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Un prince fragile

Prince d’orchestre, au lieu de chef d’orchestre, on verra pourquoi Metin Arditi a choisi ce titre pour son roman consacré à la musique et à la direction d’orchestre. Son héros, le bel Alexis Kandilis, va de triomphe en triomphe. Quelles que soient les situations, tout rentre dans l’ordre sous sa baguette et se termine par une ovation, dans les plus grandes villes du monde.

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L'Orchestre de la Suisse romande au Victoria Hall de Genève

Au printemps 1997, l’émotion du chef n’est plus la même qu’à ses débuts, il a appris à feindre. « Et comment aurait-il pu en être autrement ? Mêmes grandes salles. Mêmes solistes. Grand répertoire repris, répété, resservi. » Il joue donc aussi l’émotion, bien qu’il n’en puisse plus : « il y avait la gloire, l’argent, la facilité extrême. Alors il poursuivait. » Les chants des enfants morts de Mahler qui l’avaient bouleversé à vingt ans, le troublent encore, malgré lui.

Saluant sur la scène du Victoria Hall, il reconnaît, tout près de ses proches, le visage de Lenny, un ancien élève de l’Institut Alderson (décor de Loin des bras) où sa mère l’avait mis en pension « sans crier gare, l’année de ses onze ans », et s’imagine aussitôt sa femme, Charlotte, cette « crétine », invitant Lenny à les accompagner au restaurant et lui parlant de la biographie en cours de préparation – « Il ne fallait pas qu’il parle. »

Clio, sa mère, si fière de le voir au sommet depuis vingt ans, a admiré une fois de plus son frac, son élégance, sa beauté, mais elle a vu ce petit mouvement du pied qui signale une angoisse, elle s’interroge. Bien sûr, il aurait voulu être compositeur, il était doué pour cela, mais elle s’était opposée à ce métier difficile, mal payé, solitaire : « Alexis était fragile. Il avait besoin de gaieté. De lumière. » Contrarié, il pouvait basculer dans la colère. Quand il le voulait, « il pouvait charmer un cobra ! »

Peu à peu, Metin Arditi présente l’entourage du maestro, les inimitiés, les tensions. « Lenny ne dirait rien. Alexis en était certain. Entre internes, personne n’avait jamais trahi. » L’atmosphère est donc agréable à table, seul le fils d’Alexis garde le silence. L’arrivée d’un célèbre homme d’affaires, Jeffrey Paternoster, attire l’attention : « un charme de vieux riche », observe Alexis, avant de reconnaître le jeune homme qui l’accompagne, Sacha, « le flûtiste russe de l’orchestre ». 

Un autre projet excite fort Alexis : le « B16 », seize pièces de Beethoven à jouer avec l’Orchestre philharmonique de Berlin, un coffret de dix cédés dont il serait la vedette. Il n’est pas encore sûr d’être choisi, mais se juge bien meilleur que son rival, un chef russe qui en fait des tonnes. Ce serait une consécration.

En attendant, il propose à Sacha, le flûtiste, de l’accompagner dans sa limousine entre Lausanne et Genève. Curieux de sa relation avec Jeffrey Paternoster, il découvre que leur intimité est aussi liée au poker : Sacha ne joue pas, mais l’homme d’affaires, son amant, beaucoup et très gros. Ni routine ni usure, le poker est un jeu d’émotions violentes. Alexis y a joué à l’internat et quand le Cercle des Trente lui ouvre la porte de ses luxueuses parties, il ne résiste pas à l’invitation.

Prince d’orchestre fait partager les obsessions, les succès et les angoisses du chef d’orchestre. Sa brillante carrière est un défi permanent. Sa femme et sa mère doivent composer avec ses sautes d’humeur, son égocentrisme, ses peurs. Peu à peu des blessures d’enfance reviennent à la surface. Un chef doit tout contrôler, y compris soi-même, et surtout dans ses rapports avec l’orchestre : diriger, certes, mais sans blesser. Un faux pas lui coûterait très cher, les critiques ne passent rien à ceux qui se prétendent les meilleurs.

Metin Arditi raconte comment celui qui se croyait à l’abri de tout va souffrir de se voir remis en question, jusqu’à mettre sa carrière en péril. Alexis Kandilis pourra-t-il se reprendre, voire se frayer une voie nouvelle ? Ecoutera-t-il les conseils d’hommes sages qui croisent son chemin ? Des femmes aimantes lui ouvrent les bras, mais leur amour ne lui suffit jamais.

Prince d’orchestre (un bon conseil de Plumes d’Anges) est un roman haletant sur la musique, l’orgueil, le jeu, la solitude, la création. Metin Arditi, très actif dans le milieu musical genevois, emmène ses lecteurs vers les sommets de la réussite et dans les gouffres des failles secrètes. Peintre de la maîtrise, comme dans Le Turquetto, et connaisseur de l’âme, comme dans L’enfant qui mesurait le monde, le romancier s’interroge ici sur la violence destructrice de quelqu’un qui a tout et prend le risque de tout perdre.

Commentaires

  • Haletant est effectivement l'adjectif qui me vient en mémoire même si, pour moi, "L'enfant qui mesurait le monde" lui est bien supérieur par la construction et la subtilité de la psychologie des personnages .
    Avez-vous lu "Carnaval noir" son dernier roman ? j'aimerais beaucoup lire votre critique sur ce livre.

  • cet auteur publie beaucoup et j'ai du retard dans mes lectures je n'avais pas vu passer celui là

  • MERCI Tania, c'est toi qui m'a fait connaître cet auteur, un auteur talentueux à mes yeux, et j'ai vraiment beaucoup aimé ce titre, beaucoup de sujets y sont traités.
    J'ai pris Carnaval noir à la bibliothèque mais je n'ai pas réussi à "rentrer" dans cette histoire, ce n'était peut-être pas le bon moment, j'y reviendrai... Bises et douce journée à toi. brigitte

  • C'est délicieux d'entrer à chaque visite dans un monde nouveau, lointain, résumé avec talent en si peu de mots. Personnages, cadres de vie, dons et démons, réussite et chutes, tout est poussé à l'extrême avec érudition, tenant le lecteur en haleine permanente. Merci, Tania, pour ce généreux partage.

  • @ Nicole 86 : Vous avez raison, ce roman-ci va aux extrêmes. J'ai aimé le personnage du spécialiste de la Kabbale qui fait un peu contrepoint aux excès du héros. Je lis dans le commentaire de "Plumes d'anges" que le dernier roman de Metin Arditi l'a déçue, je ne l'ai pas lu.

    @ Dominique : Le milieu musical n'apparaît pas souvent dans la fiction, c'est ce qui m'a attirée aussi.

    @ Plumes d'Anges : Oui, de nombreux thèmes se greffent sur cette histoire et je lirais volontiers "Loin des bras" sur cet internat suisse où j'ai lu que l'auteur a passé onze ans.
    Dommage pour ce dernier titre, un roman publié chaque année, c'est beaucoup. Bonne journée, Brigitte.

  • @ Binh An : Ravie que vous appréciiez cet éclectisme, merci pour ce commentaire très stimulant.

  • J'ai énormément aimé "Le Turquetto", et dévore les chroniques de Metin Arditi chaque semaine dans La Croix... Un homme d'une grande culture et d'une belle sensibilité.

  • Un sujet peu traité celui des musiciens, de chef d'orchestre. Un monde particulier, où j'imagine des égos très forts, que je découvrirais avec plaisir.
    Merci!

  • @ Anne Le Maître : Merci de signaler ces chroniques, Anne, je vais les chercher sur le site.

    @ Colo : Ici son ego l'isole de plus en plus de ses proches, et il n'a plus vraiment quelqu'un avec qui partager son moi profond. Bonne lecture, si tu te lances.

  • je suis fan absolue de 'l'enfant qui....' donc si celui-ci est moins bon... il vaut peut-être quand même la peine de le lire, si on a le temps ;-)

  • J'ai trouvé les trois romans de Metin Arditi lus jusqu'à présent très différents les uns des autres. Celui-ci est plus dans l'action, à toi de voir. Bonne soirée, Adrienne.

  • C'est le thème de chef d'orchestre qui m'attirerait le plus dans ce roman. Mais j'ai un autre titre dans mes piles depuis longtemps, je ne sais même plus lequel. Je vais partir à sa recherche ..

  • Je n'ai toujours rien lu de cet auteur. Ce thème m'intéresserait (le chef d'orchestre ou un grand soliste), car je me demande toujours sur la manière dont ils font face à une si grande tension. Comment, même blasé, ne pas rester sensible aux "chants sur les enfants morts "?

  • @ Aifelle : Le rôle du chef d'orchestre est très bien décrit dans le roman, tu verras si tu te laisses tenter.

    @ Annie : Le roman montre cette tension perpétuelle, qui prend presque toute la place dans sa vie. Quant aux lieder de Mahler, ils y ont une importance qui se dévoile peu à peu.

  • Comme dit Binh An, un vrai plaisir de s'installer confortablement et de parcourir tes pages. Tu présentes merveilleusement ce livre de Metin Arditi. Tu en dis ni trop, ni trop peu, toujours avec beaucoup de délicatesse et des mots choisis. Oui, Merci Tania ! Bises et bon week-end.

  • Cela me fait grand plaisir que tu le ressentes ainsi. En dire assez mais pas trop, j'aime cet exercice. Bon week-end à toi, la petite verrière !

  • Décrire la musique est d'un autre ordre, plus difficile. Il m'a semblé que dans ce roman, les émotions musicales passent trop vite à l'arrière-plan, mais elles reviennent plus loin.

  • Une tragédie envoûtante, semble-t-il, avec la découverte d'un poste prestigieux que je connais très mal, chef d'orchestre. Le titre est très parlant, je trouve.

  • Oui, c'est un roman qu'on ne lâche pas et une incursion dans le monde des chefs d'orchestre à l'agenda très chargé.

  • Très bon billet ! J'avais aussi bien aimé mais, sur la musique, j'ai préféré son "Victoria Hall".

  • Merci pour cet autre titre, Lewerentz, je viens d'en lire un résumé et il a beaucoup pour me plaire. Peut-être en as-tu parlé ? A bientôt chez toi.

  • Je reviens après l'avoir lu. J'ai été un peu déçue par ce roman, et finalement ton billet est plus passionnant que le livre!
    Le récit m'a semblé trop souvent prévisible vu le caractère (insupportable) du Prince.
    Et la fin, un peu bâclée (je n'en dirai pas plus moi non plus)!
    J'essayerai d'en lire un autre de lui...

  • Merci pour le retour, Colo ! Comme toi, j'ai trouvé que le récit s'emballe à partir d'un certain moment, tout en voulant savoir où cela allait mener.
    Je te recommande ceux que j'ai présentés précédemment, peut-être les meilleurs d'après les échos lus dans la blogosphère.

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