Le bandeau 10/18 annonce deux prix attribués à L’Arbre-Monde de Richard Powers (The Overstory, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Serge Chauvin) : le Grand Prix de littérature américaine en 2018, le Pulitzer en 2019. Voilà qui encourage à lire ce roman de plus de sept cents pages (10/18) en quatre parties intitulées « Racines », « Tronc », « Cime », « Graines ».
« Au début il n’y avait rien. Et puis il y eut tout. » L’ouverture est quasi mystique. Une femme assise contre un pin entend l’arbre lui dire « des choses, en mots d’avant les mots. » « Racines » raconte successivement comment les neuf protagonistes du roman, dont un couple, qui évoluent au départ dans des sphères très différentes, ont noué chacun une relation particulière avec des arbres.
Le premier chapitre s’ouvre sur un festin de châtaignes grillées. Au dix-neuvième siècle, Hoel, un Filnlandais qui travaille sur les chantiers navals de Brooklyn, épouse Vi, une voisine irlandaise. La nationalité américaine obtenue, ils s’installent dans l’Iowa pour cultiver la terre sur une vingtaine d’hectares. Au printemps, Vi est enceinte et son mari enfonce dans la prairie sans arbres autour de leur cabane six châtaignes retrouvées dans une poche, loin de l’habitat naturel des châtaigniers, dans l’idée qu’un jour, ses enfants « secoueront les troncs et mangeront gratis. » Magnifique chapitre sur « le Châtaignier d’Hoel » qui deviendra un point de repère dans le paysage, un « arbre sentinelle ».
L’Arbre-Monde est aussi arbre-temps : la vie d’un arbre ne se mesure pas à la vie d’un homme. Les décennies, les générations se succèdent. Le romancier alterne arrêts sur images et accélérés. C’est à notre époque, aux Etats-Unis, que se déroule un combat très dur pour sauver ce qui reste des forêts primaires, une lutte collective pour préserver des arbres de l’abattage industriel ou urbain. Tous les personnages vont être liés d’une manière ou d’une autre à cette problématique – on pourrait dire cette fuite en avant.
Tout ce qu’on sait aujourd’hui sur la survie des arbres et les écosystèmes, Richard Powers, qui a eu une formation scientifique, l’intègre dans ce roman qui fait place aussi bien à la recherche universitaire qu’à l’activisme écologiste radical et aux affrontements épiques entre les militants de la cause des arbres (on voit comment ceux-ci s’organisent pour habiter leur ramure) et les bûcherons, les promoteurs, les exploitants, la police.
Le combat pour la protection des plus vieux séquoias du monde en Californie, vers lequel convergent les différents personnages, est d’une violence terrible. Quand chacun d’eux prend conscience de ce qui se passe, du danger, c’est un devoir d’en rendre les autres conscients à leur tour. L’attention à l’environnement peut faiblir chez ceux qui s’échappent dans un monde virtuel, comme l’auteur le montre à travers la fabuleuse réussite de Neelay, un génie des jeux vidéo.
Même si le roman est long et si l’incessant va-et-vient entre les personnages lasse parfois, L’Arbre-Monde est un énorme cri d’alarme pour l’avenir de la planète. Il met en scène des personnages sentinelles, des hommes et des femmes très différents, qui vont jusqu’au bout de leur engagement et en payent souvent le prix fort. Le roman dénonce les dérives de notre époque et ne laisse guère de place à l’optimisme.
C’est pourtant un appel puissant à regarder, à comprendre, à planter, à construire plutôt qu’à détruire. Richard Powers souligne la nécessité de faire cause commune entre arbres et humains pour défendre notre survie terrestre. Nous avons beaucoup à apprendre des forêts, clame L’Arbre-Monde ; même si nous n’entendons pas parler les arbres, nous pouvons, nous devons nous mettre à leur écoute.
Commentaires
Ah la la, que tu dis vrai!
Chaque gros coup de vent laisse tomber un arbre de mon allée; on pleurerait presque. Tant de temps passés à pousser et les voilà qui en un rien de temps se fracassent. Des oiseaux s'enfuient. Comment les gens peuvent- ils oublier à quel point un arbre est vivant, hébergeurs de mondes?
Merci pour cette idée de lecture!
Le gros vent fait des dégâts, oui, depuis toujours, les arbres ne sont pas invulnérables. Autre chose est de les abattre sans nécessité et de rendre la terre entière de plus en plus vulnérable. Bonne lecture si tu t'y décides.
Hum...je ne pense pas que je le lirai mais le sujet, ce que tu en dis, est bien évidemment préoccupant, intéressant, et nous touche de si près!
Oui, cela ne concerne pas que la Californie - les forêts d'Europe ont aussi besoin de protection.
autant j'aime le sujet autant j'ai détesté la forme qui prend l'avantage sur le fond et qui lasse énormément
j'ai calé
J'ai dû m'accrocher à certains moments, il y a des longueurs, mais je suis contente d'avoir continué - les derniers chapitres valent la peine.
Merci Tania, nous oublions si souvent que ces géants silencieux sont notre oxygène et notre vie. Un livre surement nécessaire. Je t'embrasse. Beau début de semaine. Claudie.
On apprend énormément de choses sur la vie des arbres à travers ce roman. Bonne soirée, Claudie.
ah! les arbres...
c'est triste que tous les livres, expos, chercheurs... ne réussissent pas à inverser le cours des choses
Inverser le cours des choses, non, mais rendre les gens plus conscients de ce qu'ils font ou laissent faire alimente tout de même le débat et permet de freiner voire d'arrêter certaines pratiques - notamment en créant des zones de protection, des parcs naturels protégés.
je en train de lire " L´arbre monde "...J´aimais déjà Richard Powers et je ne suis pas déçue. Ce roman est une nouvelle fois de la belle ouvrage ! Il déborde de générosité, de sensibilité de de connaissances....et finalement d´espoir....
Quel autre livre de Richard Powers me conseillerais-tu, Michèle ? Bonne continuation dans cette lecture.
Ce que tu en dis me plait, j'aime déjà l'idée poétique de ces quatre parties : Racine - Tronc - Cime - Graines et j'adore les arbres, la vibration qui en émane. 700 pages ? Un livre pour emporter en vacances peut-être. Je t'embrasse, bel après midi Tania. brigitte
Contemplation, explication, action, il y a de tout dans ce livre et aussi des références littéraires, mythologiques, des relations humaines très fortes, bref, tout un monde. Bonne soirée, Brigitte.
Il m'attend depuis l'an dernier où j'ai rencontré l'auteur au festival America. J'ai pu assister à une conférence avec lui également. Le côté pavé me freine un peu, les longueurs aussi, mais je le lirai c'est certain.
Il en vaut la peine, même si le récit est inégal.
J'ai eu la chance d'écouter l'auteur lors du festival america (mais j'avais lu le livre avant) Passionnant
Je l'imagine bien, passionnant et passionné.
700 pages ? Ah, voilà qui est intéressant aussi !
L'auteur aurait voulu peaufiner ce roman, mais l'a laissé publier tel quel vu l'urgence, dit-on.
Le Temps où nous chantions est le seul que j'aie lu pour le moment de cet auteur.
Bien mais j'ai peiné et je rejoins les quelques réserves déjà citées -notamment longueurs- et cela explique que je ne sois pas encore décidé vraiment à en lire un autre,
Merci pour ce titre, K. Ce roman-ci pèse parfois, à cause de sa structure, mais il y a de très beaux chapitres et des pages puissantes; cela rend compte du combat des défenseurs des arbres aux Etats-Unis d'une manière très forte qui va bien au-delà des images ou reportages sur le sujet. Je suis contente de l'avoir lu jusqu'au bout.
Un arbre pour personnage principal : espérance.
Et toucher du bois, c'est une belle superstition qui date de longtemps !
Quand la vie est une forêt,
Chaque jour est un arbre
Quand la vie est un arbre
Chaque jour est une branche
Quand la vie une branche
Chaque jour est une feuille.
(J. Prévert)
Merci, Christw. Je ne connaissais pas ces vers de Prévert, qui me rappellent ceux de Desnos qui vont dans l'autre sens, si je puis dire (Il était une feuille...).