« La plupart du temps, l’artiste utilise des images qu’il a réalisées lui-même. Il exécute des mises en scène photographiques en mettant à contribution ses amis, sa famille, ou des anonymes qui acceptent de poser pour lui. Le peintre est donc également photographe et metteur en scène, gérant accessoires, éclairage, position des acteurs. Il sait évidemment, au moment de la prise de vue, que les images ne resteront pas des photographies, qu’il les utilisera comme points de départ pour sa peinture. Son regard de peintre se mêle à son regard de photographe, afin de former des photographies-futures-peintures. Franz Gertsch transfère ensuite l’image photographique en peinture, comme un traducteur ferait basculer un texte d’une langue à l’autre.
Franz Gertsch, Irene VIII, 1981- Private Collection
Franz Gertsch Courtesy by Institute for Cultural Exchange, Tübingen, Germany, 2016
Une fois les images choisies, Gertsch en tire des diapositives qu’il projette en très grand format sur une immense toile blanche. Traitant la surface zone après zone, l’artiste s’affaire à en peindre consciencieusement chaque centimètre carré. Il reste au plus près de la toile, les yeux accrochés aux minuscules détails qu’il réalise. Ce travail titanesque est qualifié de « chorégraphie » par la femme de l’artiste, qui a réalisé une vidéo permettant de saisir l’ascèse à laquelle il se soumet pour exécuter cette re-représentation, cette représentation puissance 2. (…) Franz Gertsch a mis au point ce mode opératoire au fil des années. Chaque geste est maîtrisé, la peinture est posée mécaniquement sur la toile : aucune variation n’intervient, aucun repentir n’est possible. Le geste de l’artiste est sûr, entraîné. La soumission à l’image est complète. »
Hélène Carbonell, Franz Gertsch. Le peintre du présent (Document pédagogique, Toulouse, Les abattoirs, 2014)
PHOTOREALISM. 50 years of Hyperrealistic Painting, Musée d'Ixelles, 30.06 > 25.09.2016
Commentaires
je ne m'y retrouve pas... je peux admirer la virtuosité avec laquelle on reproduit la "qualité photo" mais je n'en vois pas le sens, ça me semble vide et creux (ou froid et un peu inquiétant, comme je disais avant-hier, c'est selon le sujet ;-))
C'est déconcertant comme démarche, comme Adrienne, je n'en vois pas trop le sens.
@ Adrienne : Du travail, de la virtuosité, c'est peut-être l'absence d'interprétation qui provoque cette impression de vide devant ces images trop pleines ?
@ Aifelle : Si la manière déconcerte, les images choisies montrent une fascination certaine pour certains objets et sujets.
Un autre éclairage sur http://mu-inthecity.com/2016/07/trois-generations-peintres-photorealistes/
Un travail monumental et très personnel
Quand on « transfère une image photographique en peinture » en la copiant minutieusement, on peut admirer la virtuosité du copiste, mais ça s’arrête là. --- Copier une œuvre, même avec talent, est du domaine de l’artisanat reproduisant fidèlement un modèle en de nombreux exemplaires ---
0n se souviens des « faux Vermeer » qu’un faussaire, Van Meegeren, avait tellement bien imité la technique qu’il fut difficile de trier le vrai du faux. --- Cependant, lui, à part la tricherie de la signature, avait du talent, mais ses toiles se seraient vendues moins cher, bien que sa performance lui ait finalement rapporté beaucoup d’argent, à tel point qu’il existe une exposition de « ses œuvres ». ---
Pour certains artistes, j'ai l'impression que l important spectacle de la mise en œuvre excède l'aboutissement.
« La réalité ne peut plus être saisie qu’avec un appareil photographique, car l’homme s’est habitué à considérer la réalité photographiée comme le rendu maximal du réel » tout en précisant qu’un « tableau doit rester un tableau et ne pas se substituer à la réalité (Wikipédia). Ce n'est pas très clair !
Ceci sans dévaloriser la qualité des travaux de Gertsch, laissée à la subjectivité de chacun.
Pour la petit histoire, lorsque je suivais des cours d'aquarelle, je décalquais parfois les photos dont nous reproduisions le paysage, le portrait. J'ai arrêté, je me sentais tricheur.
Plus que les sujets de ces peintures ce sont les jeux de lumière, si difficiles à capter, qui me fascinent. Les tableaux qui en sont privés ou qui n'en jouent pas me laissent absolument indifférente.
Je crois que le sens ... outre le questionnement sur le pourquoi de la démarche obsessionnelle de l'artiste, la mise en oeuvre de cet acharnement au "copiage " exact de la photo... le sens se trouve pour nous, spectateurs, essentiellement dans l'étrangeté suscitée par ce subtil décalage avec la réalité.
Face à une toile hyperréaliste, on est toujours surpris, on se demande si c'est réel, on s'approche pour mieux voir, on recule et puis on se dit "ben oui, c'est de la peinture" !!
Ensuite seulement ( après la surprise ), il y a le choix du sujet qui à son tour peut ( pas chaque fois) interroger, je pense.
Merci Tania pour ce chouette billet qui interroge ;-)
Et puis aussi... l'artiste copie d'après une photo, et c'est quoi la photo ? Un moment en suspens ? C'est un moment ( heureux ou malheureux) volé au temps ! Court de toute façon.
Alors que peindre ce moment est un long travail" d'ascèse"...l'artiste- peintre prolonge le clic de l'artiste -photographe... peut-être ressent-il un bien-être exquis à revivre sa première émotion, à rallonger, à recréer son clic de photographe, il relève le défi du temps qui passe...c'est ce qui lui donne l'énergie de le faire, voilà la "puissance 2"dont parle ton billet !
Nous sommes juste pantois devant ce travail.
@ Fifi : L'engagement du peintre l'est, certainement.
@ Doulidelle : Ici, ce serait donc du "faux vrai" ou du "vrai faux" ? ;-)
@ Christw : Je pense parfois, devant des oeuvres contemporaines, que la "mise en oeuvre" comme vous dites a dû occuper voire passionner l'artiste tout au long du geste créateur, mais que le résultat ne parle pas par lui-même, qu'il faut le commentaire explicatif pour en faire percevoir l'intérêt.
@ Colo : Tu as raison, leur rendu de la lumière est étonnant !
@ Witchy : Il y a forcément un côté provocateur chez ces peintres. Ils se lancent un défi et nous défient aussi dans nos réactions ! Intéressante, ton idée d'étirer le "moment photo" dans la durée. Merci, Witchy, de nourrir le débat.
Je suis entièrement d'accord avec le geste créateur entièrement personnel de l'artiste, sa chorégraphie créative, sa démarche obsessionnelle, son acharnement au copiage subtil,... tout ce qui constitue son plaisir, sa manière préférée, celle qu'il a choisie parce qu'elle lui convient et où il s'amuse.
Ce qui m'ennuie est justement le commentaire explicatif qui est techniquement intéressant. Mais l'explication de la démarche glisse souvent vers des considérations pseudo-intellectuelles risibles, telle celle que j'ai mentionnée.
Je veux dire que sur une démarche instinctive inhabituelle, on (pas toujours l'artiste) veut souvent coller des explications, des justifications fumeuses APRES COUP.
La lumière subtile (Colo): je regardais hier une émission d'Arte sur les impressionnistes. Corot, Sisley, Manet, Renoir, Monet... éclairages sublimes. Fallait-il qu'ils photographient leurs sujet ? Caillebot faisait des photos au pinceau.
Mais pas de polémique vaine, je suis subjectif. Quoi de plus normal en art.
Et merci pour vos billets bien informés.
Moi aussi, Christw, j'attends de l'art qu'il me parle d'abord et avant tout dans son langage plastique.
Déconcertée par l'exposition, j'ai cherché ce qui pouvait motiver ces artistes et cette description du travail de Gertsch m'a tellement sidérée que j'ai eu envie de partager cet extrait. (L'inachevé du portrait m'avait plu, en rupture avec le caractère "trop léché" de beaucoup des oeuvres exposées.)