Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Littérature anglaise - Page 60

  • L'instant papillon

    « Au reste, des doigts accoutumés à manier le stylo brûlent de l’envie de recommencer : il est nécessaire d’écrire si on ne veut pas que les jours s’écoulent en vain. Comment, sinon, capturer le papillon de l’instant ? Sitôt passé, l’instant est oublié ; l’état d’esprit s’est enfui ; la vie elle-même s’est enfuie. En cela, l’écrivain possède un avantage par rapport à ses semblables, lui qui saisit au vol ses changements d’humeur. L’évolution a quelque chose d’exaltant, de dynamique et aussi d’inquiétant. Evolution de l’âme, évolution de l’esprit : nos observations de l’année dernière nous apparaissent puériles, superficielles ; cette année – cette semaine – maintenant, avec cette remarque  –, nous croyons avoir atteint un nouveau degré de maturité. Certitude trompeuse, peut-être, mais stimulante, et qui du moins nous empêche de stagner. »

    Vita Sackville-West, Une aristocrate en Asie

    sackville-west,une aristocrate en asie,récit de voyage,littérature anglaise,écriture,culture

     

     

  • La route bakhtyar

    Ces derniers temps, les livres m’emmènent en Asie, cette fois pour un véritable récit de voyage de Vita Sackville-West avec son époux, Harold Nicolson, diplomate en poste à Téhéran. Une aristocrate en Asie (1928) est le « récit d’un voyage en pays bakhtyar, dans le sud-ouest de la Perse ». Il lui a fallu du temps pour « extraire un livre de ce voyage », mais « il est nécessaire d’écrire si on ne veut pas que les jours s’écoulent en vain ». 

    Femme au chapeau rouge (William Strang).jpg
    Vita Sackville-West - Lady in a red hat, William Strang, 1918

    En préparant leur itinéraire à l’aide de cartes lacunaires et d’une « poignée de lettres » évoquant les difficultés et les dangers de la route bakhtyar, ils sont persuadés de posséder une énergie et une résistance suffisantes pour entreprendre ce voyage. Les nomades Bakhtyari ne disposent pas d’une route à proprement parler, même s’ils le prétendent ; il s’agit d’une piste, voire d’un sentier qui monte et descend tour à tour « dans une région sauvage et montagneuse ». Ils sont cinq Occidentaux à se lancer dans l’aventure, le couple accompagné de Gladwyn Jebb, Copley Amory (de la légation américaine à Téhéran) et Lionel Smith.
     

    Départ d’Ispahan à la nouvelle lune, en avril. Vita rêve de trouver en route des bulbes de ces « petits iris pourpre et or » qu’elle a admirés au bord d’un ruisseau. Le voyage commence en voiture, à l’étape ils cherchent une chambre à louer, on les réveille à l’aube. La caravane de chameaux les précède. « L’aube, l’espace, la caravane : là était la beauté immémoriale de la Perse, encadrée par l’ouverture carrée de cette fenêtre ménagée si haut dans la muraille, la falaise de Yezd-i-Khast. »

    Après une journée de route « cahin-caha, de bourgade en bourgade », le terrain devient impraticable, les pneus crèvent l’un après l’autre. Les voyageurs n’ont pas voulu emprunter la route de Téhéran à Chiraz, trop centrale : « Au fond de moi, je veux aller là où aucun Blanc ne s’est jamais rendu, loin, très loin des endroits qui figurent sur les cartes. La planète est trop petite, trop explorée, et le cinéma trop actif. » Après une région peuplée et prospère, voilà « la désolation des hautes terres » où ils croisent parfois un berger. Vita est comblée par « le vide et la nudité » des paysages. A Shalamzar, elle voit des femmes « occupées à recopier un ancien tapis de soie bakhtyar – le plus beau tapis que j’aie vu de toute la Perse. »

    Bientôt on n’avance plus qu’à pied pour atteindre les trois mille mètres d’altitude, monter, descendre. Plus de maison où s’abriter, on dresse des tentes. On redécouvre les besoins essentiels. « Il suffit de s’égarer dans les montagnes, en Asie, pour se rendre compte qu’une source ou un ruisseau importent plus que la splendeur du panorama. Sans oublier le combustible : dans la fraîcheur de la nuit, les flammes d’un bon feu sont un luxe à ne pas négliger. Au bout d’un jour ou deux, on en vient très vite à des considérations matérielles. »

    Vita Sackville-West aurait voulu marcher d’un bout à l’autre, mais des orteils meurtris, des ampoules aux talons l’obligent à s’avouer vaincue. Elle jette alors son dévolu sur la plus petite mule de la caravane, appelée la Souris en raison de sa couleur, et qui se révèle une monture idéale. Averses, éclaircies, orages. La montagne offre ses décors, quelques rencontres, des haltes bienfaisantes. C’est à regret, à la fin de la route, que la voyageuse observe les mulets en attente, qui agitent leurs cloches et lancent des coups d’oreilles aux mouches. Le retour dans la plaine signifie le retour à la civilisation de la vitesse et de la technologie : route goudronnée, téléphone, champs de pétrole. Où sont la splendide Persépolis, Palmyre, « fille de bédouins qui rit parce qu’elle est habillée en dame romaine » ? 

    Une aristocrate en Asie – douze jours dans les montagnes de Perse dans les années 1920 – nous en apprend autant sur ces voyageurs anglais déterminés à explorer des pays lointains que sur le pays bakhtyar lui-même. Si ses interrogations sur l’avenir des Persans trahissent l’idéologie de son milieu, l'amie de Virginia Woolf a le bon goût de ne pas se prendre trop au sérieux, elle assume sa part de snobisme (ah, étiqueter dans son jardin les plantes venues de très loin qui s’y sont acclimatées !) et tâche de se montrer impartiale – en aristocrate.

     

  • Norfolk

    « Ça peut paraître bête, mais vous devez vous souvenir que pour nous, à ce stade de nos vies, tout lieu situé au-delà de Hailsham était comme un pays imaginaire ; nous n’avions que les notions les plus vagues du monde du dehors et de ce qui y était ou non possible. D’ailleurs, nous ne prîmes jamais la peine d’examiner en détail notre théorie sur Norfolk. Ce qui était important pour nous, comme le dit Ruth un soir où nous étions assises dans cette chambre carrelée à Douvres, contemplant le coucher du soleil, c’était que « quand nous perdions quelque chose de précieux, et le cherchions sans relâche, et ne le retrouvions toujours pas, notre cœur n’en était pas totalement brisé. Il nous restait encore cette dernière bribe de consolation, l’idée qu’un jour, lorsque nous serions grands, et libres de voyager dans le pays, nous pourrions toujours aller le récupérer à Norfolk ». » 

    Kazuo Ishiguro, Auprès de moi toujours

    ishiguro,auprès de moi toujours,roman,littérature anglaise,anticipation,don d'organes,éducation,amour,amitié,culture

     

     

  • Troublant Ishiguro

    Dans Les Vestiges du jour, Kazuo Ishiguro décrit une certaine société anglaise des années cinquante à travers les yeux et les oreilles d’un majordome hyperattentif aux nuances de la hiérarchie sociale. Dans Un artiste du monde flottant, la maison d’un vieux peintre japonais sert de cadre à de multiples observations sur l’art et l’existence, à la fin des années quarante. Auprès de moi toujours (Never let me go, 2005, traduit de l’anglais par Anne Rabinovitch), quoique à nouveau très différent, et situé à une époque plus récente, reprend d’une autre manière l’exploration des liens qui se tissent au long d’une vie, qui en tissent la trame, au fond, pour chacun de nous. 

    ishiguro,auprès de moi toujours,roman,littérature anglaise,anticipation,don d'organes,éducation,amour,amitié,culture

    « L’Angleterre à la fin des années quatre-vingt-dix », précise l’auteur, avant de laisser la parole à Kathy H., trente et un ans, « accompagnante depuis maintenant plus de onze ans », avec succès puisque « les donneurs » dont elle s’occupe sont très satisfaits de son travail, et récupèrent plutôt mieux que prévu. Certains accompagnants lui envient le droit de choisir ses patients, issus en majorité de Hailsham où elle a étudié. C’est grâce à cette liberté qu’elle a retrouvé Ruth et Tommy, après bien des années. Ruth était sa meilleure amie à Hailsham, et quand elles se revoient au centre de convalescence à Douvres, leurs différences et leurs désaccords d’antan leur paraissent bien moins importantes que le fait d’avoir grandi à Hailsham, de savoir et de se rappeler « des choses ignorées de tous ». 
     

    A d’autres anciens qui l’interrogeaient, Kathy a déjà raconté leurs gardiens, leurs coffres à collection, le petit sentier qui contournait la maison principale, l’étang, la nourriture, « la vue de la salle de dessin sur les champs par une matinée de brouillard », les pavillons de sport… « C’est alors que j’ai compris, réellement compris, la chance que nous avions eue – Tommy, Ruth, moi, nous tous. » Les souvenirs de Hailsham affleurent tout au long de la première partie, avec les premiers temps de leur amitié : les « échanges » d’objets entre internes, les « ventes », les colères de Tommy, harcelé par des garçons. Un jour, il avoue à Kathy s’en être sorti grâce à une conversation particulière avec Miss Lucy. Tommy éprouvait alors des difficultés à être « créatif » au cours de dessin, mais selon elle, il n’avait pas à s’en faire, un jour il franchirait un cap et s’épanouirait. En tremblant de rage, Miss Lucy avait insinué devant Tommy qu’on ne leur en apprenait pas assez sur leur avenir, « les dons et le reste ». Son attitude l’avait surpris.
     

    Hailsham n’est pas qu’une école ou un internat. Ses élèves n’ont pas de famille. Hailsham est leur famille. Les relations avec les autres y prennent donc beaucoup d’importance. C’est Ruth la meneuse qui a incorporé Kathy dans « la garde secrète » de Miss Geraldine. C’est Ruth aussi qui va chercher par tous les moyens à retrouver une cassette à laquelle Kathy tenait énormément, un album de Judy Bridgewaters, en particulier une chanson : Auprès de moi toujours – « Oh, bébé, mon bébé, auprès de moi toujours… » A onze ans, cette chanson la bouleverse à chaque fois qu’elle l’écoute, et elle se fait surprendre un jour dans le dortoir où elle danse seule, les yeux fermés, avec un coussin dans les bras, par « Madame », la destinataire des plus beaux travaux créatifs prélevés à Hailsham, pour sa mystérieuse « Galerie ». Deux mois après, la cassette disparait.
     

    A la fin de leur formation, à seize ans, les élèves ont compris que leurs vies sont « toutes tracées » et qu’ils n’auront jamais d’enfants ; une fois adultes, ils vont commencer à donner leurs organes vitaux – « C’est pour cela que chacun de vous a été créé. » Avant cela, on les envoie aux « Cottages » où ces jeunes ont plus de liberté, sur tous les plans. Ils peuvent à présent partir seuls en excursion, et Kathy et Tommy, devenu entre-temps le petit ami de Ruth, accompagnent celle-ci avec de plus anciens à Norfolk, à la recherche d’un « possible », quelqu’un ayant vu là-bas une femme qui correspond à « l’avenir de rêve » de Ruth : travailler dans un bureau paysager étincelant, plein de gens qui s’entendent bien.
     

    La dernière partie du récit se recentre sur le travail de Kathy comme accompagnante. Avant leurs dons, les donneurs peuvent se former dans ce but, et repousser ainsi de quelques années leur destin. La solitude de l’accompagnant est grande, mais Kathy aime cette vie de déplacements, de soutien aux donneurs, et elle y excelle. Elle accompagne Ruth, puis Tommy, avec qui elle tente de vérifier une rumeur secrète : les couples issus de Hailsham, s’ils sont vraiment amoureux, auraient droit à un sursis. 
     

    Auprès de moi toujours est un roman d’anticipation troublant, adapté au cinéma en 2010. Sans entrer dans les schémas reconnaissables de la science-fiction, Ishiguro distille lentement les principes d’une organisation au service des dons d’organes. Mais l’attention se focalise d'emblée sur les liens entre les pensionnaires de Hailsham et sur leurs sentiments, dans le trio surtout. Peu à peu, le lecteur partage les questions que se posent ces jeunes gens sur les non-dits de leur éducation très entourée, sur les objectifs de leur formation à la créativité – « Pourquoi tous ces livres et ces discussions ? » Le plus étonnant, c’est sans doute la docilité des protagonistes, leurs révoltes trop rares, la nostalgie d’Hailsham agissant sur eux comme une drogue. Sont-ils si différents des autres ?

  • L'art est long

    « En résumé, c’est par l’apprentissage des siècles qu’un artiste naît dans l’atelier du monde. »

    william morris-morris&co-1885-medway.jpg

    « L’art est long et la vie est brève ; réalisons au moins quelque chose avant de mourir. »

    William Morris, L’art et l’artisanat