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  • Penda Diouf, Pistes...

    « Te souviens-tu des dunes ? Te souviens-tu des dunes de Namibie ? Te souviens-tu des dunes de Namibie et du roulis du sable sur leur flanc ? De la mélodie de leur flanc ? De l’aine des dunes de Namibie d’où s’écoulent des grains de sable, égrainés un à un, roulant sur eux-mêmes. Précipités dans la chute de reins vertigineuse de la dune, ils brûlent d’impatience de rouler sur le sol, loin de leur point d’origine. » Ainsi commence le prologue de Pistes… (2017) suivi de Sutures, de Penda Diouf.

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    Penda Diouf, écrivaine et directrice d’une médiathèque en banlieue parisienne.
    © Damien Grenon pour Jeune Afrique

    Ce texte fort m’a fait découvrir une autrice de théâtre française, née à Dijon en 1981, sénégalaise par naturalisation. Elle l’a écrit pour la SACD dans le cadre du projet Les Intrépides sur le thème du courage. « You are a brave woman » lui disait-on souvent dix ans plus tôt en Namibie où elle voyageait seule : le « je » du texte est issu de cette expérience.

    Dès le prologue apparaît le thème de la colonisation allemande en Namibie (1884-1915) : « Et quand tu viens, touriste, dévaler Crazy Dune, batifoler sur les flancs rouges de Big Mama, surfer sur sa croupe rebondie, n’oublie pas le chant du grain de sable. N’oublie pas ce cri muet de l’abandon, de la tristesse et de l’oubli. Ce chant du siècle dernier qui résonne encore aujourd’hui. »

    Les textes de Pistes… sont reliés par des gestes de couture et de chirurgie : « Rassembler les tissus d’histoire épars, patchwork cousu d’intime. » Le fil du récit commence à la maternelle, quand la petite Penda, « différente », apprend à rester en marge, à ne pas briller surtout. Elle a cinq ans quand on choisit l’Afrique comme thème du carnaval et qu’on lui refuse coiffure et maquillage, seule privée de déguisement. « Mon corps ne sait pas ce que c’est être à l’aise. »

    Elle lit Jane Eyre : « Certains cœurs ne sont pas faits pour le bonheur. » A l’adolescence, fan d’athlétisme, elle se muscle, s’entraîne, suit les compétitions à la télévision. Lorsqu’elle voit Frankie Fredericks sur le podium du 200 mètres et pour la première fois le drapeau de la Namibie, quelque chose commence, un rêve de voyage. Bien que bonne élève en français, elle manque le bac à l’oral où on l’interroge sur sa naissance, ses tresses, perdant ses moyens pour commenter Baudelaire, son poète préféré.

    Et la voilà seule « personne noire de l’avion » au milieu de retraités allemands partant dans l’ancienne colonie qu’elle parcourt en voiture, à pied, seule. Elle y rencontre des Namibiens, parle anglais, visite le parc d’Etosha : près du point d’eau où viennent s’abreuver les animaux, un guide lui conseille en français d’attendre l’arrivée des lions. Là, elle se sent à sa place, sur la droite ligne de son « chemin de vie ».

    Penda Diouf rappelle la conférence de Berlin, « le découpage officialisé de l’Afrique ». Le billet namibien de dix dollars porte le visage d’Hendrik Witbooi (1825-1905), devenu chef Nama (du nord) après l’assassinat de son père. Il lit et écrit en plusieurs langues. Il se donne pour mission « de réunifier la tribu Nama et de combattre l’ennemi allemand présent sur le territoire namibien ». Quand il apprend la défaite des Hereros (du sud) qui ont fini par prendre les armes, Witbooi s’engage dans une guérilla de cinq ans.

    Il y perd la vie avant le génocide : hommes, femmes, enfants deviennent prisonniers des Allemands sur leur propre terre, tatoués, enfermés sur l’île de Shark Island. Ce « haut spot de plongée sous-marine ou de scooter des mers » a été « l’un des premiers camps de concentration de l’humanité ». On y mourait de faim, des coups, on y profanait les crânes des morts. Voyage en Namibie. Voyage dans l’histoire. Voyage pour se mettre debout et marcher…

    Sutures, un texte d’une dizaine de pages, complète le récit de vie de Penda Diouf. Elle y revient sur un voyage en Côte d’Ivoire qui lui a permis de mieux comprendre ses origines et de renouer avec une partie de sa famille. Comme l’écrit Myriam Saduis, qui a entendu Penda Diouf lors de la création de Pistes… à Avignon en 2017, « par la voix d’une seule, un chœur entier se lève, dévale les dunes, et déroule, sous nos yeux, une carte du monde oubliée, au tracé sensible et implacable. »