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Inspiré par Rubens

« Sensation et sensualité, Rubens et son héritage » : il y a foule au Palais des Beaux-Arts pour cette exposition riche d’œuvres en provenance du monde entier, organisée avec le Musée des Beaux-Arts d’Anvers et la Royal Academy Of Arts de Londres. Pas de présentation chronologique, mais autour d’une belle sélection d’œuvres de Rubens, son héritage artistique, en six thèmes : violence, pouvoir, luxure (ci-dessous un détail de Pan et Syrinx en couverture du catalogue), compassion, élégance et poésie. 

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Pourquoi, comment Rubens (1577-1640) a-t-il influencé tant de peintres ? Voilà le sujet. De nombreux artistes français, allemands, espagnols, anglais, se sont inspirés de son art. Les œuvres exposées permettent d’observer comment ils reprennent et interprètent ce qui les a séduits chez le grand maître flamand. Pour découvrir ce parcours thématique, je vous renvoie au dossier de presse et au guide du visiteur (GV) sur le site de Bozar. Devant la surabondance, je renonce à toute synthèse.

 

Pour ma part, j’ai envie de vous parler d’un tableau qui m’a particulièrement plu parmi les « héritiers » de Rubens, dans la dernière section : La pêche de Manet (1862-63), un prêt du Metropolitan Museum de New York. C’est un paysage « animé » comme on dit pour signifier qu’il s’y trouve des personnages. Des pêcheurs, forcément : un gamin assis sur la rive, attend que le poisson morde à l’hameçon ; dans une barque, un homme tire ses filets à l’avant ; son passager au chapeau de paille, accoudé à l’arrière, observe la manœuvre d’un jeune homme armé d’une gaffe.

 

Inattendu, à l’avant-plan, un couple aux vêtements anciens et raffinés, éclairés d’élégants cols blancs, elle en bleu, lui en rouge. Leur chien, un chien de chasse « qui semble sorti tout droit du XVIIe siècle » (GV) observe ce qui se passe sur l’eau, au milieu de la toile. Le couple, lui, tourne le dos à cette scène aquatique et fait face au spectateur, mais en regardant de côté vers le chien, l’homme pointe le doigt dans sa direction.  

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Edouard Manet, La pêche, 1862-63, New York, The Metropolitan Museum of Art

La datation du tableau est incertaine. Le catalogue Manet de la fondation Pierre Gianadda (1996) cite en premier Antonin Proust selon qui « La promenade » (titre de l’étude correspondante) aurait été peinte entre 1858 et 1860 ; puis Léon Leenhoff (modèle du jeune garçon), qui y a reconnu un paysage de l’île Saint-Ouen (où la famille du peintre avait une propriété) et propose 1861, date de l’installation de Manet dans l’atelier de la rue Guyot où il a peint d’après des croquis de l’île.

 

L’arc-en-ciel à l’horizon, un village au loin, la flèche d’une église, des baigneuses près d’un bosquet, la signature oblique sur une barque, il y a une foule de choses à découvrir dans cette toile, « image composite, encombrée, mouvementée, diffuse, un mélange de genres, de plaisirs, de loisirs » (catalogue Gianadda), « un étrange mirage de toute  beauté » (GV, qui ajoute « même si le tableau manque de vie » – vraiment ?)

 

Delacroix avait donné au jeune Manet ce conseil : « Il fallait voir Rubens, s’inspirer de Rubens, copier Rubens, Rubens était le dieu. » Et Rubens est bien au centre de cette peinture : l’arc-en-ciel, le chien, les jeunes arbres sont empruntés à son Paysage à l’arc-en-ciel (Louvre). Et le couple ? Ces costumes du dix-septième siècle ? Eh bien, il s’agit d’Edouard Manet et de sa future femme, Suzanne Leenhoff, représentés dans la même pose que Rubens et Hélène Fourment dans Parc du Château de Steen (Kunsthistorisches Museum, Vienne).

 

La notice du MET rapporte que Manet, ayant caché à son père sa relation avec Suzanne, a sans doute peint cette « variation sur un portrait de noces » entre la mort de son père en septembre 1862 et leur mariage en octobre 1863, ce qui correspond à la datation actuelle. Ce tableau riche d’emprunts à Rubens (et à Carracci) et à sa propre vie (c’est peut-être Léon, fils de Suzanne, né de père inconnu, que Manet montre du doigt, « comme pour « accepter » le garçon dans sa famille », suggère le catalogue Gianadda), était très cher au peintre. La pêche n’a jamais été exposée du vivant de Manet (1832-1883), c’était un « tableau de famille », accroché dans leur appartement.

Commentaires

  • très intéressant!
    c'est une chose qui me fascine, de voir les liens, les fils qui relient une oeuvre à une autre, tout au long de l'histoire de l'art!

  • je suis plongée dans un livre qui parle du Désir et des Dieux je crois que cela ne déparerait pas ici
    un plaisir toujours de m'abimer dans les musées avec toi

  • je suis plongée dans un livre qui parle du Désir et des Dieux je crois que cela ne déparerait pas ici
    un plaisir toujours de m'abimer dans les musées avec toi

  • Rubens n'est pas un de mes "chouchous", mais ce billet est extrêmement intéressant...j'ai suivi les liens...et découvert un tableau qui me plaît beaucoup..de Rubens et Boucher,"Pan et Syrinx".

    Comme quoi, dans tous les arts, on se copie l'un l'autre...on y ajoute une touche personnelle et hop, sans copyrights!

    Merci, très doux ce tableau de Manet.

  • Je ne connaissais pas le tableau de Manet ; les filiations en peinture sont passionnantes, j'ai connu une peintre qui en parlait très bien ; j'ai pu voir plusieurs expositions avec elle et elle m'a appris à mieux regarder.

  • @ Adrienne : Moi aussi, et c'est vrai dans tous les arts, en littérature...

    @ Dominique : Eh bien, je peux déjà te souffler qu'il en sera justement question dans l'extrait de samedi !

    @ Colo : Merci, Colo, c'est le genre de rencontre qu'on peut faire tout au long de cette exposition. Sais-tu que Syrinx a donné son nom à la flûte de Pan ?

    @ Aifelle : Apprendre à regarder à travers le regard de l'artiste, un don précieux.

  • Copié/collé avec un retournement gauche/droite de l'arc en ciel et de la future femme de Manet. Peut-être que sans le retournement, c'était trop visible. A la fois hommage, copie et recyclage, comme en musique.

  • Comme c'est agréable de visiter un musée avec vous...
    Je ne connaissais pas ce tableau, Manet n'est pas un peintre que je rencontre souvent, en fait.
    J'aimerais bien visiter cette exposition ; elle semble tellement belle. Merci beaucoup.

  • @ Liousha Tiki : Le catalogue de Gianadda en donne l'explication suivante : ce ne sont pas les tableaux de Rubens dont Manet s'est inspiré, mais soit des gravures de Bolswert, soit des xylographies dans "L'histoire des peintres de toutes les écoles" de Charles Blanc, "puisque ses transpositions sont reproduites de manière similaire à l'inverse des compositions peintes originales" (je cite). Pour info - cela ne change rien à la justesse de ta conclusion.

    @ Bonheur du jour : Je n'en ai pas montré grand-chose, cette fois, mais je suis heureuse de cette rencontre avec Manet.

  • Elle doit être passionnante cette exposition. En plus, le regroupement par thèmes je trouve ça vraiment intéressant !

  • @ Margotte : Oui, c'est une exposition très riche, qui rend compte de la formidable influence de Rubens en Europe.

  • Rubens n'est pas un de mes peintres préférés mais je reconnais qu'il y a chez lui une truculence et une sensualité débordantes. Il aime la chair dans son ampleur, ses couleurs, sa nudité, au point de nous la faire toucher de l'oeil d'une façon unique. Rien à voir avec la chair chez un Watteau. Là, c'est plus direct mais aussi plus lourd. Intéressantes ces expositions qui font le lien avec les continuateurs ou les inspirateurs. Cela a été fait récemment au musée de Honfleur autour de la peinture de Boudin. Un enchantement. Mais il faut dire que je suis une inconditionnelle de Boudin. Et aussi de Manet.

  • @ Armelle B. : Cela tombe bien que vous citiez Watteau, j'ai failli parler d'une autre belle toile, "Le secret", prêtée pour cette exposition (collection privée).

  • Lors de ma dernière visite à Bruxelles, je suis allé voir la rétrospective Meunier, et ai pas eu le temps de visiter cette exposition. As-tu lu que de nouveaux orages arrivent au-dessus des musées royaux des Beaux-Arts? On parle même de la fermeture de la section Fin de Siècle....inaugurée l'an dernier!

    Bon week-end.

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