Connaissez-vous « les livres pauvres » ? La Bibliotheca Wittockiana expose jusqu’au 10 septembre « Les très riches heures du livre pauvre », une partie de la collection de Daniel Leuwers, critique et poète français. Celui-ci la présente dans une vidéo tournée au Prieuré Saint-Cosme de Ronsard où est conservée la collection complète. Ami de René Char, qui avait réalisé des « manuscrits enluminés » avec les plus grands peintres de son temps, Leuwers a été séduit par cette formule de livres sans éditeur et non commercialisés, à la différence des livres d’artistes.
© Michel Butor – André Villers, Affections
Il s’agit donc de livres « égotistes ». Daniel Leuwers propose à des poètes de réaliser avec des peintres qu’ils aiment de petits livres en duo, sans investissement. Il leur faut du papier correct, non luxueux, à plier de manière à obtenir quatre pages (couverture, texte et peinture, quatrième) ou bien en accordéon. Le poète écrit son texte, le peintre pose ses traits et couleurs : voilà un livre pauvre.
© Corinne Hoëx - Roger Dewint, Le grisbi
En quelques exemplaires seulement (en principe, deux pour l’écrivain, deux pour le peintre, un pour le collectionneur, un pour la demeure de Ronsard). Le livre pauvre s’enrichit d’être hors commerce, sans marchandage, son existence relève du partage et du don. Imaginant d’abord se limiter à une centaine de livres, Daniel Leuwers a passé le cap des 1000 et même des 2000. Arrêter sa collection serait prendre le risque, dit-il, de la « muséification » des livres pauvres, aussi ne lui impose-t-il aucune limite, même si son avenir est incertain.
© André Velter - Alexandre Galperine, Un pas
La Bibliotheca Wittockiana en montre une sélection, de vitrine en vitrine : on peut tourner autour pour en apprécier le recto et le verso. Poèmes courts ou longs, encres ou couleurs, chacun de ces livres pauvres est original dans tous les sens du terme. Les formats varient. Des noms sont plus connus que d’autres : Michel Butor, illustré ici notamment par Geneviève Besse, Annie Ernaux, Michel Tournier, François Cheng, Guy Goffette, Pierre Alechinsky, Hassan Massoudy, …
© Michel Butor - Geneviève Besse, Le sapin ardent
Ici le regard est attiré par une écriture, une mise en page, un dessin, une harmonie, pour le plaisir des yeux et de l’esprit. On est dans l’art sur mesure, le fait main. Ces livres pauvres respirent une liberté totale. Leur fraîcheur est surprenante, on a envie de les toucher, de les tenir en main.
© Henri Meschonnic - Hamid Tibouchi, Mes mots comme
Mme Wittock, qui m’a entendue demander au bibliothécaire, à l’étage, qui a sculpté le magnifique « Livre noir » accroché en bas entre deux fenêtres, a eu la gentillesse de me renseigner. Comme le gigantesque livre en pierre posé devant le musée des Arts du Livre et de la Reliure, cette œuvre superbe est du couple Kubach-Wilmsen. La ligne oblique qui suggère le signet en tissu des beaux livres est une veine naturelle de la pierre sculptée et polie.
Comme à chaque fois, j’aimerais connaître les noms des créateurs de chacune des œuvres qui jalonnent les espaces de la Bibliotheca Wittockiana. Seuls les petits livres-objets en vitrine sont attribués. A l’entrée de la salle d’exposition, les deux grandes pierres levées sont de Pierre Culot. Une liste de légendes serait bienvenue pour ces œuvres du Fonds Michel Wittock.
Vue partielle de l'exposition, avec la lectrice en fil de fer de Brigitte Schuermans sous le Livre noir (11/9/2017)
J’apprends aussi que la sculpture d’une lectrice, particulièrement bien placée près de la fenêtre pour cette exposition, est faite à partir d’un seul fil de fer : se démarquant des nombreuses représentations de lectrices qui regardent ailleurs ou rêvent un livre à la main, celle-ci baisse les yeux vers son livre – elle lit vraiment, à la lumière du jour.
© Yasuhiro Yotsumoto et Kaori Miyayama, Music score
Exposée malgré qu’il n’ait pas joué le jeu du livre pauvre, une réponse de Christian Bobin à Daniel Leuwers (adressée au « Cher monsieur du livre pauvre ») explique les raisons pour lesquelles il n’y participe pas – dommage. Yasuhiro Yotsumoto et Kaori Miyayama offrent avec Music score un étonnant livret traversé d’ondes, une interprétation très originale du concept.
© Michel-Ange Seretti - Anne Walker, s.t.
Il vous reste deux semaines pour visiter l’exposition « Les très riches heures du livre pauvre » à la Bibliotheca Wittockiana, un titre inspiré des « Très Riches Heures du duc de Berry ». Elle sera suivie dès le 16 septembre par « Histoires de femmes », une exposition internationale de reliure contemporaine organisée par Ara Belgica. Une autre occasion de visiter ce musée dédié au beau livre et à la reliure, qui cultive l’art de sortir des sentiers battus.
Commentaires
Merci pour cette belle découverte qui, hormis le fait qu'elle fait se poser -s'il en était besoin- des questions sur l'édition et l'art aujourd'hui- donne envie, envie ... de voir... et (d'essayer) de faire pareil !!
Oh oui, merci! Nikole a raison, on se pose alors beaucoup de questions...
Il me semble que cela se faisait bien plus auparavant; Les Fleurs du mal illustrées par Matisse ou Rodin, un "Quinze jours en Hollande" de Verlaine illustré, Les fables de la Fontaine etc. Mais, et là c'est différent, je crois que c'était des éditions de luxe.
J'aurais adoré voir cette expo avec toi!
Je ne connaissais pas l'existence de ces livres pauvres. Quelle belle idée d'exposition. Le lieu a l'air accueillant, il me semble que tu en as déjà parlé.
Oui, je connais les livres pauvres, mais tout simplement parce que je me suis rendue au prieuré St Cöme (honnêtement, c'était d'abord pour les vitraux de Zao Wou Ki) et une amie qui connaît bien Daniel Leuwers m'avait parlé de ces livres là-bas (je n'ai rencontré D Leuwers qu'une fois brièvement)
J'aime bien le principe!
hélas, encore un bel endroit que je ne verrai pas... je pense comme Colo que j'aurais aimé le visiter avec toi :-)
@ Nikole : Quelle bonne idée d'essayer - pour toi la plume ou le pinceau ?
@ Colo : Oui, les livres d'artiste sont souvent réservés à quelques privilégiés. Cette pratique-ci échappe aux circuits commerciaux, du moins pour l'instant - je me demande si les bibliophiles ne finiront pas par s'en emparer, à moins que les livres pauvres restent uniquement dans des collections publiques.
Peut-être pourrons-nous un jour aller visiter ce musée ensemble ? Ce serait avec grand plaisir, tu l'imagines bien.
@ Aifelle : Oui, j'y retourne volontiers. Le musée se situe tout près du parc de Woluwe, au calme, et en effet, on y est bien accueilli. (Cliquer sur le tag de la Wittockiana pour retrouver les billets précédents.)
@ Keisha : J'ai vu sur le site du Prieuré que Zao Wou-ki y avait posé ses encres sur les baies du réfectoire : http://www.prieure-ronsard.fr/les-vitraux-de-zao-wou-ki/
@ Adrienne : Même réponse qu'à Colo : un jour peut-être, quand tu auras plus de temps libre et que je serai plus disponible.
Grâce aux blogs (et le tien en particulier), on découvre de jolies choses culturelles dont les médias ne parlent pas, ou peu. Cela a l'air intéressant mais je n'aurai sans doute pas le temps d'y aller.
Bonne semaine Tania.
Merci Tania de ce merveilleux billet. Je ne connaissais pas mais j'apprécie beaucoup. Ce devait être une magnifique exposition.
Mes amitiés et douce fin de journée.
Particulièrement intéressant et stimulant. Merci.
Et Bobin, alors ,que dit-il ???
J'ai même pris des photos (j'aime ce peintre!)
jolie découverte, je n'avais jamais entendu cette expression
la liste des illustrateurs est impressionnante
C'est splendide et cette initiative est magnifique. Ton billet est merveilleux, ces livres pauvres sont une découverte, la poésie est un immense domaine qui peut se décliner à l'infini, c'est vivifiant ! Merci Tania, je suis sous le charme. brigitte
@ Un petit Belge : Merci pour ton passage, bonne semaine à toi aussi.
@ Denise : Ravie que cela te plaise, à bientôt Denise.
@ K : Notamment ceci : que le livre pauvre est "une belle invention, une idée heureuse. Mais je n'arrive pas à monter dans ce petit train. J'ignore pourquoi. Vous êtes donc mon remords, un nuage qui flotte dans la chambre".
@ Keisha : J'aime aussi Zao Wou-ki dont j'ai pu voir une exposition au musée d'Ixelles et une autre au château de Chenonceau. (Si tu as mis tes photos sur ton blog, n'hésite pas à déposer un lien ici.)
@ Dominique : Heureuse de partager cette découverte avec toi.
@ Plumes d'Anges : Oui, ce sont de merveilleux échanges entre créateurs, j'aime ce mariage entre l'écriture et la peinture. Bonne après-midi, chère Brigitte. Nous avons une superbe journée d'été aujourd'hui à Bruxelles.
Oh, ça me plait ça ! Des livres pauvres, une riche idée pour ce monde de consommation à outrance.
Bonne journée.
N'est-ce pas ? Une grosse pluie vient de nous rafraîchir ce matin. Belle journée à toi.
Des livres "pauvres" de toute beauté ! je me demande bien pourquoi Bobin n'a pas voulu jouer le jeu, lui qui prône la simplicité, le brin d'herbe ! Il est vrai que ces livres pauvres avec des noms aussi prestigieux peuvent devenir des objets commerciaux sans prix pour les collectionneurs; c'est le danger.
Ps : je viens de lire ta réponse à K sur Bobin. Ce n'est donc pas par opposition mais par manque d'inspiration.
Merci Tania :-)
@ Claudialucia : Ton commentaire rejoint mes impressions, Claudialucia. La réponse de Bobin m'a étonnée aussi.
@ K : Des fragments retrouvés sur mes photos.
Pour répondre à ta question, ni plume ni pinceau ... mais collages ou photos mélangées à des écritures peut-être ... plein d'idées dans la tête pour plus tard ou jamais ... je sais bien qu on peut qu'on devrait trouver du temps pour ce qu on veut mais il y a des "priorités prioritaires" : la photo telle quelle, un peu d'écriture, épi euh... le travail la vie quoi... Merci à toi !
Il y en a trois ici (perdues dans un billet sur un salon)(vers la fin)
http://enlisantenvoyageant.blogspot.fr/search/label/salon%20du%20livre
J'ai toujours l'impression que tu nous fais découvrir des expos complètement dingues (dans le bon sens du terme)!
@ Nikole : Ah très bien, de beaux projets. Bon courage pour les priorités.
@ Keisha : Merci pour le lien vers tes photos.
@ Valérie : Si c'est dans le bon sens, tant mieux !
C'est curieux comme coïncidence, je viens justement de suivre, avec une amie, une semaine de stage (4 jours) sur le livre d'artiste - animé par une dame qui assure des formations et des stages à la Wittockania.
Et bien entendu, elle nous a parlé du livre "pauvre"... Pendant que nous nous escrimions à sortir quelque chose, avec le matériel dont on disposait.
Ces lives-ci n'ont évidemment rien de pauvre. Le livre d'artiste est déjà très difficile à faire, mais très gai à réaliser et demande beaucoup de travail, de minutie, de soin. Et un matériel adapté. Mais c'est passionnant et si je trouve un moment, il faut que j'en trouve un absolument, j'irai voir cette expo.
Je reconnais le style de Roger Dewint (il envoie aussi des enveloppes, du mail art), et j'aime beaucoup les couleurs de la dernière oeuvre exposée.
Ce genre de stage doit être formidable, on peut aussi apprendre la reliure à la Bibliotheca Wittockiana. J'espère que tu pourras voir cette expo avant le 10 septembre.
J'ai appris plus tard qu'il y avait à l'étage une exposition de mail art de Roger Dewint, je l'ai manquée.
Je trouve ce concept absolument génial.Chaque œuvre que tu nous présentes est de toute beauté.Des livres pauvres qui, pour l'instant s'affranchissent du commercial.J'apprécie d'autant plus que de grands noms comme ceux que tu cites aient accepté les duos artistiques.
Je suis enchantée.
Merci.
Toi aussi ? J'en suis heureuse. Un "beau livre" leur est consacré chez Gallimard : http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Albums-Beaux-Livres/Les-tres-riches-heures-du-livre-pauvre
A bientôt & bonne semaine, Maïté.
Oui. Je suis allée voir l'expo. La dame de l'accueil était vraiment charmante. Nous avons eu tout le temps de regarder les livres (mais j'ai parfois eu du mal à déchiffrer les textes), de regarder le film, très intéressant,
puis nous sommes allées à l'étage où il y avait l'expo de Roger Dewint et la salle de lecture.
Alors la sculpture en fil de fer (il y en a également une à l'étage) est signée Brigitte Schuermans. Je la connais, nous avons fait du croquis de modèle vivant pendant des années, à Genval, au sein du groupe Graphite. Elle est également restauratrice de tableaux et peintre. Elle a un site internet. A l'étage, elle a travaillé avec deux autres personnes qui faisaient aussi du croquis de modèle vivant, un architecte, Igor, et un graphiste très talentueux (qui a fait notamment plusieurs logos connus dans le Brabant wallon, entre autres celui du glacier Carrette).
Brigitte Schuermans est en train d'acquérir, depuis quelques années déjà, une jolie notoriété. Elle avait fait mon portrait, lors d'une de nos réunions, mais, malheureusement, elle devait y faire des retouches, le maroufler, et après, nous ne nous sommes plus vues ... Heureusement, j'ai une bougie peinte et gravée d'elle - car au début de l'année, nous nous échangions tous un cadeau fait maison - et artistique. C'était une période extrêmement passionnante.
Nous avons également vu le cabinet de Valère-Gille - la réserve précieuse...
Et la galerie où se trouvent des hochets.
Quelques très belles reliures également, dans une vitrine, et un film sur la bibliothèque. Mais comme je n'ai pas du tout le sens de la collection, je reste perplexe. Toutefois, je suis heureuse qu'un tel patrimoine soit intégré dans un musée - avec tout ce qui tourne autour, ateliers, activités culturelles etc. Et relativement bien accessible (le prix d'entrée est vraiment modique).
Oh ! Merci, Pivoine, pour tous ces renseignements, c'est passionnant. J'ajoute immédiatement le lien vers le site de Brigitte Schuermans, j'irai le visiter en long et en large plus tard : http://brigitte-schuermans.be/sculptures-2-8.html?PHPSESSID=fa2531f9593a83cea516cb939bdd993b
Je suis heureuse que tu aies aimé ce musée pas comme les autres et plein de ressources. La collection de hochets est une curiosité inattendue, il y en a qui me plaisent beaucoup ; je n'imaginais pas tant de créativité pour ce genre d'objet.