Léger ou pesant, le sac que la plupart des femmes et quelques hommes trimbalent avec eux où qu’ils aillent est pour le sociologue Jean-Claude Kaufmann « un formidable laboratoire ambulant ». Malgré son sous-titre ridicule (Un petit monde d’amour), Le sac (2011) allait-il m’apprendre quelque chose sur cet accessoire dont le choix n’est pas si simple ?
Allons-y pour « faire parler les sacs ». Le sociologue a enquêté dix-huit mois sur le sujet, et son essai se nourrit largement des témoignages récoltés via Psychologies magazine, « 75 récits de sacs ». Les hommes le ressentent comme un territoire interdit, la plupart des femmes en font leur domaine intime, personnel, inviolable.
Ce « compagnon des temps creux » abrite en plus du portefeuille toutes sortes de choses, des papiers avec des listes, des carnets, mais aussi des grigris, des porte-bonheur, un livre, des cailloux même, voire des chaussures de rechange. Pourquoi transporter tant de choses avec soi ? « Les femmes sont des êtres relationnels » beaucoup plus que les hommes, elles ont dans leur sac de quoi aider, soigner, réparer, recoudre, elles portent pour elles mais aussi pour les autres.
Que met-on dans son sac ? Qu’est-ce qui se cache dans leurs profondeurs ? Pourquoi n’y retrouve-t-on pas tout de suite son téléphone, ses clés, souvent repérés au toucher ? Pourquoi si peu de poches dans les sacs – même si les fabricants commencent à répondre à cette demande d’organisation ? Kaufmann convient que la majorité se situe entre les « ultra-maniaques » et les « ultra-bordéliques ». Les femmes qui lui ont écrit classent elles-mêmes le contenu de leur sac à main en choses essentielles et optionnelles, permanentes ou occasionnelles.
« Le style n’est pas qu’affaire de style. Il est aussi affaire d’identité. » On porterait un sac à son image. Acheté en vacances, il rappelle le plaisir d’une évasion, de bons moments. La mode, bien sûr, encourage la recherche de la distinction (ou du conformisme) – le sac, enjeu commercial et guerre des marques, entre dans le jeu social. Comment le porter ? Le sac à l’épaule lancé par Coco Chanel en 1929, plus pratique, est devenu l’usage ordinaire, mais pour l’élégance il se porte au creux du coude ou sur le poignet relevé.
Le sac se ferme, il s’ouvre, il dissimule. « Petite maison portative », il peut contenir de quoi boire, de quoi manger, de quoi écrire… « au cas où ». Pourquoi s’infliger une telle charge ? Au nom de l’égalité entre hommes et femmes, certaines se proclament « anti-sac » et s’en passent, d’autres optent pour le sac à dos qui laisse les mains libres. Si certaines se réjouissent de partir se promener sans sac, allégées, d’autres éprouvent comme un sentiment d’amputation en l’absence de leur sac à main.
Besace, sacoche, pochette, « le sac fait la femme », ose Kaufmann. Son format change avec l’âge : le sac léger de jeune fille s’alourdit avec le temps, et plus tard, à l’approche de la soixantaine, s’allège à nouveau. Les vieilles femmes, dans leur résidence pour personnes âgées, s’accrochent avec dignité à ce sac devenu poids plume, « le dernier visage de leur identité ».
Les hommes à sacs sont plus rares, parfois efféminés, souvent à la recherche du fonctionnel. Le sac à dos ou le sac de sport, dont le format tend actuellement à se réduire, amorce-t-il un changement, une appropriation du sac par la gent masculine friande d'accessoires technologiques ?
L’essai de Jean-Claude Kaufmann (un homme à cartable) est bourré d’anecdotes, de témoignages, il se lit comme un magazine, avec son lot d’informations, d’amusements et de niaiseries. Pris la main dans le sac par quelques blogueuses, le sociologue de la vie quotidienne veut montrer la complexité d’un sujet qui est à la fois « dehors » et « dedans ». Rien de neuf, il me semble, pour qui a une longue expérience des sacs. Mais admettons tout de même qu’à lire les vicissitudes de cet objet quasi obligé de la féminité, nous nous interrogeons quelquefois, sur les autres et sur nous-mêmes, en toute légèreté.