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Louki par Modiano

« Des deux entrées du café, elle empruntait toujours la plus étroite, celle qu’on appelait la porte de l’ombre. » La première phrase de Dans le café de la jeunesse perdue (2007) nous rend tout de suite curieux de découvrir cette silhouette féminine qui prend la lumière parmi les habitués du Condé (dans les parages du carrefour de l’Odéon), celle de Louki, comme ils l’appellent. « La plupart avaient notre âge, je dirais entre dix-neuf et vingt-cinq ans. »

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L’épigraphe de Guy Debord, en plus de donner son titre au roman de Modiano, annonce l’atmosphère du récit : « A la moitié du chemin de la vraie vie, nous étions environnés d’une sombre mélancolie, qu’ont exprimée tant de mots railleurs et tristes, dans le café de la jeunesse perdue. » Le premier narrateur est étudiant à l’Ecole des Mines, ce qu’il tait, de peur que cela ne dénote dans cet endroit fréquenté par des jeunes et quelques bohèmes « à l’ombre de la littérature et des arts ».

Des photos prises au Condé ont paru dans un album sur Paris, avec les prénoms ou surnoms des clients en légende : « Zacharias, Louki, Tarzan, Jean-Michel, Fred et Ali Cherif » ou « Annet, Don Carlos, Mireille, Adamov et le docteur Vala »… Son surnom, Louki l’avait reçu avec un certain soulagement, dans ce café devenu son refuge. « J’avais bien senti qu’elle était différente des autres. » L’étudiant a remarqué ses vêtements soignés, ses mains fines aux ongles recouverts de vernis incolore.

Un des membres du groupe, Bowing, a noté pendant trois ans dans un cahier les noms des clients du Condé, avec les dates et heures d’arrivée. Un « éditeur d’art », un certain Caisley, le lui avait emprunté un jour, et rendu avec le prénom Louki « chaque fois souligné au crayon bleu ». Avant de partir à l’étranger, il a donné son « livre d’or » à l’étudiant.

« C’est l’avantage d’avoir vingt ans de plus que les autres : ils ignorent votre passé » confie le soi-disant éditeur d’art, le deuxième narrateur. Ce n’est pas un écrivain comme Adamov ou Maurice Raphaël, c’est un détective privé venu au café en repérage. Le mari de Louki, Jean-Pierre Choureau, trente-six ans, l’a engagé pour retrouver sa femme, Jacqueline Delanque, alias Louki, vingt-deux ans. Depuis deux mois, elle avait disparu après une dispute, avec toutes ses affaires, vêtements et livres.

Elle travaillait dans la société où ils s’étaient rencontrés comme secrétaire intérimaire, elle se disait alors étudiante en langues orientales, et ils s’étaient mariés sans trop d’explications – « On essaye de créer des liens, vous comprenez… » Au détective qui l’interroge, le mari raconte les reproches qu’elle lui faisait de plus en plus souvent : « Ce n’était pas cela, disait-elle, la vraie vie. » Par un indic de la police, Caisley va découvrir le passé de Louki, grâce à une main courante la signalant pour « vagabondage de mineure » à quinze ans.

Ensuite, c’est Jacqueline elle-même qui revient sur son histoire, ses fugues : « Plus tard, j’ai ressenti la même ivresse chaque fois que je coupais les ponts avec quelqu’un. Je n’étais vraiment moi-même qu’à l’instant où je m’enfuyais. » Le dernier narrateur sera Roland, son amant, qui l’avait rencontrée à une réunion de lecture chez Guy de Vere, une sorte de gourou proche de la librairie Véga (orientalisme et religions comparées). C’est par Roland qu’on découvrira ce qu’est devenue la jeune femme.

Au fur et à mesure que le roman nous en apprend davantage sur elle, à travers ces témoignages, on se rend compte que Louki, même insaisissable, comptera parmi ces silhouettes suivies dans Paris, dans la nuit, qui fascinent l’auteur et que ses lecteurs n’oublieront pas. On y croise des figures qui semblent familières et d’autres, inconnues, comme hors du temps. Dans le café de la jeunesse perdue, un lieu de rendez-vous pour les habitués du café Modiano.

Commentaires

  • Je ne pense pas l'avoir lu. Avec le temps, je ne me repère pas toujours bien dans les titres lus et les autres. Mais on peut toujours relire Modiano et sa petite musique.

  • Peut-être à cause des changements de narrateur, celui-ci m'a un peu laissée sur ma faim, bien que son héroïne me reste en mémoire.

  • Je ne l'ai pas lu et chaque fois que je lis une de tes chroniques je me tourne vers mon rayonnage où se trouve le Quarto !! Bon il est là et va être encore un peu là...en plus il ne semble pas le plus urgent à lire de Modiano. Merci pour ton ressenti

  • Ce Quarto contient des pépites, c'est chouette d'avoir de bonnes lectures en réserve. J'ai trouvé sur le site du Réseau Modiano un autre billet de Denis Cosnard, plus enthousiaste, qui verrait bien Modiano derrière chacun des narrateurs :

    https://lereseaumodiano.blogspot.com/2011/11/dans-le-cafe-de-la-jeunesse-perdue-de.html#:~:text=-Dans%20le%20caf%C3%A9%20de%20la%20jeunesse

  • Tu as l'air de vraiment aimé cet auteur. J'ai à nouveau essayé de le lire mais non, il me tombe des mains.

  • C'était mon cas pendant longtemps, probablement parce que j'attendais une intrigue, des péripéties, et maintenant je le lis pour cette atmosphère particulière et prenante, cette attention aux lieux, aux personnages observés, rencontrés, la grande pudeur aussi en ce qui le concerne. Pour moi, le déclic est venu en lisant "Dora Bruder".

  • Il faudra que j'essaie à nouveau car je suis sûre de passer à côté de quelque chose! Je retiens Dora Bruder.

  • Bonne chance, Claudialucia. Nous avons toutes & tous des blocages devant certains livres, certains auteurs. Heureusement, il y a tant à lire.

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