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nouvelles - Page 8

  • Sacré Woody

    Pour me changer les idées, rien de tel que du Woody Allen, me suis-je dit. Sacré Woody, fais-moi rire. J’aurais sans doute mieux fait de m’installer dans le canapé et de glisser Annie Hall ou Manhattan dans le lecteur. J’ai ouvert un recueil de nouvelles du maître aux fameuses lunettes, L’erreur est humaine (2007).

     

    La nouvelle éponyme s’intitule, au complet, L’erreur est humaine et la lévitation divine. Autres titres prometteurs : Ainsi mangeait Zarathoustra et A Vienne que pourra. « Eussé-je été un encornet que ce préambule aurait suffi à déclencher une éjaculation d’encre noire » peut-on lire dans ce récit où l’on projette un grand spectacle « Fun de siècle » avec Alma Mahler en bombe sexuelle, entourée de Klimt, Schiele, Zweig, Kokoschka, et plus si affinités.

     

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    Woody Allen soigne les attaques. « Dans le cadre d’un programme de remise en forme visant à réduire mon espérance de vie à celle d’un mineur du dix-neuvième siècle, je faisais mon jogging l’été dernier dans la Cinquième Avenue. » (Les infortunes d’un génie méconnu) Ou « Je suis grandement soulagé d’apprendre qu’on est enfin capable d’expliquer l’univers. » (Théorie des cordes et désaccord)

     

    Dans Nounou très chère, Harvey apprend par sa femme que la bonne d’enfants est en train d’écrire un livre sur eux – « Pourquoi avais-je dédaigné les conseils de l’avocat qui me suggérait de faire figurer une clause de confidentialité dans notre contrat avec Mlle Viaire ? » Que faire ? La virer risque d’aggraver la situation. Après une halte au « Palais du Houblon » pour calmer son « palpitant », Harvey envisage différentes techniques de meurtre et opte pour un breuvage maléfique. Bien sûr, c’est lui qui finit par boire la tasse. Mlle Viaire a renoncé entre-temps à écrire sur ces gens trop minables. Mot de la fin : « Nous n’avons pas l’intention d’engager une autre baby-sitter, du moins tant qu’il n’y aura pas eu d’avancée technologique significative en matière de robotique. »

     

    Qui d’autre que Woody imaginerait Mes secrets minceur, par Friedrich Nietzsche, un essai qui réconcilie Platon et Montignac (Ainsi mangeait Zarathoustra) ? Toute une nouvelle sur la mise aux enchères d’une truffe blanche de plus d’un kilo (Mortelles papilles, ma jolie) ? La vente de prières personnalisées sur ebay (Notre Père qui êtes sur la toile) ? Extrait : « L’honnêteté intellectuelle est un concept tout relatif, qu’il est préférable de laisser aux intellectuels, justement – les Jean-Paul Sartre et autres Hannah Arendt. » Aux parents belges désespérés, on conseille Recalé, l’histoire terrible de Mischa, trois ans, non admis dans la meilleure école maternelle de Manhattan.

     

    Cela croustille donc joliment çà et là. Cela fourmille d’expressions populaires ou argotiques (cf. dans Dieu Skakespeare et moi, du même, Les origines de l’argot). Mais franchement, à la lecture des Opus alleniens, il manque les voix et les bobines. Celles de Woody Allen /Alvy Singer et de Diane Keaton/Annie Hall :

     

    - ALVY (en gesticulant) – Pourtant, pourtant, il faut un point de repère esthétique pour pouvoir envisager une perspective sociale. (Sous-titre : « On se croirait sur France-Culture. »)

    - ANNIE (elle rit) – Enfin, je ne sais pas. Je veux dire, je crois… je crois que vous devez être en retard, non ?

    - ALVY – C’est vrai, il va falloir que j’aille faire mes lamentations. (Annie rit.)

    (…)

    - ALVY – Hé, écoutez, écoutez. (Ils s’arrêtent.)

    - ANNIE – Quoi ?

    - ALVY – Embrassez-moi.

    - ANNIE – Sérieusement ?

    - ALVY – Oui, pourquoi pas ? Parce qu’on va forcément rentrer ensemble, non ?

    - ANNIE – Oui.

    - ALVY (poursuivant) – Et… et euh… il y aura forcément un brin de tension. Vous savez, quand on ne s’est jamais embrassé et qu’on ne sait pas très bien par où commencer. Alors je propose qu’on s’embrasse maintenant, ce sera fait, et puis, on pourra aller manger, d’accord ?

  • Kafka au brouillon

    Max Brod a conservé les textes que Kafka lui avait demandé de détruire après sa mort. C'est ainsi que la plus grande part de l'oeuvre nous est restée. Catherine Billmann, la traductrice des Récits posthumes et fragments (troisième tome d'une intégrale des récits de Kafka dans la collection Babel), les appelle des "premiers jets", textes "ouverts" dont le fond et la forme n'ont pas encore été figés.

    Les textes les plus courts sont les plus frappants. Le travail routinier y est une source d'inspiration - et d'humour, avec son ennui, ses rivalités mesquines, ce qui nous vaut un étonnant Poséidon. Puisqu'on lui a confié la gestion des eaux universelles, le dieu des mers et des océans n'arrête pas de faire des comptes, de refaire ses calculs, assis à son bureau au fond des eaux. Aussi est-il très agacé de se voir constamment représenté courant sur les flots avec son éternel trident, lui qui n'a que de trop rares occasions de voyager!

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    La vie domestique nourrit aussi l'imagination. Par exemple, Vacarme, qu'on devine inspiré par la gêne que Franz Kafka ressentait "au quartier général de tous les bruits de la maison". Le récit se termine par une métamorphose qui en rappelle une autre, avec le désir de "ramper tel un serpent dans la pièce voisine et, ainsi allongé sur le sol, prier mes soeurs et leur nurse de ne pas faire de bruit". On n'est pas étonné, dans Le départ, d'entendre un maître répondre à son valet qui voudrait connaître sa destination précise: "Partir d'ici, voilà mon but."

    Le Croisement participe du bestiaire kafkaïen. Première phrase: "Je possède un curieux animal, mi-chaton, mi-agneau." Et l'écrivain de pousser jusqu'au bout les conséquences de cette double nature, au moins double, puisque l'animal lui tient compagnie comme un chien au regard "d'une compréhension presque humaine". Une nouvelle plus longue, inachevée, Blumfeld, un célibataire sur le retour, substitue à ce compagnon peu ordinaire, deux balles encore plus extraordinaires. Alors que Blumfeld rentre chez lui en pesant le pour et le contre de l'adoption d'un petit chien, il est accueilli dans sa chambre par deux drôles de balles blanches et bleues qui rebondissent sans cesse sur le plancher. Elles le suivent partout, sans qu'il puisse les attraper. Comment éviter leur bruit? Comment s'en débarrasser? Voilà Blumfeld avec de nouveaux soucis sur les bras (façon de parler).

    Entre rêve et réalité, un autre texte, très court, Renonces-y! Terrifié à l'idée d'arriver en retard à la gare, un homme perd son chemin pour de bon. Se croyant sauvé par la rencontre d'un agent de police auprès de qui il se renseigne, il n'obtient d'autre réponse que "Renonces-y, renonces-y". Kafka réussit merveilleusement à nous entraîner dans les dédales de son imaginaire et à nous égarer à sa suite.