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Michel, Pointe-Noire

Dédié à sa mère, à son père et à Dany Laferrière, Demain j’aurai vingt ans (2010) d’Alain Mabanckou donne la parole à Michel, un gamin de Pointe-Noire, la ville où l’écrivain est né en 1966 (il vit actuellement en Californie). C’est le récit à la première personne d’une enfance, d’une famille, d’une culture : « Dans notre pays, un chef doit être chauve et avoir un gros ventre. »

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Il y a d’abord maman Pauline et tonton René, son frère, « un vrai chef » à la CFAO qui vend des voitures, même s’il n’est ni chauve ni ventru : « Il a un téléphone et une télévision chez lui. » L’oncle est riche mais se prétend communiste. Années septante, dix ans après l'indépendance. Michel est, comme tous les enfants, membre du Mouvement national des pionniers et futur membre du Parti congolais du travail, le PCT. Chez son oncle, il mange sous la photo de Lénine, non loin de celle de Marx et d’Engels, « de notre Immortel, le camarade président Marien Ngouabi » et enfin, pour quelque temps encore, de Victor Hugo. Michel n’a pas tout compris de ses idées politiques mais en a tiré une insulte : « Opium du peuple ! »

Le garçon qui transpire la nuit sous la moustiquaire est amoureux de Caroline – « une fille évoluée » d’après maman Pauline – leurs parents sont amis. Elle a quitté l’école qu’il fréquente encore pour une autre « au quartier Chic ». C’est la sœur de Lounès, son meilleur ami, déjà au Collège des grands. Monsieur Mutombo, leur père, est « le meilleur tailleur de la ville » ; leur mère, grosse « comme une femelle d’hippopotame ». Caroline et Michel se sont mariés un dimanche après-midi et ont partagé leurs projets : économiser pour quand leurs deux enfants seront grands, acheter une belle voiture rouge à cinq places, avoir un petit chien tout blanc.

Michel n’aime pas trop quand sa mère se fait belle et met « des pantalons orange qui brillent » et attirent tous les regards sur elle, surtout quand elle ne dit pas où elle va. Il voudrait être Superman, Hulk, Astérix ou Obélix pour la défendre. Si elle va chez son frère, c’est pour des affaires d’héritage. Et quand ils se disputent, René lui rappelle que Roger n’est pas le vrai père de Michel mais un « père nourricier » qui vit avec sa première femme, maman Martine, et leurs sept enfants.

Employé d’hôtel, papa Roger ramène un jour une radiocassette qu’il a reçue d’un client blanc, un habitué dont il s’occupe toujours. Ce sera un secret, personne dans le quartier ne doit être mis au courant, « on doit rester très modestes ». La cassette introduite, une grosse voix se met à chanter : « Auprès de mon arbre, je vivais heureux… » Le blanc à moustache, Brassens, emploie deux mots qui lintriguent, « saligaud » et « alter ego ». Mais il faudra du temps pour que Michel comprenne qu’on puisse pleurer un arbre. C’est un garçon qui écoute bien : son oncle sur les communistes et les capitalistes ; Monsieur Mutombo sur les blancs, les noirs, les arabes ; papa Roger sur le président et les militaires.

Alain Mabanckou, comme l’écrit Le Clézio dans la préface, « nous fait pénétrer à l’intérieur de l’âme d’un jeune enfant » du Congo-Brazzaville, nous montre le monde vu par des yeux « naïfs et attentifs » ; son jeune héros découvre « la vie, les chagrins, les émotions et les ruses qui préparent au métier d’homme. » La chanson de Brassens est un leitmotiv parmi d’autres, avec « La Voix de l’Amérique » que son père aime écouter, celle du journaliste Roger Guy Folli ; le destin du chah d’Iran après la Révolution ; Idi Amin Dada, le monstrueux chef d’Etat analphabète ; et surtout, surtout, Arthur, « le jeune homme au visage d’ange » sur la couverture d’Une saison en enfer, trouvé dans la bibliothèque paternelle et feuilleté en secret.

Mais le plus grave de ce qui arrive à Michel, c’est la trahison de Caroline, qui le quitte pour Mabélé, un joueur de foot. Comment la reconquérir ? Scènes d’école, vie du quartier, ambiances familiales, rêves et douleurs d’enfant, voilà le sujet d’un roman de style oral qui s’intéresse aux rapports entre les personnes, aux discours, à la diversité des valeurs proposées à un garçon d’une dizaine d’années. Un jour, Michel devra choisir. « Moi, je cherche une autre route, ma route du bonheur, celle que je prendrai pieds nus, en plein soleil, même si le goudron me brûle. »

Vous découvrirez chez Gangoueus le dernier ouvrage de Mabanckou, Lumières de Pointe-Noire (2013), qui revient de manière très différente sur la ville de son enfance et les personnages de Demain j’aurai vingt ans.

Commentaires

  • Un écrivain que je n'ai pas encore lu, j'espère le faire bientôt. Ma libraire ne tarit pas d'éloge sur le livre qui vient de sortir, et il est question qu'il vienne pour une rencontre. Je ne la manquerai pas.

  • En suivant quelques blogs consacrés aux livres, on y découvre des auteurs qui sortent de notre programme de lecture (si je considère que la pile en est un).

    Ainsi je vois parler Mabanckou de son livre chez Olivier Barrot, je découvre le lien "roman de style oral" où on évoque l'humour lié à l'apprentissage des mots.
    Intéressé, je mémorise en notant la référence.

  • Je ne suis pas une passionné de cet auteur dont je n'avais pas aimé le premier livre qui était pourtant très remarqué par la critique
    je lis ce billet avec attention car je ne demande qu'à changer d'avis

  • Bonjour Tania, merci pour le lien. Il est intéressant de savoir que Michel est le deuxième prénom d'Alain Mabanckou, et Caroline celui de sa compagne. La fiction s'entremêle magnifiquement avec les souvenirs d'enfance, et c'est tout un art.

  • @ Aifelle : "Gageons que le petit Michel rejoindra durablement, dans notre mémoire romanesque, le Holden Gaulfield de "L'attrape-coeurs" de J. D. Salinger, ou l'inoubliable Mille Milles du "Nez qui voque" de Réjean Ducharme" conclut Le Clézio dans sa préface. Tu as vu le lien vers Gangoueus qui parle de son dernier livre ? Donne-nous des nouvelles de cette rencontre si elle a lieu chez ta libraire, merci Aifelle.

    @ Christw : Nos chemins de lecture gagnent souvent à sortir des sentiers battus. J'avais souvent écouté Mabanckou à la télévision et ce récit d'enfance m'a décidée à le lire.

    @ Dominique : Tu fais allusion à "Bleu-blanc-rouge" ? Mabanckou, ici, fait parler un enfant - qui lui ressemble beaucoup - avec ses naïvetés, ses obsessions, ses difficultés. L'extrait demain te donnera un aperçu du style.

    @ Adrienne : "Verre cassé" a obtenu plusieurs prix et l'a fait connaître, on l'adapte régulièrement au théâtre. Bonne journée, Adrienne.

    @ Gangoueus : Merci à toi et à tes "lectures cosmopolites". Voilà qui confirme l'aspect autobiographique de ce roman sur lequel tu écrivais ceci à propos de l'actualité internationale que Michel découvre à travers la radio et les commentaires de son père : "cette actualité façonne l'imaginaire de la jeunesse de ce que l'on appelait le Tiers monde."

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