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Théâtre - Page 2

  • Maryna

    sontag,en amérique,roman,littérature anglaise,etats-unis,théâtre,vie communautaire,pologne,californie,communauté,culture« D’après son miroir, le seul ami sincère de l’actrice, Maryna admit qu’elle était plus mince que lorsqu’elle avait quitté la Pologne, pourtant elle savait qu’elle ne paraîtrait pas trop mince, vraiment mince, quand tous les costumes qu’elle avait apportés auraient été réajustés ; que son visage avait vieilli, en particulier autour des yeux, même si elle n’ignorait pas que sur une scène, avec la magie normale du maquillage et de la lumière du gaz, on ne lui donnerait pas plus de vingt-cinq ans. Il est certain, écrivait-elle à Henryk, que la vivacité et l’entrain d’une jeune fille sont maintenant loin de moi, mais ma joie et mon enthousiasme sont intacts. Je crois pouvoir donner une imitation impeccable des émotions qui peuvent se dérober à moi dans la vie réelle. Je n’ai jamais été une grande actrice d’instinct, mais je suis infatigable et forte. »

    Susan Sontag, En Amérique

    Portrait d’Helena Modrzejewska par Tadeusz Ajdukiewicz, 1880
    (l'actrice polonaise qui a inspiré le personnage de Maryna)

    * * *

    Une pause dans les réponses à vos commentaires,
    voici pour moi le temps des vacances.
    Bonne rentrée de septembre !

    Tania

  • En Amérique (Sontag)

    Après l’appétissant chapitre Zéro d’En Amérique, Susan Sontag ouvre l’histoire de Maryna (inspirée par celle d’Helena Modrzejewska, dont le vieux théâtre de Cracovie porte aujourd’hui le nom) avec une gifle – dans la loge où elle se prépare, d’une actrice rivale qui espérait son rôle. « Parfois, on a besoin d’une claque en plein visage pour réaliser ce qu’on ressent vraiment. »

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    Bogdan, le mari de Maryna, s’inquiète – elle le rassure. La crise est là, pourtant. « Elle avait aimé être actrice parce que le théâtre lui apparaissait tout simplement comme la vérité. Une vérité plus haute. En jouant dans une pièce, une grande pièce, on devenait meilleur qu’on ne l’était en réalité. On ne disait que des mots sculptés, essentiels, exaltants. On avait l’air aussi belle qu’on pouvait l’être, grâce aux artifices, à son âge. » Cela ne lui suffit plus.

    Bogdan organise une soirée à l’hôtel Saski pour fêter le succès de la première, avec des amis qui ne lui veulent que du bien. Ils ignorent qu’au cœur de sa réussite brillante, elle aspire à une nouvelle vie. Dans le cabinet d’Henryk, qui soigne son demi-frère Stefan très malade, elle osera dire ce qui la préoccupe, sa crainte de mourir si elle n’accomplit pas « quelque chose de téméraire… de grandiose ».

    C’est pour voir Stefan jouer qu’elle est entrée pour la première fois dans un théâtre, à sept ans. Elle s’était dit alors que devenir actrice était le meilleur moyen de revenir dans un théâtre. A seize ans, elle avait épousé Heinrich Zalezowski, un des pensionnaires de sa mère qui lui donnait des cours d’allemand ; il avait dirigé une troupe de théâtre ambulant et croyait en son avenir, à une condition : « l’assiduité quotidienne ». Elle l’avait fait, elle était devenue une grande actrice. Après son divorce, elle avait épousé le comte Dembowski. A présent, la voilà « déboussolée et lassée du théâtre ! »

    Susan Sontag peint le portrait de Maryna par touches : des confidences à l’un, à l’autre, des soliloques. Parfois la narratrice commente. « Dieu est un acteur, lui aussi. Il apparaît depuis d’innombrables saisons dans une grande variété de costumes anciens. » Maryna est impatiente. Au « sommet de sa gloire », à trente-cinq ans, en mai 1876, elle annule tous ses engagements et s’enfuit à Zakopane, un village de montagne où elle a l’habitude de passer un mois à la fin de l’été.

    « L’accompagnaient son mari, Bogdan Dembowski, son fils de sept ans, Piotr, sa sœur veuve, Józefina, le peintre Jakub Goldberg, le jeune premier Tadeusz Bulanda, et le professeur Julian Solski et sa femme, Wanda. » Les rumeurs, les questions vont bon train dans la presse polonaise – serait-elle malade ? A contraire. Maryna mène une vie très saine à Zakopane : bain matinal dans le ruisseau, promenade, lait de brebis, exercices de respiration, « pensées positives »…

    Leur petite communauté fascinée par les idées de Fourier, la vie à la campagne, l’agriculture, se laisse persuader par Maryna et Bogdan, qui a épousé la « folie » de sa femme : ils iront vivre ensemble en Amérique. Après la mort de Stefan, rien ne peut plus les retenir, pas même l’affection d’Henryk, si triste de la voir s’éloigner du théâtre de Cracovie et de lui.

    Ryszard l’écrivain (lui aussi amoureux de Maryna) et Julian embarquent les premiers, chargés de leur trouver un endroit où vivre. C’est à travers les lettres de Maryna à Henryk qu’on apprend plus loin comment s’est passée sa propre traversée de l’Atlantique, ses premières impressions sur les Polonais installés en Amérique, sur les spectacles où elle se rend pour observer ce qui plaît aux spectateurs américains.

    Finalement ils trouvent une propriété à Anaheim, en Californie, vantée alors comme « le paradis du travailleur ». C’est là que naît leur communauté utopique, sur une terre propice à la culture de la vigne louée à des Allemands. Maryna est euphorique, la vie simple lui plaît : balayer, écosser les haricots, s’occuper de la jeune Aniela, seize ans, emmenée pour tenir compagnie à son fils. « Vivre dans le présent ! Au soleil ! » Tout lui semble facile, chacun prend ses tâches à cœur, les hommes et les femmes. Mais l’entreprise coûte cher tant qu’elle ne rapporte pas, et le défi n’est pas gagné d’avance.

    Pour la belle, la grande Maryna, aimée par Bogdan et secrètement par Ryszard, la vie collective est-elle l’aboutissement d’un rêve ou une tentative ? Pourra-t-elle se passer définitivement de la scène ou se lancera-t-elle de nouveaux défis ? Vous devinez la réponse. Susan Sontag campe autour de Maryna, à chaque étape de sa vie en Amérique, des personnages très vivants, attachants, qui ont leurs propres démons. Suivre leurs aventures est passionnant.

    En Amérique est un roman magnifique : une héroïne exceptionnelle, l’esprit de liberté et une manière de raconter qui se renouvelle constamment. On y parle beaucoup, forcément, de théâtre – le jeu, la voix, l’interprétation, la présence, les grands textes… – et de la vie commune – le couple, les amis, les discussions… De la vie tout court, quand le cœur bat. Un roman qu’on n’a pas envie de quitter.

  • Chapitre Zéro

    En Amérique de Susan Sontag (2000, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Guiloineau) a été sorti de la bibliothèque et posé à portée de main depuis longtemps, peu après avoir refermé Debriefing. Rien que la photographie de couverture, très belle, tient déjà compagnie. Le plaisir de la découverte en 2001 est revenu d’emblée en relisant le premier chapitre, intitulé Zéro. Aussi n’ai-je pas voulu entamer le suivant avant de revenir sur les ingrédients qui en font l’originalité.

    Sontag En Amérique.jpg
    Photo : Onésipe Aguado, Femme vue de dos, ca. 1862
    (MET, New York)

    Un bref Avertissement signale que le livre « s’inspire de l’histoire d’Helena Modrzejewska, la plus célèbre actrice polonaise, qui a émigré aux Etats-Unis en 1876 », accompagnée de son mari, de son fils et de quelques amis. Sontag précise : « « S’inspire », pas moins et pas plus. » La plupart des personnages sont inventés « et ceux qui ne le sont pas diffèrent de façon radicale de leurs modèles réels. »

    Voici l’incipit. « Hésitante, non, frissonnante. Je m’étais introduite dans une réception donnée dans la salle à manger d’un hôtel. A l’intérieur, je sentais encore l’hiver, mais aucune des femmes en robe du soir et aucun des hommes en redingote qui se pressaient dans la longue salle obscure ne semblait remarquer la fraîcheur, aussi j’eus le poêle carrelé dans un coin, au fond, pour moi toute seule. »

    Portrait de groupe avec dame – décidément ce titre de Böll me revient en tête (Romy Schneider y jouait le premier rôle dans le film d’Aleksandar Petrović). A la description de la pièce, des invités, se mêlent des bribes de conversation que la narratrice tente de saisir au vol, dans une langue qu’elle ne connaît pas, et pourtant elle devine que cela concerne une femme et un homme, voire deux hommes. Aussitôt elle cherche laquelle de ces femmes élégantes se distingue des autres et la repère : une femme dans la trentaine « avec une masse de cheveux blond cendré », « pas d’une beauté exceptionnelle » – « Mais plus je l’observai, plus elle devint irrésistible. »

    « Quand elle se déplaçait dans la pièce, elle était toujours entourée ; quand elle parlait, on l’écoutait toujours. Je crus avoir compris son prénom – Helena ou Maryna – et en supposant que cela m’aiderait à déchiffrer l’histoire si je pouvais identifier le couple ou le trio, quel meilleur point de départ que de leur donner des prénoms, je décidai de penser à elle comme Maryna. Puis je cherchai les deux hommes. »

    La scène se déroule comme dans un film, la narratrice braquant sa caméra sur l’un ou l’autre invité, l’un ou l’autre détail du décor. Susan Sontag donne vie à ces personnages à partir d’un vêtement, d’un regard, d’un geste. J’ai l’impression que la romancière nous raconte, tout en contant leur histoire, comment elle s’y prend pour les créer, les faire siens, peut-être à partir d’une photographie d’archives. Elle hésite, puis décide. Elle comprend qu’on commente un choix, qu’on le désapprouve – « Mais son devoir est ici. C’est irresponsable et sans aucun… »

    Parmi ces invités, certains se demandent si c’est « bien » ou « mal »« et leur « mal », leur « bon » et leur « mauvais », qui à mon époque continuent à mener une vie gémissante et atrophiée, ainsi que leurs autres termes, aujourd’hui complètement discrédités, « civilisé » et « barbare », « noble » et « vulgaire », ou ceux devenus aujourd’hui incompréhensibles, « altruisme » et « égoïsme » – excusez les guillemets (je n’en mettrai plus), je ne les utilise ici que pour souligner l’intensité particulière et poignante de ces termes. »

    Parfois ils parlaient français – « la seule langue étrangère que je parle bien » – mais « sa » Maryna s’écrie « Oh, ne parlons plus français ! » et la narratrice de commenter : « Quel dommage, parce que c’était elle qui parlait le français le plus vivant. Elle avait une voix grave qui s’attardait de façon délicieuse sur les voyelles finales. » Ses gestes, son aisance, tout lui plaît, comme si elle tombait amoureuse de son héroïne.

    Aucun alinéa dans les premières pages de ce chapitre Zéro. Tout est fluide, la vision, l’écoute, la recherche des mots, l’évocation d’un souvenir, et le récit revient toujours à la femme qu’elle a décidé d’appeler Maryna, à propos de qui quelqu’un parle de « symbole national ». Une actrice, « cela expliquerait pourquoi sa grande allure s’imposait aux autres comme de la beauté ; les gestes précis, le regard impérieux ; et la façon dont parfois elle ruminait et hésitait, sans conséquences. »

    En même temps, elle finit par donner un prénom, une profession, à certains de ceux qui l’entourent. L’un a « tout du médecin dans une pièce de Tchekhov », l’autre, qui interrompt le brouhaha pour leur faire écouter le bruit de la grêle, sera un régisseur de théâtre, « car il s’inquiétait de trouver des effets ». Maryna « les ensorcelait ». « Je me demandai si elle pouvait m’ensorceler, si j’étais comme eux, pas seulement quelqu’un qui les observait, qui essayait de les percer à jour. Je pensais avoir le temps pour leurs sentiments, leur histoire ; et la mienne. »

    Maryna pouvait tout se permettre, porter un pantalon comme George Sand, jouer merveilleusement Rosalinde, et aussi Nora ou Hedda Gabler, si elle acceptait ces rôles. La narratrice se rappelle la première fois qu’elle a vu de près, dans un grand restaurant où un riche soupirant l’avait invitée, une diva en compagnie d’un homme âgé, et qu’elle l’a entendue lui dire : « Monsieur Bing. (Pause) Soit nous faisons les choses à la manière de la Callas, soit nous ne les faisons pas du tout. »

    Voilà qui vous donne une idée, j’espère, de cette vingtaine de premières pages formidables d’En Amérique où Susan Sontag glisse entre parenthèses, après s’être demandé pourquoi quelqu’un suit quelqu’un d’autre ou refuse de le suivre : « Ecrire c’est comme suivre et conduire, en même temps. » Nous, lectrices et lecteurs, pouvons la suivre ou non. Pour ma part, je ne céderai pas ma place de passagère dans ce voyage imaginaire où la romancière nous emmène à la rencontre de ses personnages inspirés par la célèbre actrice et son entourage.

    Fin du chapitre Zéro : « On peut espérer se trouver parmi des gens au grand cœur, la passion est une belle chose, ainsi que la compréhension, la possibilité de comprendre quelque chose, ce qui est une passion, ce qui est un voyage aussi. Les serveurs apportaient leurs manteaux à Maryna et aux autres. Ils s’apprêtaient à partir. Avec un frisson d’anticipation, je décidai de les suivre à l’extérieur, dans le monde. »

  • J'aime tant vivre !

    camus,maria casarès,correspondance,amour,littérature française,théâtre,écriture,culture« Il y a d’autres joies aussi, plus raffinées, plus profondes, plus humaines ; celle de la fidélité par exemple ; celle de l’expérience, celle des riches souvenirs ; celle de la nostalgie ; celle du goût de l’effort toujours renouvelé ; celle de l’unité et de la promesse d’une existence qu’il faut créer jusqu’au bout dans un désintéressement sans égal ; celle de l’idée du retour de la douleur de chaque jour près d’un être si cher, qui tient dans sa main des bonheurs infinis, celle d’un amour, enfin, confirmé, vécu et à vivre encore et toujours. J’aime, j’aime cet âge nouveau ; j’aime découvrir ses plaisirs enfouis, mouillés, délicats, sombres et rayonnants à la fois. J’aime tant vivre ! »

    M. (21 août 1952)

    Albert Camus & Maria Casarès, Correspondance 1944-1959, Gallimard, 2017.

    Portrait de Maria Casarès par Leonor Fini, 1955

  • Camus à Casarès

    Une correspondance très intime, telle fut ma première impression en lisant la Correspondance d’Albert Camus et Maria Casarès. De quel droit lire ces lettres d’amour, me suis-je demandé. La proximité dans le temps ? (Lui est mort en 1960, elle en 1996.) Cela ne m’était pas venu à l’esprit en lisant les Lettres de la duchesse de La Rochefoucauld à William Short ou la correspondance entre Camille Claudel et Rodin, Virginia Woolf et Vita Sackville-West, Marina Tsvetaïeva et Rilke, Tchekhov et Olga Knipper ou encore les Lettres à Milena de Kafka.

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    Catherine Camus, la fille de l’écrivain, rappelle dans l’Avant-propos qu’ils sont devenus amants « à Paris le 6 juin 1944, jour du débarquement allié ». L’actrice Maria Casarès, 21 ans, jouait Martha dans Le malentendu de Camus. Elle vivait à Paris depuis 1936, son père, « plusieurs fois ministre et chef du gouvernement de la Seconde République espagnole » ayant été contraint à l’exil par Franco. Camus, 30 ans, « séparé de sa femme Francine Faure par l’occupation allemande, était engagé dans la Résistance. »

    Ils se séparent quand Francine Faure peut rejoindre son mari, en octobre 1944. Le 6 juin 1948, Camus et Casarès « se croisent boulevard Saint-Germain, se retrouvent et ne se quittent plus », même si la vie, le théâtre les éloignent souvent l’un de l’autre. Cette correspondance révèle un amour « irrésistible », raconte la vie d’une « très grande actrice » et celle des comédiens à la Comédie-française, au TNP. Camus partage sa passion pour le théâtre. Malgré ses ennuis de santé, il poursuit son travail d’écrivain, se soucie de sa femme et de leurs deux enfants. En conclusion de l’avant-propos, sa fille, qui a « longuement résisté » à cette publication d’après Le Monde, conclut : « Merci à eux deux. Leurs lettres font que la terre est plus vaste, l’espace plus lumineux, l’air plus léger simplement parce qu’ils ont existé. »

    Ce sont des écrits vraiment très personnels, passionnés, sans pose. Les déclarations amoureuses sont ardentes, ils se sentent faits l’un pour l’autre : « Or ce que tu es, est ce que j’aurais rêvé d’être si j’étais née homme » (Maria à Albert, août 48). Après les épanchements des débuts, ils abordent aussi d’autres sujets. En particulier la littérature, il est vrai, à travers le théâtre, l’écriture, leurs lectures ; cette correspondance est un témoignage de premier plan sur les années qu’ils ont traversées ensemble.

    Je me suis souvent réjouie à la lecture des lettres de Maria Casarès, pleines de vitalité. Elle remonte régulièrement le moral d’Albert Camus, le rassure quand il s’inquiète après plusieurs jours sans nouvelles, raconte les succès et les fours, les tournées, les rencontres, les détails du quotidien à la rue de Vaugirard où elle vit avec son père (sa mère est décédée en 1946) et un couple de domestiques attentionnés. Maria Victoria, comme elle signe parfois, a son franc-parler, beaucoup d’humour et une certaine sagesse dans sa vie folle. « Quant à toi, en prenant le train, le bateau, pour revenir, laisse là tes inquiétudes. Arme-toi bien. Et reviens vite dans l’exigence pour toi, pour moi, à la rigueur ; mais dans l’indulgence totale pour les autres, ou dans l’humour. C’est la seule manière de vivre quand on est incapable d’adopter un destin de pierre. » (23 décembre 1952)

    Maria Casarès n’est pas tendre pour les Belges quand elle vient jouer en Belgique. Comme à Camus, il lui faut la lumière du Sud, du soleil pour renaître chaque jour. La personnalité de l’écrivain, quoique grand amoureux, apparaît plus sombre, plus tourmentée. « J’avais rêvé d’une vie plus simple et plus droite. Sur ce point, je dois m’en prendre à moi, c’est un échec. Mais je n’avais jamais rêvé que ma vie puisse être remplie par un être comme elle l’est par toi. C’est pourquoi je suis heureux de vivre, j’aime ma chance, je suis plein de gratitude. » (8 juillet 1955)

    Bien sûr, leur correspondance est si abondante (865 lettres) parce qu’ils vivaient souvent séparés. S’écrire, c’est leur manière de s’aimer, d’entretenir la flamme. Ce n’est pas toujours facile avec la vie qu’ils mènent, chacun de leur côté, engagés à fond dans leur carrière. Ils parlent beaucoup d’eux-mêmes, des personnes qu’ils côtoient dans leurs activités et leurs déplacements, de leurs amis, des endroits où ils mangent, où ils logent. De leur joie du temps qu’ils viennent de passer ensemble, de leur impatience à se retrouver.

    Ce tourbillon amoureux est brutalement interrompu par la mort accidentelle de Camus le 4 janvier 1960. Dans sa dernière lettre à Camus, datée du soir de Noël 1959, Maria Casarès écrivait : « Je t’attends. Je t’attends, ronde et souriante, la cuisse alourdie par l’absence des planches. Et en attendant, je t’embrasse à perdre haleine. » Le 30 décembre 1959, Albert Camus lui écrit pour annoncer son arrivée ; il lui donne rendez-vous pour dîner ensemble le mardi, « en principe, pour faire la part des hasards de la route ».