« En avril [1965], Heinrich échappe, par miracle, à la mort. Il rentrait avec des collègues de Bard College dans un taxi, sur l’autoroute, quand le chauffeur à ses côtés s’est effondré sur lui, mort : crise cardiaque. Heinrich a eu la présence d’esprit d’appuyer sur le frein. Hannah en tremble encore. Elle se réfugie avec lui en juin dans sa maison d’été pour nager et marcher dans la forêt. « Rester loyal envers le réel à travers vents et marées, c’est bien ce que réclame l’amour de la vérité ainsi que la gratitude d’avoir été mis au monde », écrit-elle à Jaspers. Elle travaille magnifiquement et transforme deux conférences en essais. La vérité et la politique, depuis l’aube de l’humanité, n’ont jamais fait bon ménage. Est-il de l’essence même de la vérité d’être impuissante et de l’essence même du pouvoir d’être trompeur ? Et une vérité impuissante n’est-elle pas aussi méprisable qu’un pouvoir insoucieux de la vérité ?
Hannah Arendt formule avec acuité des questions fort embarrassantes que nous nous posons tous à un moment ou à un autre de notre existence. »
Laure Adler, Dans les pas de Hannah Arendt