parents d’Hilaire s’inquiètent de ses escapades mystérieuses de jour ou de nuit. Petit à petit, ils devinent que ce fils de dix-sept, dix-huit ans, particulièrement intelligent et débrouillard,  est entré dans la Résistance. Au début, son père y est tout à fait opposé, pour les dangers auxquels il expose toute sa famille (trois filles, trois garçons). Mais Hilaire a une bonne couverture : il achète du beurre et des œufs dans les fermes des environs et les revend chez des particuliers à Bruxelles, à Louvain. Il multiplie ainsi ses contacts.

    Cérémonie d'hommage à Hilaire Gemoets le 3 septembre 2009.JPG

    Un jour, ma mère l’accompagne à un rendez-vous sur une route déserte entre Onze-Lieve-Vrouw Tielt et Tirlemont. Elle l’entend expliquer avec calme et clarté aux sept hommes présents ce qu’ils ont à faire, elle comprend qu’il est leur chef. Il s’agissait d’un parachutage de matériel divers à Holsbeek, près de Louvain. Chacun avait sa part de travail. « Josée » se chargerait du courrier. Mais voici que passent deux hommes en bicylette : Hilaire leur demande de s’arrêter, vérifie avec soin leur identité. Ils ne disent rien, impressionnés. Hilaire leur rend leurs papiers et leur demande de passer leur chemin sans dire un mot de cette rencontre. Ils s’en vont, puis tout le groupe se disperse. Le parachutage s’effectue quelques jours plus tard à l’aube, dans une propriété près d’une carrière déserte. Tout se passe très bien. Juste avant la fin de la guerre, le propriétaire, un résistant, sera arrêté.

    Une action d’éclat : le sabotage de la Centrale du chemin de fer de Diest. Le groupe de partisans voulait mettre en panne la circulation des trains de matériel de guerre en provenance d’Allemagne. Hilaire avait peaufiné le plan pendant des semaines. Et tout se passa parfaitement, à part un retard de quelques minutes pour quitter les lieux. Retranchés derrière des wagons, les partisans durent se battre et deux d’entre eux furent légèrement blessés. Le trafic ferroviaire fut paralysé pendant quelque temps. 

    Une autre fois (janvier 1944), ils sabotèrent des pylônes à haute tension, privant les Allemands de communications pendant des semaines. Un projet mis au point par Jean Burgers à l’Université Libre de Bruxelles. Le groupe d’Hilaire s’occupait également de trouver un toit et des vêtements pour les aviateurs alliés dont les avions avaient été abattus, cachés dans les environs, et de les évacuer. Avec la complicité d’employés, les résistants se procuraient des timbres, des tickets de rationnement, des cartes d’identité vierges.

    Cérémonie d'hommage à Hilaire Gemoets le 3 septembre 2009 (2).JPG

    Quelqu’un qui travaillait à la Kommandantur de Louvain les avertit un jour de la présence d’un traître dans leurs contacts. Depuis quelques semaines, des voisins voyaient des têtes dépasser de temps en temps des champs de blé sur le flanc de la colline, on surveillait la maison. Sa famille apprend aussi qu’on a mis 500.000 francs sur la tête d’Hilaire Gemoets. Un soir, ma mère a préparé des cartes d’identité, qu’elle a remplies à la machine à écrire, comme à la commune, pour deux aviateurs alliés et quatre prisonniers en fuite. A peine endormie, elle entend des coups terribles sur les portes, à l’avant et à l’arrière de la maison en même temps. Tout de suite, elle pense à la Gestapo, s’empare des faux papiers glissés dans la poche d’un cache-poussière, les met sous son drap de lit et se recouche.

    Quand la porte de sa chambre s’ouvre, deux types lui demandent de se lever. Elle répond qu’elle ne peut pas, qu’elle est grippée. Ses plus jeunes frères, de leur côté, ne bougent pas non plus. Un homme regarde sous le lit de ma mère, n’y trouve rien, insiste pour qu’elle se lève. Alors un officier allemand apparaît et dit qu’il n’y a rien, qu’il a déjà regardé. Les hommes sortent. Sauvée ! Hélas, deux minutes plus tard, une exclamation de triomphe : dans la chambre des garçons, entre l’armoire et le mur, ils ont trouvé un rouleau de petits journaux clandestins qu’Hilaire distribuait. On les rassemble tous à l’avant de la maison, dans le magasin (une épicerie). Comme on leur demande où est Hilaire, ce qu’ils ignorent – il ne leur donnait jamais d’informations précises – on emmène le père, qui s’est rhabillé complètement, vers trois heures du matin. Tous sont atterrés. Après que les voitures de la Gestapo sont parties, ma grand-mère dit à ma mère de prendre quelques affaires et de partir le plus vite possible, au cas où ils reviendraient. Et elle avait raison, ils sont revenus pour elle. 

    Je raconterai une autre fois comment ma mère a vécu cachée dans une pension de famille près de l’abbaye d’Averbode. C’est là qu’elle se trouvait le 3 septembre 1944. Le lendemain, une connaissance est venue lui annoncer que son frère était blessé, gravement. En route vers Assent, elles voyaient les avions qui mitraillaient la route de Louvain vers Diest. Les Allemands battaient en retraite. Vu le danger, la messagère lui dit la vérité, qu’il ne servait à rien de trop se dépêcher, qu’elle ne verrait plus son frère vivant.

    Cérémonie d'hommage à Hilaire Gemoets le 3 septembre 2009 (5).JPG

    Le 10 août 1944, lors d’un combat avec la Gestapo à Wilsele, près de Louvain, Hilaire avait été blessé. Soigné par un médecin de l’endroit, il fut transporté à quelques kilomètres de chez ses parents, dans une ferme, où il se rétablissait lentement. Depuis l’arrestation du père en juin, la maison d’Assent était constamment surveillée par la Gestapo. Une nuit, cependant, il avait réussi à se faufiler jusque-là pour embrasser sa mère, restée seule avec sa plus jeune fille de sept ans. Le 3 septembre, à la suite d’une dénonciation ou d’un malheureux concours de circonstances – nous ne le savons pas exactement –, des officiers allemands, accompagnés de membres de la Gestapo, sont arrivés dans cette ferme où il se reposait. Hilaire a voulu s’enfuir, mais en vain. Ils l’ont exécuté dans le champ de Webbekom, où un monument de pierre l’honore à jamais.

    Hilaire Gemoets, un Résistant dont la dépouille avait été déterrée pendant la nuit et déposée à l’église d’Assent où elle est restée jusqu’au jour de l’enterrement, a eu des funérailles grandioses, quasi nationales. L’église était pleine et dehors aussi, une foule nombreuse a rendu hommage à l’héroïsme d’un jeune homme qui avait donné sa vie pour rendre la liberté à son pays. 

     A l’aimable invitation de JEA, ce texte paraîtra aussi sur son blog : http://motsaiques.blogspot.com/

    * * *

    Mise à jour pour la traduction, 9/2/2011

    Hij is pas twintig, wanneer hij op 3 september 1944, de dag dat Brussel bevrijd wordt, zijn eigen graf moet delven. Zij trekken zijn laarzen uit, nemen zijn polshorloge af, stellen een peloton van jonge Duitse soldaten op en fusilleren hem op enkele meter van de rand van de weg. In de onbeschrijflijke vreugde over het einde van de oorlog dat nabij is, wat een leed en tranen bij de familie Gemoets te Assent, bij Diest. De jongere broer van mijn moeder zal de vrede niet meer mogen meemaken. Op het monument te zijner ere in Webbekom, net naast de plek waar de Duitsers hem het leven ontnamen, kan men het volgende lezen: 

    “ Hier werd gefusilleerd
    Hilaire Gemoets
    Assent 14 januari 1924
    Webbekom 3 september 1944
    Korpskommandant der Belgische Partisanen
    Lid van de Groep G
    Voor Volk en Vaderland ”

    Elk jaar op 3 september wordt voor Hilaire een herdenkingsplechtigheid gehouden, waar de stad Diest officieel aan deelneemt. Dit jaar was ik voor de eerste maal aanwezig aan de zijde van mijn moeder en de rest van de familie. Een honderdtal personen, waaronder een dertigtal vlaggendragers, waren komen opdagen, 65 jaar na zijn dood, om een dubbele hulde te brengen, eerst aan het monument zelf, daarna aan zijn graf op het kerkhof van Assent. Toespraken, The Last Post, het Volkslied, bloemen. Het geheugen van de Weerstand is sterk en trouw. Het is een beeld van Vlaanderen dat de pers maar zelden laat zien, een Vlaanderen waar de Belgische vlaggen fier wapperen.

    Mijn ouders, vader uit Wallonië, moeder een Vlaamse, hebben ons vaak verteld over belangrijke gebeurtenissen en herinneringen uit de oorlog. Wie beweert dat na al die jaren de wonden geheeld zijn, kan zich niet inbeelden hoezeer zij die het meemaakten, er nog steeds onder lijden. In de familie van mijn moeder is het met tranen in de stem dat er nog steeds wordt over gesproken.

    Waarom dit alles niet neergeschreven juist na de oorlog met alle levendige details nog vers in het geheugen? De pijn was toen ondraaglijk, zei mijn moeder. Mijn grootvader werd aangehouden in juni 44 – want men had de zoon (nonkel Hilaire)  noch de dochter (mijn moeder), die allebei in het Verzet zaten, gevonden. Hij werd eerst naar het kamp van Dora, daarna naar Buchenwald gedeporteerd, en keerde uiteindelijk terug in juli 45. Hij woog dan nog amper 40 kilo, met de littekens van hondenbeten op beide bovenbenen. Een oude, gerimpelde man. Gelukkig herstelde hij na een lang verblijf in het St-Raphaëlziekenhuis te Leuven. Om vervolgens de draad terug op te nemen, want het leven gaat door.

    Ik ben geen historica en ik weet niet of in de archieven van “Het Verzet” de feiten en acties van de groep van mijn nonkel Hilaire vermeld staan ; in het “Gouden Boek van de Weerstand” wordt er in elk geval wel over hem gesproken. Zelfs mijn moeder, die “José” als schuilnaam had, weet niet alles, want zwijgen was de wet die de veiligheid waarborgde. Maar sommige verzetsdaden werden haar door haar broer toevertrouwd.

    Op een dag, het moet 1941 of 1942 geweest zijn, nam Hilaire Gemoets de buurttram tussen Diest en Leuven. Zoals het vaker gebeurde, werd de tram tot stilstand gebracht en twee leden van de Gestapo (Sicherheitspolizei?) stapten op. Controle van de identiteitskaarten. Een dame vroeg aan Hilaire of hij de brief die zij hem in de hand stopte op een adres in Leuven wilde bezorgen. Hij begreep dat de vrouw bang was, en stak de brief in zijn zak. Deze dame, Celine Cresens, was een onderwijzeres uit Bekkevoort. Later, in mei 1944, werd ze aangehouden, en kwam in het kamp van Ravensbruck terecht, vanwaar ze terugkeerde op het einde van de oorlog.

    De ouders van Hilaire maakten zich vaak ongerust over zijn plotse verdwijnen, soms overdag, dan weer ‘s nachts. Langzaam begonnen ze te vermoeden dat hun zoon, een verstandige, begaafde jongen, bij het verzet was. Zijn vader was er eerst radicaal tegen, gezien het gevaar dat dit inhield voor de rest van het gezin van drie meisjes en drie jongens. Maar Hilaire had een goede dekmantel. Hij kocht boter en eieren in de boerderijen en verkocht die weer door bij particulieren in Brussel of Leuven. Zo vermenigvuldigde hij zijn contacten. Hij bezat ook een radiozender en stuurde berichten naar Engeland.

    Op een dag vergezelde mijn moeder hem naar een afspraak op een verlaten veldweg tussen Onze-Lieve-Vrouw-Tielt en Wersbeek. Zij hoorde Hilaire kalm en duidelijk bevelen geven aan de zeven mannen die daar kwamen opdagen en had meteen door dat hij de leider was. Iedereen wist wat hem te doen stond. ’t Had te maken met een dropping per parachute te Holsbeek bij Leuven. Plots kwamen twee fietsers de weg opgedraaid. Hilaire vroeg hen beleefd hun identiteitskaarten te tonen, schreef hun namen op en vroeg hen hierover te zwijgen. De twee mannen waren onder de indruk. Hilaire liet hen vertrekken en de hele groep verspreidde zich. De dropping gebeurde bij het ochtendgloren, in een pand in de buurt van een verlaten steengroeve. Alles verliep probleemloos. Net voor het einde van de oorlog, zou de eigenaar van het pand, een verzetsstrijder, eveneens gearresteerd worden.

    Een briljante actie : de sabotage van het treinstation door het uitschakelen van de signalisatiecabine van Diest. De verzetsleden wilden de Duitse treinen, die oorlogsmateriaal uit Duitsland aanvoerden, tegenhouden. Ze hadden deze actie gedurende weken voorbereid. En alles liept perfect, alleen konnen ze zich niet snel genoeg uit de voeten maken. Ze verschansten zich achter de wagons, en er werd heen en weer geschoten. Twee van hen raakten lichtgewond. Het spoorverkeer bleef toch enige tijd verlamd.

    In januari 1944 saboteerden ze ook de hoogspanningsmasten, waardoor het de Duitsers onmogelijk werd te communiceren, weken aan een stuk. Een actie die voorbereid werd door Jean Burgers aan de Vrije Universiteit van Brussel. De groep van Hilaire zocht ook onderdak en kleding voor de piloten van neergeschoten vliegtuigen, verborg hen in de streek, en hielp hen evacueren. Met de medeplichtigheid van enkele ambtenaars wisten de verzetsleden de hand te leggen op postzegels, rantsoenzegels, lege identiteitskaarten...

    Dan was er die fatale nacht in juni 1944. Mijn moeder, Joséke, was haar schuilnaam, had identiteitskaarten nagemaakt zoals op het gemeentehuis, voor twee geallieerde piloten en vier ontsnapte gevangenen.  Het was voorbij middernacht wanneer het huis omsingeld werd door een aantal mannen van de zwarte brigade, zoals men ze noemde, de Gestapo of Sicherheitspolizei.  Er was ook een Duitse officier bij. Later vernamen we dat het om de bende Verbelen ging. Ze zochten overal naar Hilaire, maar die sliep nooit thuis. De buren hadden al eerder opgemerkt dat het huis bewaakt werd. In de voorbije weken zagen buren namelijk af en toe hoofden die het huis in de gaten hielden, uitsteken boven de korenvelden op de heuvel. En iemand die te Leuven in het Kommandantür werkte, had mijn grootouders laten weten dat er een som van 500.000 Belgische franken op het hoofd van Hilaire stond. En ook dat er zich een verrader bevond tussen de manschappen van Hilaire. Maar wie?

    Onmiddellijk dacht ze aan de Gestapo, stak de valse identiteitskaarten in de zak van haar jas, verborg die onder haar lakens en ging weer naar bed. Mijn grootmoeder had aan mijn moeder gezegd niet op te staan, toen ze het lawaai hoorde aan de voor- en achterdeur tegelijk. Twee mannen kwamen haar kamer binnen en vroegen haar uit bed te komen, maar de Duitse officier kwam tussenbeide en zei: “Laat maar, hier is niets, ik heb al gekeken.” Die man ging ook met mijn grootvader tot halverwege de zoldertrap en zei nogmaals: “Kom, laat maar,” waarop hij terug naar beneden ging.

    Maar in de kamer waar de twee jonge broers nog steeds in bed lagen, vonden ze achter een kast een rolletje pamfletten over de weerstand. Toen brak de hel los. De hele bende begon te roepen en te tieren en grootvader moest zich verder aankleden. De kleine zus van zeven klampte zich huilend vast aan zijn benen en mijn grootmoeder smeekte hem met rust te laten, maar ze zeiden haar : “ We moeten eerst uw zoon vinden.” En opeens waren ze weg, met mijn grootvader. Verslagen wisten ze niet wat er nu moest gebeuren. Tot mijn grootmoeder tegen haar dochter zei: “Neem gauw het hoogstnodige en ga weg. Ze kunnen terugkomen.” En ze had gelijk, ze kwamen wat later terug voor haar.

    Ik zal een andere keer vertellen hoe mijn moeder leefde, verborgen in een familiepension St. Norbertus, dicht bij de abdij van Averbode. Daar was ze ook op 3 september 1944. De volgende dag kwam een kennis haar zeggen dat haar broer ernstig gewond was. Ze gingen onmiddellijk met de fiets op weg naar Assent en zagen hoe de vliegtuigen de Duitse troepen beschoten op de weg van Leuven naar Diest. De Duitsers trokken zich terug. Gezien de gevaarlijke situatie, vertelde de kennis haar de waarheid, dat ze zich niet moest haasten, want dat ze haar broer toch nooit meer levend zou zien.

    Op 10 augustus 1944, tijdens een gevecht met de Gestapo in Wilsele, bij Leuven, raakte Hilaire gewond. Behandeld door een plaatselijke arts, werd hij een paar kilometer van zijn ouders in een boerderij verborgen, waar hij langzaam herstelde. Sedert de aanhouding van de vader in juni, werd het huis in Assent voortdurend door de Gestapo bewaakt. Op een nacht echter, slaagde hij er toch in om zijn moeder, die alleen is achtergebleven met haar jongste dochter van zeven, te gaan omhelzen. Op 3 september kwamen Duitse officieren, vergezeld door leden van de Gestapo, naar de boerderij waar Hilaire aan het herstellen was. Wij weten nog altijd niet of hij verklikt werd of dat het eerder ging om een ongelukkige samenloop van omstandigheden. Hilaire probeerde te ontsnappen, maar tevergeefs. Ze voerden hem weg naar een plek in de omgeving van Webbekom, waar een stenen monument hem nu voor altijd eert.

    Hilaire Gemoets, wiens stoffelijke overschot tijdens de nacht door zijn kameraden werd opgegraven, werd op vraag van de pastoor in de kerk opgebaard tot de dag van zijn plechtige en uiterst indrukwekkende begrafenis. De kerk was te klein en ook buiten bracht een grote menigte hulde aan de heldenmoed van een jonge man die zijn leven gaf voor de vrijheid van zijn land.

    Op 10 augustus 1944, tijdens een gevecht met de Gestapo in Wilsele, bij Leuven, raakte Hilaire gewond. Behandeld door een plaatselijke arts, werd hij een paar kilometer van zijn ouders in een boerderij verborgen, waar hij langzaam herstelde. Sedert de aanhouding van de vader in juni, werd het huis in Assent voortdurend door de Gestapo bewaakt. Op een nacht echter, slaagde hij er toch in om zijn moeder, die alleen is achtergebleven met haar jongste dochter van zeven, te gaan omhelzen. Op 3 september kwamen Duitse officieren, vergezeld door leden van de Gestapo, naar de boerderij waar Hilaire aan het herstellen was. Wij weten nog altijd niet of hij verklikt werd of dat het eerder ging om een ongelukkige samenloop van omstandigheden. Hilaire probeerde te ontsnappen, maar tevergeefs. Ze voerden hem weg naar een plek in de omgeving van Webbekom, waar een stenen monument hem nu voor altijd eert.

    Hilaire Gemoets, wiens stoffelijke overschot tijdens de nacht door zijn kameraden werd opgegraven, werd op vraag van de pastoor in de kerk opgebaard tot de dag van zijn plechtige en uiterst indrukwekkende begrafenis. De kerk was te klein en ook buiten bracht een grote menigte hulde aan de heldenmoed van een jonge man die zijn leven gaf voor de vrijheid van zijn land.
  • Amis et amoureux

    Entre deux lectures successives apparaissent parfois d’étranges liens : dans Chaos calme, un homme perd sa femme au moment où il en sauve une autre de la noyade ; dans Ma femme de ta vie (La mujer de mi vida, 2005), la chilienne Carla Guelfenbein réunit deux amis qui ne se sont plus vus depuis quinze ans au bord d’un lac de montagne au Chili pour Noël. En invitant Theo, Antonio n’avait pas mentionné la présence de Clara, Theo ne serait sans doute pas venu. Revoir « sa » Clara qui a renoncé à la danse pour illustrer des contes pour enfants, Theo n’y est pas préparé. Correspondant de guerre, il n’a qu’une seule attache stable : sa fille Sophie, qui vit avec sa mère aux Etats-Unis. Pourquoi l’a-t-on invité ? Ni Antonio ni Clara ne répondent clairement à cette question. Quelques jours après s’être réconcilié avec Theo, Antonio trouve la mort en se jetant à l’eau pour sauver une fillette. A ses funérailles, son ami, qui l’a « trahi » autrefois, est bouleversé du désespoir de Clara : l'épouse d’Antonio a été pour Theo la femme de sa vie et l’est peut-être encore. 

    Cahier rouge.jpg

     

    « Les certitudes qui m’habitent ne sont pas nombreuses, mais je suis convaincue d’une chose, nous sommes trois et ce capital de temps qui s’étale devant nous dans toute sa plénitude est puissant et nous appartient » : voilà ce qu’écrit Clara en juillet 1986 dans le cahier à couverture rouge qui ne la quitte pas. A cette époque, Theo est devenu l’ami d’Antonio, un étudiant chilien en troisième année de sciences politiques à l’université d’Essex. Lui n’est qu’en deuxième, mais ils ont un cours commun, où les confrontations entre un professeur et Antonio à propos du marxisme révèlent l’aura que procure à celui-ci la réputation de son frère, un dirigeant étudiant en pointe dans la résistance à la dictature chilienne. L’assurance d’Antonio, sa personnalité fascinent Theo. Le jour où ils se découvrent la même date d’anniversaire, à un an près, ils font vraiment connaissance.

     

    A la surprise de Theo, qu’une angine cloue au lit peu après, Antonio vient alors s’occuper de lui, lire dans sa chambre pour lui tenir compagnie – personne à part sa mère ne s’est jamais soucié de lui de cette manière. Puis un jour, Antonio l’emmène chez son père, qui parle mal l’anglais, mais Theo a appris l’espagnol. Jour de drame : un coup de téléphone informe sa famille de la mort de Cristóbal, le frère d’Antonio, tué dans une manifestation. Après cela, Antonio n’a qu’une obsession : rentrer au pays, se préparer à la guerre. En attendant, Théo lui est devenu aussi indispensable qu’un frère.

     

    Au début des vacances d’été, les deux amis se rendent à Edimbourg, chez un professeur de littérature latino-américaine dont la fille, Clara, suit des cours de danse à Londres. Son père est un « disparu » chilien. Quand Clara apparaît, avec sa façon « typique des danseuses de se déplacer », ses yeux clairs font à Theo « l’effet
    d’une lumière qui soudain vous brûle ».
    Il est submergé de désir et Antonio le voit. Pour lui, dit-il, Clara est « comme une sœur ». Theo pressent qu’il y a davantage entre eux, même après que son amour pour Clara est devenu une réalité visible : « il essayait de nous montrer qu’il n’était en rien affecté par ma relation avec Clara, et plus encore que, quoi que nous fassions, nous lui appartenions tous les deux. »

     

    Déprimé de voir le parti envoyer quelqu’un d’autre au Chili, Antonio sombre dans la dépression. Clara se charge de lui, lui fait remonter la pente. Il faut de l’argent à Antonio pour financer par lui-même son retour au pays. Theo s’en procure en écrivant des articles qu’un ami, admiratif de sa plume, l’aide à faire éditer dans une revue. Clara, avec son groupe de danse, prépare un spectacle pour une fête de solidarité chilienne. Mais les choses ne se passeront pas comme prévu – ni sur le plan politique, ni dans ce trio amoureux et ami.

    La vie étudiante, avec tous ses possibles, et le regard qu’on porte plus tard sur sa jeunesse, Carla Guelfenbein les dépeint dans Ma femme de ta vie à travers les liens puissants et parfois troubles entre ces trois personnages. Relatée par Theo, leur histoire est régulièrement interrompue par des extraits du « Journal de Clara », en contrepoint. A la fin du roman, un an après le drame, Theo et Clara se retrouvent au bord du lac où Antonio s’est ouvert à son ami une dernière fois, sans tout lui dire cependant. Dans quelle mesure la vie les a-t-elle changés ?