« A la fin du printemps, je vis enfin une amibe. […] Avant même d’observer, je me ruai au rez-de-chaussée. Mes parents étaient encore à table et buvaient leur café. Eux aussi pouvaient, s’ils voulaient, voir la célèbre amibe. Je leur dis avec enthousiasme que tout était prêt, qu’ils devaient se dépêcher avant que la goutte ne sèche. C’était la chance de leur vie.
Mon père, renversé dans sa chaise, avait étendu ses longues jambes. Ma mère, en pantalon bleu, les jambes croisées, fumait une Chesterfield. Mes sœurs avaient disparu. C’était une soirée chaude ; les fenêtres de la salle à manger s’ouvraient sur les rhododendrons en fleur.
Ma mère me regarda chaleureusement. Elle me fit comprendre qu’elle était ravie que j’aie trouvé ce que je cherchais, mais qu’elle et mon père buvaient leur café et qu’ils ne descendraient pas au sous-sol.
Elle ne me dit pas, mais je le compris sur-le-champ, qu’ils avaient leurs buts (le café ?) et que j’avais les miens. Elle ne me dit pas, mais j’en pris conscience à ce moment-là, que l’on entreprend ce que l’on entreprend par passion personnelle.
Elle venait, en gros, de me remettre ma vie entre les mains. Les années qui suivirent, mes parents me complimentèrent pour mes dessins, mes poèmes ; ils me fournirent des livres, du matériel de dessin, des équipements de sport, ils m’écoutèrent raconter mes ennuis et mes enthousiasmes, ils surveillèrent mon emploi du temps, discutèrent avec moi, s’informèrent, mais jamais ils ne voulurent participer à mon activité de détective, parler de mes lectures, poser des questions sur mon travail en classe, mes devoirs ou mes examens, venir voir les salamandres que j’attrapais, m’écouter jouer du piano, assister à mes parties de hockey sur gazon, ni s’intéresser avec moi à ma collection d’insectes, ni à celle de timbres, de minéraux ou de poèmes. C’était à moi de remplir mes journées et mes nuits. »
Annie Dillard, Une enfance américaine
Commentaires
on est bien loin de beaucoup de parents d'aujourd'hui, en première ligne à tout ce que fait leur enfant, à le filmer et à l'exhiber sur fb ;-)
Elle aurait peut-être voulu que ses parents participent davantage ?
@ Adrienne : Exactement ce que je me suis dit en lisant ce passage.
@ Aifelle : Oui, dans un premier temps, puis elle a compris qu'elle avait à développer son autonomie. Un bon "terreau" pour la créativité, semble-t-il.
Parfois les parents ne partagent pas nos passions...
Le café c'est important aussi !!!
Je me souviens de ma joie d'avoir découvert un lilas en fleur caché oublié derrière une vieille remise, j'avais couru pour l'annoncer à ma mère et elle impassible, étonnée par mon émerveillement qui lui semblait disproportionné ? ( j'avais 5 ans) ;-)
Je vois que cet extrait te rappelle des souvenirs, j'imagine ta déception ou ton étonnement de ne pas pouvoir partager cette découverte. Bon dimanche, Marcelle.
Bonsoir Tania, je viens de relire "Pélerinage à Tinker Creek" et de lire "une enfance américaine". J'aime beaucoup cette auteure, je suis contente de trouver plus facilement ses livres. à bientôt, Claude
Bonsoir Tania, je viens de relire "Pélerinage à Tinker Creek" et de lire "une enfance américaine". J'aime beaucoup cette auteure, je suis contente de trouver plus facilement ses livres. à bientôt, Claude
Bonjour, Claude, encore une lectrice fidèle à Annie Dillard. Avais-tu parlé de ces livres ? Si c'est le cas, n'hésite pas à mettre un lien ici.