Gilles Leroy a obtenu le Goncourt en 2007 pour Alabama song, une fiction hantée par les ombres de Zelda Sayre, « la fille du Juge », et de Francis Scott Fitzgerald, le beau lieutenant épousé, aimé, jalousé, détesté. Juin 1918, les « Belles du Sud » bourdonnent autour de « guerriers rieurs » au Country Club, seul endroit où s’amuser entre gens respectables, jusqu’à minuit. A vingt et un ans, Fitzgerald a tout pour plaire – excellent danseur, « propre et soigné » – même si pour la mère de Zelda, « les hommes trop beaux sont le fléau des femmes ». Avec Goofo, comme elle l’appelle, la vie serait un bal perpétuel. Le jeune homme bien éduqué mais sans argent attend, pour l’épouser, d’avoir été publié. Il veut être à la hauteur de sa « fière danseuse gypsie » persuadée que le beau lieutenant sera un jour « le plus grand écrivain du pays ». Mésalliance, les parents de Zelda sont furieux.
Autoportrait
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Galerie de photos de Confetta sur flickr : les peintures de Zelda Fitzgerald
Il a trois centimètres de plus qu’elle, elle renonce aux talons hauts – « Pourquoi faut-il toujours les ménager, eux, comme s’ils étaient des guerriers de cristal ? » Dans la cathédrale Saint-Patrick à New York, l’haleine de Scott pue le bourbon, la jeune femme en robe ivoire se sent soudain « déplacée, inepte et mensongère ». Mariage sans fête ni parents, mais les amis défilent jour et nuit dans leur suite, d’hôtel en hôtel d’où on les éjecte « pour comportement indécent ». Très vite, les jeunes mariés se disputent. Scott au lieu d’écrire écume les bars avec ses copains le week-end, dessoûle la semaine. Zelda est enceinte. L’ennui commence à Westport, « la belle demeure du bord de mer qui avait tout pour devenir la maison du bonheur. »
Zelda, vingt ans plus tard, se souvient pour un « carabin en blouse blanche » et accuse : « Scott ne m’a laissé aucune chance, jamais. Il s’est plutôt acharné à griller mes chances. » Le seul homme qui lui a voulu du bien, elle l’a rencontré lors d’une réception à la Villa Marie, elle portait sa robe rose « en peau d’ange ». La « chieuse merveilleuse » y tombe amoureuse d’un Français, Edouard Jozan, l’aviateur qui parle anglais « avec un accent sensuel à vous faire frissonner des dents ». Scott avait loué une villa à Antibes, un peu de paix retrouvée, mais s’entiche alors d’un admirateur, Lewis O’Connor, pour Zelda un « gros lard », « amateur de corridas et de sensations fortes ». « Deux hommes ne mesurent jamais la dimension physique de leur attirance l’un envers l’autre. Ils l’enfouissent sous les mots, sous des concepts sentimentaux tels que la fidélité, l’héroïsme ou le don de soi. » Zelda voit en Fitzgerald un homosexuel refoulé aux prises avec un « ogre folasse ».
Les Fitzgerald aiment les fêtes, l'excès. Le quotidien ne leur réussit pas. Cauchemar d’une corrida à Barcelone, dont elle veut protéger sa fille, quatre ans. Fitzgerald éloigne sa femme adultère de l’aviateur, la prive de ses droits sur Patti, qui préfère son père. Alabama song fait tourner la ronde des souvenirs : soirée au Ritz ou chez les Stein à Paris, cours de danse avec Lioubov, Kiki chanteuse à La Rotonde. Zelda ne connaît que la vie d’hôtel, laisse tout dans la maison aux soins des domestiques, ménage, cuisine, repas de sa fille. Elle se veut artiste, ballerine, écrivain, peintre, mais Scott ruine toutes ses entreprises, impose son nom près du sien quand elle publie sa première nouvelle. Zelda lui cache son Journal, l’accuse de voler ses idées. « C’est un jeu, si l’on veut, un jeu triste où j’essaie de sauver ma peau et ma raison. »
Mrs Fitzgerald se retrouve en clinique – Scott a beau boire comme un trou, c’est elle la folle qu’on enferme. Quand elle rentre chez sa mère, à Montgomery, Zelda retrouve Tallulah, avec qui elle jouait les garçons manqués. Son amie a choisi le théâtre, le cinéma, fait courir des rumeurs, son goût du scandale n’a pas entamé sa position sociale, alors que Zelda, elle, a tout perdu dans sa vie d’« accessoire décoratif, dans l’ombre du génie ». La plus jolie fille du comté, la plus populaire au lycée n’a plus rien, ne sent plus rien, n’est plus personne. Elle périra dans les flammes.
Le camélia est l’emblème de l’Alabama. Gilles Leroy : « Il faut lire Alabama song comme un roman et non comme une biographie de Zelda Fitzgerald en tant que personne historique. » L’auteur s’est littéralement mis dans la peau de son héroïne – Alabama song, c’est lui. Dans ses romans reviennent, selon son éditeur, les thèmes de « l’homosexualité, la difficulté d’aimer, la difficulté de s’en sortir lorsqu’on naît au bas de l’échelle et, pour reprendre les mots de Fassbinder, la « difficulté de changer les choses dans ce monde ». » Pour les lecteurs-auditeurs, Fanny Ardant lui a prêté sa voix. Devant sa maison aujourd’hui musée, Zelda Sayre (1900 – 1948) avait planté à son dernier retour d’Europe un magnolia grandiflora. « Le magnolia continue de pousser pour elle, pour eux trois. »
Commentaires
J'avais vu pas mal de billets à propos de ce livre qui est manifestement réussi, je suis assez tentée par la version audio et la voix de Fanny Ardant
J'ai toujours un peu de mal avec les personnes ayant réellement existé et transposées dans un roman. Je m'y sens en général mal à l'aise.
Pierre Perret :
- "Ton souffle a la tiédeur des fleurs de magnolias..."
Pierre Perret :
- "Ton souffle a la tiédeur des fleurs de magnolias..."
@ Dominique : J'ai pensé qu'une "audiophile" comme toi apprécierait cette information - bien entendu.
@ Aifelle : Oui, je comprends ta réaction, Aifelle. Glisser sur la frontière entre biographie et fiction ne satisfait entièrement ni le lecteur avide d'informations ni l'amateur d'imaginaire, on flotte entre objectif et subjectif.
N'est-ce pas surtout parce qu'il s'agit de gens célèbres ? Il y a sans doute beaucoup d'autres personnages romanesques greffés sur des vies inconnues de nous, et qui dès lors ne provoquent pas cette gêne. Qu'en penses-tu ?
@ JEA : "Ta langue est un cheval qui ne t'écoute pas."
Oui bien sûr c'est la célébrité qui joue dans ce cas-là. Surtout lorsque l'on a de nombreuses images d'archives et des extraits filmés. Là, je le ressens presque comme une supercherie. J'ai abandonné récemment une lecture sur Robert Capa pour les mêmes raisons.
Cette description fait frissonner des dents, tout comme l'extrait ci-dessus, mais sans doute pas pour les mêmes raisons que l'héroïne...
Beau coup de pinceau, je crois que je vais me laisser tenter par ce mélange d'histoire et de fiction (ou plutôt reconstitution imaginaire, non?). Moi j'aime bien cet entrelac qui pousse plus avant la curiosité tout en nourissant notre soif de rêve.
@ Aifelle : Merci pour ta réponse, ce débat concerne une bonne part des livres publiés aujourd'hui.
@ Delphine : "Reconstitution imaginaire" convient tout à fait, Delphine. Bonne lecture.
"Écrire, je savais avant que lui-même n'ait posé le premier stylo sur le premier feuillet du premier carnet. Écrire, je savais et j'ai alimenté tous ses chefs-d’œuvre, non pas comme une muse, non pas comme matière, mais comme nègre involontaire d'un écrivain qui semblait estimer que le contrat de mariage incluait le plagiat de la femme par l'époux. (...) Que voulez-vous que je ressente? Piégée, abusée, dépossédée corps et âme, c'est ainsi que je me vis. Cela ne s'appelle pas être."
"Mon roman n’est pas une biographie de Zelda Fitzgerald, l’épouse qui aurait dû marcher dans l’ombre de son écrivain de mari, prévient Gilles Leroy. La fiction habille tous les interstices de cette belle rétrospective d’un couple mythique, beau à souhait, décadent à mort. La question qu’on se pose c’est comment le sentiment amoureux lumineux du départ peut à ce point tourner à la jalousie démentielle, aux frustrations, trahisons et déceptions cuisantes qui menèrent (époque oblige !) à la subjugation totale de l’une par l’autre.
Et pourtant Zelda avait de la répartie, de la ressource, du courage ! Sacrée miss Alabama, la Salamandre mythique, noir et or pouvait affronter le feu ! L’irrésistible belle du Sud, adulée de tous, mais en manque de père, ne pouvait pas devenir une icône de la ménagère soumise et parfaite que voulait l’époque. Elle réclamait sa part de « moi ». Mais à peine mariée, contre l’avis familial et pour échapper à son puritanisme, ce sera le début de la chute vertigineuse de ses rêves (orgueilleux ?) qui se terminera dans le brasier d’un hôpital psychiatrique en flammes, à 48 ans à peine.
Son besoin « d’être » était un choix positif de vie. Et ce droit lui était constamment dénié. Elle dira à un des gardiens de son âme : « Parfois l'excitation était si grande, elle bondissait dans mes veines, et je sentais les joues me cuire par un afflux de sang et de vie et de peur souterraine. Je valais quelque chose. Le cœur tambourinait à se rompre. La joie serait-elle douloureuse ? Quand je suis heureuse – si seulement il m'arrivait de l'être encore – ça fourmille dans mes jambes, j’avale trop d'air, j’étouffe, mes yeux se voilent, il faut se rendre et rideau ! Je tombe. J’aurais voulu vous le dire, docteur, mais je garde un peu de moi pour moi. » Sa sensibilité à fleur de peau la fragilise, son passé de jeune première frondeuse et rebelle qui osa briser tous les tabous du Sud profond, la condamne. Son mari la harcèle et la séquestre. La voix qui lui est rendue avec finesse par Gilles LEROY est une réelle réhabilitation.
Son mari, Scott Fitzgerald, qui conçut avec tant de brio le personnage de Gatsby le Magnifique, se plante lamentablement dans une avalanche d’égoïsme minable et dans le gouffre de sa vanité masculine incommensurable. Il ne peut que sombrer dans un état d’ébriété permanent pour masquer son désespoir. Zelda, dont les journaux intimes et les articles pour magazines ont été pillés sans vergogne par droit de cuissage, écrit en secret un roman magnifique en trois semaines, pendant son « traitement » en institution pour « schizophrénie ».
Ecriture construite et lucide qui contredit des accusations de démence et immortalise les heurs de la vie maritale. Si elle se retrouvait abrutie et enfermée régulièrement, privée de ses instruments d’écrivain c’était par pure jalousie de son génie artistique… Historiquement, on se dit que l’aliénation a mis bien du temps à être mieux traitée et que les traitements barbares - des électrochocs, aux bains glacés forcés, aux substances chimiques et aux interrogatoires musclés - étaient une arme de choix pour les maris en mal d’abus de pouvoir et ici, d’inspiration. Une Camille Claudel américaine.On comprend que Gilles Leroy dise que ce n’est pas une biographie de Zelda Fitzgerald, tant le ton est juste, vivant et émouvant. Cela, c’est de la pure fiction : un personnage féminin en diable, qui sort d’outre-tombe et vient nous parler, à la première personne! Et qui clame qu’elle l’aime encore, son « Goofo », au-delà de la haine! La salamandre or et noir, est immortelle, disait sa mère.
@ Deashelle : Merci pour ces compléments - un article de vous ? un entretien ?
ce sont mes commentaires , suite à la lecture de ce très beau livre!
@ Deashelle : Merci pour cette précision. J'ai cherché l'article sur votre blog sans le trouver, n'hésitez pas à l'indiquer ici si vous le souhaitez.
Et bien voilà, je l'ai lu et je l'ai beaucoup aimé ce roman controversé. Je l'ai pris pour ce qu'il était, mi roman mi biographie, ne me fiant ni trop à l'un ni trop à l'autre. Bien m'en a pris, j'ai été séduite et bien plus. Un merveilleux moment que je n'oublierai pas de sitôt. Merci chère tania.
C'est si gai de voir un billet ancien reprendre vie, merci à toi, Delphine.