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Passions - Page 511

  • Histoires vraies

    « Les histoires que l’on me racontait étaient-elles plus vraies que celles que je fabriquais moi-même à partir de souvenirs épars, de suppositions et de choses apprises en écoutant aux portes ? Les histoires inventées devenaient parfois vraies au fur et à mesure, et nombre d’histoires inventaient la vérité. »

     

    Katharina Hagena, Le goût des pépins de pommes

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  • Un jardin enchanté

    Jolie couverture pour Le goût des pépins de pomme, un premier roman à succès de Katharina Hagena (2008, traduit de l’allemand par Bernard Kreiss) : une gravure botanique de Friedrich Guimpel (XVIIIe) – Pomme (Pyrus Malus) – reprise aussi dans le format de poche. Les pommiers de cox orange ou de boscop tiennent une belle place dans cette histoire de famille, et le verger, le jardin, la maison dont Iris Berger, bibliothécaire à Fribourg, hérite de sa grand-mère.

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    Pissarro, La cueillette des pommes © Ohara Museum of Art (Japon) 

    « La mémoire ne nous servirait à rien si elle fût rigoureusement fidèle » (Paul Valéry) : l’épigraphe indique la trame profonde du récit, nourri des souvenirs de trois générations de femmes. La maison des grands-parents à Bootshaven, dans le nord de l’Allemagne, Iris la redécouvre aux obsèques de sa grand-mère Bertha. Elle y revoit sa tante Harriet qu’elle n’a plus revue depuis treize ans, depuis un autre enterrement, celui de sa fille Rosemarie, pendant lequel Iris s’était évanouie.

     

    Pourquoi Bertha n’a-t-elle pas légué sa maison à sa fille Christa ? En ouvrant les portes, de pièce en pièce, Iris se souvient de tant de choses. Veut-elle de cette maison pleine de livres et de robes d’antan ? Pas vraiment. Elle préfère enfourcher son vélo et pique-niquer à l’écluse. Là, pour la première fois mais pas la dernière, Iris se fait surprendre par Max, l’avoué, le frère de Mira, son amie d’enfance et surtout l’amie de Rosemarie.

     

    Dans la famille d’Iris, les femmes ont des dons particuliers. Sa tante Inga, née en plein orage, dégage de l’électricité au moindre contact. La belle Inga porte des bijoux d'ambre. La jeune bibiothécaire s’étonne de trouver la maison et le jardin de Bertha si bien en ordre, alors que sa grand-mère a terminé sa vie dans un home, mais l’arrivée de M. Lexow, l’ancien instituteur, éclaire la situation : il en a les clés, il a aimé Bertha, il prétend même être le père de sa tante Inga, sans en avoir jamais eu la confirmation, fruit d’une nuit d’amour sous le pommier.

     

    D’après la légende familiale, c’était pourtant Anna qui était amoureuse de lui, Anna qui mangeait tout des pommes, même les pépins qu’elle mâchonnait, Anna morte à seize ans d’une pneumonie. Sa sœur Bertha a épousé Hinnerk, le fils de l’aubergiste, qui deviendra notaire. Et c’est d’un pommier que Bertha est tombée, beaucoup plus tard. Alors elle a commencé à changer, à oublier, à fuguer.

     

    Iris a besoin de quelques jours pour prendre une décision, elle prolonge son congé. Chaque fois qu’elle prend son vélo pour aller se baigner quelque part, Max Ohmstedt surgit, mais lui prétend que c’est elle qui hante ses endroits préférés. Il lui apprend que Mira travaille comme juriste à Berlin, et que l’adolescente qui ne portait et ne mangeait que du noir n’en a plus jamais porté depuis la mort de Rosemarie. Max aide Iris à repeindre la maisonnette du jardin où elle a découvert sur un mur le mot « nazi » en lettres rouges. Son grand-père a été « dénazifié » après la guerre ; dans un tiroir de son bureau, elle découvre un carnet de poèmes. Que sait-elle vraiment de lui ?

     

    Iris porte tour à tour, selon l’inspiration du moment, les robes anciennes de sa mère et de ses tantes : la verte, la dorée, la vaporeuse… Elle se souvient de ses jeux, parfois cruels, avec Rosemarie et Mira, se remémore les tensions, les drames de leur jeunesse. « Quiconque oublie le temps cesse de vieillir. L’oubli triomphe du temps, ennemi de la mémoire. Car le temps, en définitive, ne guérit toutes les blessures qu’en s’alliant à l’oubli. » .

     

    Katharina Hagena convoque tous les sens dans Le goût des pépins de pommes, ce qui donne au récit sa texture particulière où le concret flirte avec l’imaginaire. Sous le pommier, l’herbe fauchée accueillera-t-elle d’autres amours ? Dans la maison de sa grand-mère, le passé et l’avenir d’Iris prennent la forme de questions dont les clés, sans doute, se cachent dans un jardin enchanté.

  • Spectacle permanent

    « Or l’essentiel de la vie des sacs se déroule dans d’autres contextes. Dans l’éclat des apparences, le plaisir des mises en scène, l’art quotidien de la silhouette. L’âme des sacs est le plus souvent colorée et joyeuse ; les sacs sont un spectacle permanent. » 

    Jean-Claude Kaufmann, Le sac

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    Ammi Philips (1788-1865)
    Portrait de Harriet Leavens

     

     

     

  • Leurs sacs et elles

    Léger ou pesant, le sac que la plupart des femmes et quelques hommes trimbalent avec eux où qu’ils aillent est pour le sociologue Jean-Claude Kaufmann « un formidable laboratoire ambulant ». Malgré son sous-titre ridicule (Un petit monde d’amour), Le sac (2011) allait-il m’apprendre quelque chose sur cet accessoire dont le choix n’est pas si simple ? 

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    Allons-y pour « faire parler les sacs ». Le sociologue a enquêté dix-huit mois sur le sujet, et son essai se nourrit largement des témoignages récoltés via Psychologies magazine, « 75 récits de sacs ». Les hommes le ressentent comme un territoire interdit, la plupart des femmes en font leur domaine intime, personnel, inviolable. 
     

    Ce « compagnon des temps creux » abrite en plus du portefeuille toutes sortes de choses, des papiers avec des listes, des carnets, mais aussi des grigris, des porte-bonheur, un livre, des cailloux même, voire des chaussures de rechange. Pourquoi transporter tant de choses avec soi ? « Les femmes sont des êtres relationnels » beaucoup plus que les hommes, elles ont dans leur sac de quoi aider, soigner, réparer, recoudre, elles portent pour elles mais aussi pour les autres.
     

    Que met-on dans son sac ? Qu’est-ce qui se cache dans leurs profondeurs ? Pourquoi n’y retrouve-t-on pas tout de suite son téléphone, ses clés, souvent repérés au toucher ? Pourquoi si peu de poches dans les sacs – même si les fabricants commencent à répondre à cette demande d’organisation ? Kaufmann convient que la majorité se situe entre les « ultra-maniaques » et les « ultra-bordéliques ». Les femmes qui lui ont écrit classent elles-mêmes le contenu de leur sac à main en choses essentielles et optionnelles, permanentes ou occasionnelles.
     

    « Le style n’est pas qu’affaire de style. Il est aussi affaire d’identité. » On porterait un sac à son image. Acheté en vacances, il rappelle le plaisir d’une évasion, de bons moments. La mode, bien sûr, encourage la recherche de la distinction (ou du conformisme) – le sac, enjeu commercial et guerre des marques, entre dans le jeu social. Comment le porter ? Le sac à l’épaule lancé par Coco Chanel en 1929, plus pratique, est devenu l’usage ordinaire, mais pour l’élégance il se porte au creux du coude ou sur le poignet relevé.

     

    Le sac se ferme, il s’ouvre, il dissimule. « Petite maison portative », il peut contenir de quoi boire, de quoi manger, de quoi écrire… « au cas où ». Pourquoi s’infliger une telle charge ? Au nom de l’égalité entre hommes et femmes, certaines se proclament « anti-sac » et s’en passent, d’autres optent pour le sac à dos qui laisse les mains libres. Si certaines se réjouissent de partir se promener sans sac, allégées, d’autres éprouvent comme un sentiment d’amputation en l’absence de leur sac à main.
     

    Besace, sacoche, pochette, « le sac fait la femme », ose Kaufmann. Son format change avec l’âge : le sac léger de jeune fille s’alourdit avec le temps, et plus tard, à l’approche de la soixantaine, s’allège à nouveau. Les vieilles femmes, dans leur résidence pour personnes âgées, s’accrochent avec dignité à ce sac devenu poids plume, « le dernier visage de leur identité ».
     

    Les hommes à sacs sont plus rares, parfois efféminés, souvent à la recherche du fonctionnel. Le sac à dos ou le sac de sport, dont le format tend actuellement à se réduire, amorce-t-il un changement, une appropriation du sac par la gent masculine friande d'accessoires technologiques ?
     

    L’essai de Jean-Claude Kaufmann (un homme à cartable) est bourré d’anecdotes, de témoignages, il se lit comme un magazine, avec son lot d’informations, d’amusements et de niaiseries. Pris la main dans le sac par quelques blogueuses, le sociologue de la vie quotidienne veut montrer la complexité d’un sujet qui est à la fois « dehors » et « dedans ». Rien de neuf, il me semble, pour qui a une longue expérience des sacs. Mais admettons tout de même qu’à lire les vicissitudes de cet objet quasi obligé de la féminité, nous nous interrogeons quelquefois, sur les autres et sur nous-mêmes, en toute légèreté.

     

  • Lune d'automne

    « A propos d’Ishiyama, voici une autre histoire curieuse : au terme d’une longue hésitation sur le choix de l’endroit où j’irais, cette année, voir la lune d’automne, j’avais opté finalement pour le monastère d’Ishiyama ; or, la veille de la pleine lune, je découvris dans un journal une information selon laquelle, pour ajouter au plaisir des visiteurs qui viendraient au monastère le lendemain soir pour contempler la lune, on avait dispersé dans les bois des haut-parleurs qui diffuseraient un enregistrement de la Sonate au clair de lune. Cette lecture me fit sur-le-champ renoncer à mon excursion à Ishiyama. Un haut-parleur est un fléau en soi, mais j’étais persuadé que, si l’on en était là, on avait certainement fait bonne mesure et illuminé la montagne de lampes électriques artistiquement réparties pour créer l’ambiance. » 

    Junichirô Tanizaki, Eloge de l’ombre  

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