« A moi aussi elle dit c’est vrai je fume trop elle le sait qu’elle fume trop à moi elle le dit clairement qu’elle fume trop et moi aussi je fume trop et je le lui dis et toutes les deux on se dit on va essayer de moins fumer tandis qu’à lui elle disait qu’elle fumait pas trop et moi je fumais dans les toilettes et maintenant je continue à fumer dans les toilettes mais je fume ailleurs aussi. Je sais que ça me fatigue mais tout me fatigue je suis de toute façon quelqu’un de fatigué sauf parfois quand je m’oublie. C’est assez rare que je m’oublie il faut des occasions des fêtes des grandes fêtes avec toute la famille réunie des fêtes comme des mariages des fêtes où l’on danse alors je m’oublie et je danse. »
Chantal Akerman, Une famille à Bruxelles
Commentaires
Elle a fini par ne pas se laisser vivre, un an après le départ de sa mère. Je connais mal ses films et c'est sans doute une erreur mais il me semblait qu'ils étaient empreints d'une trop grande affectation. Peut-être que trop se regarder vivre nuit.
Cette fatigue constante qui colle à la peau, ça doit être terrible ... fatigue de vivre ?
c'est une fatigue qui fait peur
S'oublier est sûrement la clé pour un mieux vivre.
C'est comme si elle le savait mais n'y arrivait pas...dommage.
@ Zoë Lucider : Je ne connais pas assez son œuvre pour répondre à ce sujet. Je garde un beau souvenir des "Rendez-vous d'Anna" avec Aurore Clément que j'associe toujours à Chantal Akerman. En 2004, elles ont lu "Une famille à Bruxelles" en alternance au Centre Pompidou : https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cKaaapd/rEn6gyg
Et dans une veine plus divertissante, j'ai aimé "Un Divan à New York" avec Juliette Binoche et William Hurt.
@ Aifelle : C'est "elle" (la mère) qui soliloque ici, déprimée par le deuil de son mari. La fatigue de vivre est terrible quand plus rien ni personne ne permet à quelqu'un d'en sortir.
@ Adrienne : Oui, c'est une souffrance.
@ Colo : S'oublier, faire quelque chose... « Si je n’avais pas fait de films, si je n’avais pas écrit, je pense que je serais dans une clinique psychiatrique. Cela m’a permis de survivre, et je ne parle pas financièrement. » Chantal Akerman en 2012
http://www.bxlbondyblog.be/portrait-chantal-akerman-une-cineaste-hors-du-temps/
Je rejoins entièrement l’intervention de Zoé Lucider. … Si on lit le renvoi à la toile et qu’on apprend que l’auteure provient d’une famille juive de Pologne, marquée par la déportation et le génocide, on comprend ce cri de souffrance refoulé et l’état dépressif qui doit souvent surgir de son passé de juive rejetée. … Il y a aussi dans la photo du renvoi plus que dans celles de Tania, un sourire et un regard triste qui est poignant. …
Il y a des êtres qui ont "un ressort de cassé", qui attendent éternellement ce qui ne vient jamais, qui essaient désespérément de trouver l'étincelle qui allumera leurs yeux , qui se créent journellement leur événement même insignifiant qui les raccroche encore pour un moment à la vie .
Et leur propre vie leur file ainsi entre les doigts, ils ont l'impression de ne plus la maitriser- ou trop bien- jusqu'à ce qu'un jour leur quotidien leur devienne si insupportable qu'ils renoncent à aller plus loin.
Je comprends le désespoir qui habite sa mère et qui l'habite aussi, j'ai souvent lu dans les yeux de certaines personnes très proches cette même inquiétude, cette même lassitude, ce même désespoir de ne pas trouver à quoi ou même à qui se raccrocher . Et je me suis senti si impuissant à pouvoir les aider en quoi que ce soit...
Dommage, je n'avais jamais entendu parler de Chantal Akerman mais vous m'avez donné l'envie de la connaître mieux.
Bonne fin de semaine Tania
@ Doulidelle : Depuis que j'ai écrit ce billet, je trouve d'autres articles et portraits intéressants qui éclairent ce lien entre Chantal Akerman et sa mère. Comme cette critique de son dernier récit, "Ma mère rit" : http://www.cinergie.be/webzine/ma_mere_rit_de_chantal_akerman
@ Gérard : Vous êtes très attentif à ces étincelles, à ce combat permanent contre la lassitude de vivre. Etre à l'écoute, donner de sa présence, ne pas juger mais comprendre, ce n'est pas rien. Bonne journée, Gérard.