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Le Lys dans la vallée

Le muguet de mai que les Anglais nomment « lily of the valley » m’a fait ouvrir le tome VIII de La Comédie humaine de Balzac où figure Le lys dans la vallée. Dédiée à un médecin de l’Académie, « voici l’une des pierres les plus travaillées dans la seconde assise d’un édifice littéraire lentement et laborieusement construit », écrit Honoré de Balzac. Le roman s’ouvre sur une lettre, « A Madame la comtesse Natalie de Manerville », signée Félix, dont voici le début : « Je cède à ton désir. Le privilège de la femme que nous aimons plus qu’elle ne nous aime est de nous faire oublier à tout propos les règles du bon sens. »

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Je ne me rappelais pas que Balzac pût faire preuve d’un tel lyrisme ! Cette « émouvante élégie » raconte les premières amours d’un jeune homme et d’abord son histoire d’enfant qui a souffert de l’isolement – « mis en nourrice à la campagne, oublié par [sa] famille pendant trois ans » (comme l’auteur) et du manque d’argent pendant ses études en pension. Félix de Vandenesse appartient à une famille qui porte un grand nom, mais désargentée. Ses sœurs le connaissent à peine ; son frère aîné Charles, « l’espoir de la famille », est dans la diplomatie impériale. A vingt ans, Félix revoit sa mère et voyage avec elle de Paris à Tours ; il ose enfin lui ouvrir son cœur, « gros d’affection » : « Ma mère me répondit que je jouais la comédie. »

Quand le duc d’Angoulême, « parti de Bordeaux pour rejoindre Louis XVIII à Paris » y est de passage, « la Touraine en émoi pour ses princes légitimes, la ville en rumeur, les fenêtres pavoisées, les habitants endimanchés, les apprêts d’une fête, et ce je ne sais quoi répandu dans l’air et qui grise, [lui] donnèrent l’envie d’assister au bal offert par le prince. » Pour l’occasion, sa mère lui a fait confectionner un habit « bleu-barbeau ».

C’est à ce bal que Félix, assis sur une banquette, rencontre madame de Mortsauf, sans savoir qui elle est : « Trompée par ma chétive apparence, une femme me prit pour un enfant prêt à s’endormir en attendant le bon plaisir de sa mère, et se posa près de moi par un mouvement d’oiseau qui s’abat sur son nid. Aussitôt je sentis un parfum de femme qui brilla dans mon âme comme y brilla depuis la poésie orientale. Je regardai ma voisine, et fus plus ébloui par elle que je ne l’avais été par la fête ; elle devint toute ma fête. » Troublé par la peau soyeuse de son dos nu, il embrasse ses épaules, et elle se retourne vers lui, « la pourpre de la pudeur offensée » sur le visage, puis s’en va « par un mouvement de reine ».

Le ton est donné de la relation entre Félix et l’inconnue qui occupe dès lors son cœur et ses pensées. En se promenant dans la campagne, il admire une vallée « qui commence à Montbazon, finit à la Loire », « magnifique coupe d’émeraude au fond de laquelle l’Indre se roule par des mouvements de serpent ». C’est là qu’il découvre où « elle » habite, l’apercevant en robe de percale dans ses vignes. « Elle était, comme vous le savez déjà, sans rien savoir encore, LE LYS DE CETTE VALLEE où elle croissait pour le ciel, en la remplissant du parfum de ses vertus. »

Au château de Frapesle, où il est venu de Tours à pied chez monsieur de Chessel, son hôte lui apprend au déjeuner que cette « jolie maison de Clochegourde » appartient au comte de Mortsauf, « le représentant d’une famille historique en Touraine », venu s’établir au retour de l’émigration sur ce domaine de son épouse, fille unique de la maison de Lenoncourt-Givry. Félix, persuadé d’avoir reconnu la femme aux belles épaules, accepte que son hôte l’emmène jusque-là et le présente au comte et à la comtesse, sous le prétexte de leur fatigue après une longue promenade à pied. Les voilà conviés à dîner.

« Dès que je fus certain de rester pendant une soirée sous ce toit, j’eus à moi comme une éternité. » En plus de regarder, d’écouter cette femme à la beauté parfaite, élégante, mère de deux enfants mais un air de jeune fille, en « robe rose à mille raies » avec une ceinture et des brodequins noirs, tout le séduit là : une propreté « vraiment anglaise », le décor, le calme… « La plupart de mes idées, et même les plus audacieuses en science ou en politique, sont nées là, comme les parfums émanent des fleurs. »

Madeleine, neuf ans, est une enfant malingre, son frère Jacques aussi. Leur père, l’air « froid et sourcilleux », paraît plus vieux que ses quarante-cinq ans. S’il se montre « poliment empressé », Félix devine qu’il porte un sentiment de malheur dans cette famille, à l’inverse de son épouse, mais il est prêt à toutes les « courtisaneries » pour se faire une place dans cette maison où on lui a fait bon accueil.

Le lys dans la vallée raconte comment Blanche de Mortsauf, qui l’avait pris pour un enfant de quatorze ans à première vue, va se prendre d’affection quasi maternelle pour le jeune Félix, s’attacher à lui tout en refusant de répondre à ses sentiments amoureux, mais en acceptant sa compagnie, ses bouquets de fleurs des champs, ses attentions pour les enfants, ses regards passionnés. A Natalie, Félix confie toutes les nuances de ses sentiments, bonheurs et souffrances, le pacte passé avec celle qu’il appelle « Henriette », comme le faisait seule la tante chérie de Blanche de Mortsauf. « Aimer sans espoir est encore un bonheur », lui dit-il, et elle : « Je consens à ce pacte, si vous voulez ne jamais presser les liens qui nous attacheront. »

En se mêlant à la vie de cette femme-fleur, de cette famille, le jeune homme en découvre tous les aspects : la conduite du domaine où la comtesse se montre plus avisée en affaires que le comte, contre qui elle doit sans cesse batailler, les souffrances d’une femme en butte à la grossièreté, aux reproches continuels, à qui il apporte douceur et consolation, dans les limites qu’elle lui impose. Quand il lui faudra partir pour Paris se faire une place dans le monde et auprès du roi, elle lui écrira une longue lettre de recommandations sur la conduite de sa vie.

Aux deux tiers du roman apparaît une autre femme, Arabelle Dudley, illustre lady que la réserve de Félix envers l’autre sexe pousse à le séduire : « elle était la maîtresse du corps, Madame de Mortsauf était l’épouse de l’âme. » Quand Félix de Vandenesse reprendra le chemin de Clochegourde, il découvrira que sa tendre Henriette est au courant et à quel point elle en souffre.

Romantisme et réalisme se mêlent dans ce roman d’apprentissage et d’éducation sentimentale. Balzac y excelle dans la description des beautés de la nature, des paysages de la Touraine, dans le portrait des personnages. La peinture des états d’âme m’a parfois ennuyée, à la longue, mais on sent que l’écrivain a mis beaucoup de lui-même dans son héros et dans cette ode à une région qu’il aimait. Comme l’écrit Jean-Hervé Donnard, cité sur le site du château de Saché devenu musée Balzac, « c’est au plus secret de lui-même, dans son expérience d’homme et d’amant, qu’il a trouvé la matière de son œuvre. »

Commentaires

  • J'aimerais aller dans ce musée et ce château; Balzac devrait être plus lu; c'est un géant. La jeune génération sera privée de cet héritage si elle s'accroche à ses téléphones et bandes de copains...Le lys dans la vallée, lorsque je l'ai lu, j'avais 14 ans…………...

  • Bonjour, Anne, j'espère que tu as cliqué sur la visite virtuelle. Je n'avais jamais lu ce fameux roman de Balzac, évasion garantie dans la belle campagne tourangelle.

  • Cela nous arrive un jour ou l'autre avec nos bons souvenirs de lecture. Bonne après-midi, Anne.

  • Avec "La comédie humaine", on a de grandes réserves de lecture.

  • Suite au billet récent de Dominique j'avais lu "La messe de l'athée", une nouvelle fort émouvante de "la comédie humaine", puis j'ai poursuivi avec "La maison du chat-qui-pelote", je poursuivrai et arriverai au Lys bien sûr.
    Un réel plaisir de lire ou relire Balzac!
    Bonne fin de journée.

  • J'irai lire cette nouvelle. Bonne immersion balzacienne !

  • Je reviendrai à ton billet une fois lu, c'est gai et intéressant après, aussi!

  • Je l'avais beaucoup aimé très jeune...et je ne m'en rappelais plus vraiment. Ton récit a fait remonter tout plein de souvenirs. Je ne sais si cet hyper-romantisme me plairait encore.... Pourquoi ne pas vérifier ! Merci Tania. Bonne fin de journée.

  • Une lecture recommandée aux élèves en France ? Pour ma part, j'ai dû lire "Le père Goriot", très différent de ton.

  • Je l'avais pris dans la bibliothèque paternelle....

  • Une couverture ancienne trouvée sur la Toile.

  • Je n'ai pas relu Balzac depuis le lycée,. J'avais aimé le Père Goriot, la cousine Bette, Eugénie Grandet. mais c'est une oeuvre gigantesque. Je n'ai pas lu le lys dans la vallée. Ce que vous en dites me le fait regretter et penser à L'éducation sentimentale de Flaubert que je préfère à Madame Bovary.

  • C'est aussi durant mes "humanités" que j'ai le plus lu Balzac, puis pour préparer mes cours. J'ai l'intention de rouvrir "La comédie humaine" de temps à autre.

  • J'aime beaucoup ce billet. Balzac... mais je ne l'ai pas relu depuis des lustres. Toutefois, Le lys dans la vallée reste très présent à mon esprit. J'avais vu il y a quelques temps l'émission sur les maisons des écrivains consacrée à celle de Balzac, à la campagne. Des arbres, du vert, c'était beau.
    Bonne journée.

  • Ces descriptions de la Touraine m'ont enchantée, j'y suis allée une seule fois et j'y ai de bons souvenirs.

  • Je l'ai lu il y a bien longtemps et je ne m'en souviens guère. Qu'en penserais-je aujourd'hui ? Je crains de m'ennuyer un peu. Je vais faire la visite virtuelle.

  • Je me suis demandé si c'était l'âge qui me rendait l'aspect sentimental un peu lassant, mais je pense plutôt que ce sont les convenances, les contraintes sociales dans les relations. Et puis aussi le rôle de la femme, mère, épouse à tout prix et les métaphores qui lui sont associées (parfum de fleur, légèreté d'oiseau...) d'une autre époque.

  • je n'aime pas le personnage que je trouve bien peu courageux mais j'ai quand même une tendresse pour lui car c'est un malmené de la vie
    j'aime les premières pages magnifiques et effectivement c'est un Balzac lyrique que l'on a ici
    un de mes romans préférés

  • L'affection de la comtesse et la vie à Clochegourde auront beaucoup apporté à ce mal-aimé. Un Balzac lyrique, c'est cela.

  • Au point de le relire ?

  • Il fait partie des rares Balzac a m'ennuyer aussi. Je n'ai pas aimé cette peinture des sentiments.

  • Elle est d'une autre époque, cette éducation sentimentale, assurément. Mais la description des lieux, des paysages, des toilettes et de tout ce qui est concret est admirable.

  • c'est un bon souvenir de lecture de l'époque où j'étais étudiante ;-) mais je n'ai pas oublié que je pensais en effet, que c'était "oublier les règles du bon sens" que de s'épancher si lyriquement sur un autre amour, même si la fiancée demande qu'on lui raconte... d'où sa réaction finale ;-)

  • Ha ha, je m'étais abstenue de l'annoncer, mais le roman est connu, il est vrai...

  • J'avais adoré ce roman et trouvé qu'il était romantique quand j'étais ado. Mais quand je l'ai relu depuis, j'ai eu une tout autre lecture et vu dans ces pages une violente critique contre la religion et le clergé et contre la société qui maintiennent les femmes dans une étroite prison morale. Le fait que Blanche de Mortsauf se révolte au moment de sa mort a valu à Balzac bien des ennuis !

  • Chère Claudialucia, je viens d'aller lire ton analyse détaillée de ce roman, que j'avais manquée, et de découvrir les belles photographies d'Aurélia Frey, ta fille, exposées au musée de Saché - je vais aller voir son site.
    J'ajoute le lien ici et plus haut : https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2018/10/honore-de-balzac-le-lys-dans-la-vallee.html

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