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  • Une seule beauté

    Rodin L'art 1967.jpg« Le dessin, le style vraiment beaux sont ceux qu’on ne pense même pas à louer, tant on est pris par l’intérêt de ce qu’ils expriment. De même, pour la couleur. Il n’y a réellement ni beau style, ni beau dessin, ni belle couleur : il n’y a qu’une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle. Et quand une vérité, quand une idée profonde, quand un sentiment puissant éclate dans une œuvre littéraire ou artistique, il est de toute évidence que le style ou la couleur et le dessin en sont excellents ; mais cette qualité ne leur vient que par reflet de la vérité. »

    Auguste Rodin, L’Art, entretiens réunis par Paul Gsell, Grasset, 1911.

  • S'intéresser à l'art

    « — Quel original vous faites ! me dit-il. Vous vous intéressez donc encore à l’art. C’est une préoccupation qui n’est guère de notre temps. 

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    Aujourd’hui les artistes et ceux qui les aiment font l’effet d’animaux fossiles. Figurez-vous un megatherium ou un diplodocus se promenant dans les rues de Paris. Voilà l’impression que nous devons produire sur nos contemporains.

    Notre époque est celle des ingénieurs et des usiniers, mais non point celle des artistes.

    L’on recherche l’utilité dans la vie moderne : l’on s’efforce d’améliorer matériellement l’existence : la science invente tous les jours de nouveaux procédés pour alimenter, vêtir ou transporter les hommes : elle fabrique économiquement de mauvais produits pour donner au plus grand nombre des jouissances frelatées : il est vrai qu’elle apporte aussi des perfectionnements réels à la satisfaction de tous nos besoins.

    Mais l’esprit, mais la pensée, mais le rêve, il n’en est plus question. L’art est mort.

    L’art, c’est la contemplation. C’est le plaisir de l’esprit qui pénètre la nature et qui y devine l’esprit dont elle est elle-même animée. C’est la joie de l’intelligence qui voit clair dans l’univers et qui le recrée en l’illuminant de conscience. L’art, c’est la plus sublime mission de l’homme, puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre.

    Mais aujourd’hui l’humanité croit pouvoir se passer d’art. Elle ne veut plus méditer, contempler, rêver : elle veut jouir physiquement. Les hautes et les profondes vérités lui sont indifférentes : il lui suffit de contenter ses appétits corporels. L’humanité présente est bestiale : elle n’a que faire des artistes.

    L’art, c’est encore le goût. C’est, sur tous les objets que façonne un artiste, le reflet de son cœur. C’est le sourire de l’âme humaine sur la maison et sur le mobilier… C’est le charme de la pensée et du sentiment incorporé à tout ce qui sert aux hommes. Mais combien sont-ils ceux de nos contemporains qui éprouvent la nécessité de se loger ou de se meubler avec goût ? Autrefois, dans la vieille France, l’art était partout. Les moindres bourgeois, les paysans même ne faisaient usage que d’objets aimables à voir. Leurs chaises, leurs tables, leurs marmites, leurs brocs étaient jolis. Aujourd’hui l’art est chassé de la vie quotidienne. Ce qui est utile, dit-on, n’a pas besoin d’être beau. Tout est laid, tout est fabriqué à la hâte et sans grâce par des machines stupides. Les artistes sont les ennemis.

    Ah ! mon cher Gsell, vous voulez noter les songeries d’un artiste. Laissez-moi vous regarder : vous êtes un homme vraiment extraordinaire ! »

    Auguste Rodin, L’Art, entretiens réunis par Paul Gsell, Grasset, 1911 (préface).

    PhotoMusée Rodin à Meudon