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Kaboul des femmes

Les Cerfs-volants de Kaboul (2003), Khaled Hosseini les a dédiés à ses deux enfants, Harris et Farak, « le noor » (la lumière) de ses yeux, et aux enfants afghans. Mille soleils splendides (2007, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Valérie Bourgeois) porte quasi la même dédicace, mais cette fois « aux femmes afghanes ». Mariam et Laila en sont les deux héroïnes et incarnent la situation terrible des femmes en Afghanistan au XXe siècle – le récit va de 1973 à 2003 – et encore aujourd’hui.

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La prison, un espace de liberté pour les Afghanes ? (Le Figaro Madame) Photo © Sonia Naudy

Mariam a cinq ans lorsque sa mère Nana, pour la première fois, la traite de « harami » (bâtarde) sous le coup de la colère. Plus tard, elle comprendra que cela désigne « quelqu’un de non désiré, qui n’aurait jamais droit comme les autres à une famille, une maison, et à l’amour et à l’approbation des gens. » Pourtant son père Jalil, qui lui rend visite une heure ou deux chaque jeudi, l’appelle « petite fleur » et lui raconte de belles histoires de leur ville, Herat, où elle est née en 1959 – elle l’adore. Il a trois femmes et neuf enfants légitimes, « tous de parfaits étrangers » pour Mariam.

Sa mère et elle vivent à l’écart dans une minuscule maison en torchis avec une seule fenêtre, où pas grand monde ne leur rend visite – Nana déteste les visiteurs en général . Le mollah Faizullah qui vient enseigner le Coran à Mariam une ou deux fois par semaine, heureusement, lui montre de l’affection. Mariam lui confie qu’elle voudrait aller à l’école, mais Nana refuse : « Il n’y a qu’une chose à savoir : tahamul. Endure. »

Jalil possède un cinéma et pour ses quinze ans, Mariam désire qu’il l’emmène voir Pinocchio. Son père se montre réticent, plus encore quand elle exprime le souhait de rencontrer ses frères et sœurs, mais promet de venir la chercher le lendemain. Il ne vient pas. Mariam décide, pour la première fois, de descendre de la montagne en direction d’Herat. En ville, elle cherche la maison paternelle, où on refuse de la laisser entrer. Le chauffeur de son père, la trouvant encore devant la porte le lendemain matin, la ramène chez elle et n’a pas le temps de lui cacher l’horreur qui les attend : Nana s’est pendue à un arbre.

Alors il faut bien que son père l’accueille, mais ce sera de courte durée. On la marie à un cordonnier de Kaboul, Rachid, veuf depuis dix ans et dont le fils s’est noyé. Mariam comprend qu’on veut l’éloigner, proteste, puis s’incline quand son père organise le mariage. Elle le vénérait, désormais elle ne veut plus le voir.

Rachid exige que Mariam porte une burqa si elle veut sortir de la maison. En ville, elle croise des femmes qui n’en portent pas et se maquillent, prend conscience de « son physique quelconque, de son manque d’ambitions et de son ignorance ». Quand Rachid exige son dû conjugal, c’est sans égards pour elle, jusqu’à ce qu’elle soit enceinte, ce qui le rend fou de joie à l’idée d’avoir un garçon. Mais une première fausse couche change tout : Rachid, désormais, sera de mauvaise humeur, méprisant, irascible et brutal.

En 1978, l’assassinat de Mir Akbar Khyber est suivi d’un coup d’Etat : Kaboul « appartenait au peuple désormais ». Cette nuit-là naît une petite fille, Laila, un peu plus bas dans la rue de Rachid et Mariam, âgée alors de dix-neuf ans. Laila, elle, aura la chance d’aller à l’école, encouragée par son père, de nouer une amitié pour la vie avec Tariq, un garçon de onze ans qui a perdu la moitié d’une jambe. Elle aime apprendre toutes sortes de choses en classe avec son professeur, une prosoviétique au chignon sévère qui refuse de se couvrir la tête et l’interdit à ses élèves, soutenant l’égalité entre femmes et hommes.

Le père de Laila enseignait à l’université, mais les communistes l’ont renvoyé. Quand elle apprend la mort de ses deux fils à la guerre, la mère de Laila ne s’en remet pas. Tout le temps couchée, elle ne parle que pour chanter leurs louanges et se lamenter. Laila n’existe pas pour elle. Heureusement son père s’occupe d’elle, l’emmène avec Tariq voir les deux bouddhas de Bamiyan, fier du « fabuleux héritage culturel » de leur pays. Vu la situation politique, il envisage d’emmener sa famille vivre au Pakistan et puis, peut-être, aux Etats-Unis, où il ouvrirait un restaurant afghan, par exemple. Mais son épouse veut rester au pays pour lequel ses fils ont donné leur vie. Laila rêve de rejoindre un jour Tariq, parti avec son père au Pakistan.

Mille soleils splendides raconte l’histoire de ces deux femmes dont les destinées vont se lier, pour le meilleur et pour le pire, à la suite d’un bombardement sur Kaboul où les différentes factions qui se disputent le pouvoir se livrent une guerre incessante. A travers les épreuves qu’elles traversent, dans une société où les femmes perdent leurs droits et leurs libertés, et dans leur vie privée aussi, Khaled Hosseini montre sans fioritures l’évolution de son pays natal livré à la barbarie.

Né en Afghanistan en 1965, fils d’un diplomate afghan et d’une prof de farsi réfugiés aux Etats-Unis en 1980, romancier et médecin, Hosseini a travaillé en 2006 pour le Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés ; il consacre une postface à la situation dramatique des réfugiés afghans – encore des millions – et de toutes les autres personnes déplacées à travers le monde.

« Nul ne pourrait compter les lunes qui luisent sur ses toits / Ni les mille soleils splendides qui se cachent derrière ses murs. » Le titre tiré de ces vers de Saib-e-Tabrizi (poète persan du XVIIe siècle) que le père de Laila aimait, renvoie aussi à l’indomptable énergie de ces femmes humiliées, enfermées, brutalisées. Vivre, survivre est leur combat, pour échapper un jour à l’enfer, c’est leur espoir.

Commentaires

  • J'avais beaucoup aimé "Les cerfs-volants de Kaboul". Pourquoi pas celui-ci qui est d'une actualité criante.

  • Une terre violée par cinquante ans de conflit. La photo, les burqas, inimaginable au 21è siècle.
    J'ai vu récemment "Le procès de Viviane Amsalem" (Elkabetz), pas de burqa mais éloquent, pesant.

  • @ Armelle : Et l'histoire de ces femmes et le contexte politique sont affligeants, comment ne pas comprendre les Afghans qui fuient ces conditions de vie ?

    @ Christw : Et pourtant bien réel... Je n'ai pas vu ce film, mais son sujet m'a rappelé le roman d'Eliette Abécassis, "Et te voici permise à tout homme", qui m'a ouvert les yeux sur la condition de la femme juive.

  • Ces « objets surréalistes glacés d’un bleu sinistre de morgue » sont des femmes, dont le corps pleure le soleil abondant de leur région, nous culpabilise : comment des êtres humains peuvent-ils, encore à notre époque, traiter leurs semblables ainsi ?

  • J'ai vu ces jours-ci un court reportage sur les familles afghanes chassées du Pakistan et revenant dans un pays que beaucoup ne connaissent pas. Les femmes sont engrillagées comme sur ta photo et ça fait mal à chaque fois.

  • ce sont des livres que l'on m'a offert au moment de leur parution et j'en garde un souvenir très vif, un beau récit douloureux et tendre à la fois, parfois effrayant où l'on voit là encore tout le mal que fait une religion mal comprise

  • Ce qui est terrible c'est que là-bas elles ne peuvent que subir la situation ...
    Mais quand elles arrivent dans nos pays où enfin, elles peuvent se libérer, certaines continuent à porter la burqa ???

  • @ Doulidelle, Aifelle, Dominique, Adrienne, Colo, Pâques : Hélas ! Qu'ajouter ?
    Merci de réagir comme vous le faites.
    (Pour info, le port de la burqa est interdit par la loi en Belgique depuis 2011. Depuis lors, une soixantaine d'infractions ont été sanctionnées, d'après cet article du Soir : http://www.lesoir.be/1175840/article/actualite/fil-info/fil-info-belgique/2016-04-08/plus-60-pv-pour-femmes-portant-burka-ou-niqab )

  • Cela me fait penser au très beau livre "Les Hirondelles de Kaboul". J'ai bien envie de le lire, ce roman, le sujet me touche beaucoup !

  • Je n'ai pas lu ce roman de Yasmina Khadra, je le note, bien sûr, merci Margotte.

  • J'ai lu ce livre il y a quelques années et je l'avais trouvé fort et en même temps empreint d'une certaine délicatesse. Il est, presque 10 ans plus tard, toujours d'actualité, malheureusement.

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