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Ici Nancy Huston

Dans Ames et corps, Nancy Huston a rassemblé des textes publiés entre 1981 et 2003 (« plus ou moins la suite de Désirs et réalités. Textes choisis 1979-1994 ») : « Ces textes sont des jalons sur mon chemin de romancière et d’expatriée, de mère et d’intellectuelle, de rêveuse et de réaliste, d’âme et de corps. » Elle commence par y dessiner un « soi pluriel » à travers un parcours en six étapes intitulé « Déracinement du savoir » (2001). Ses parents, un père scientifique, émotif, très présent, une mère « portée sur les arts » et rationnelle très tôt absente de la vie de ses enfants, voilà pour l’origine. 

Nancy Huston sur mag2Lyon.jpg

 

Après avoir quitté le Canada, elle reçoit ses premiers cours de littérature dans un lycée du New Hampshire, formidables : « On a appris que la littérature parlait de mort, de sexe, de folie, de peur, de nous, et que, pour peu qu’on aborde la page (blanche ou imprimée) avec toutes nos forces vivantes, elle était à notre portée. Pas une once de théorie littéraire. » A l’université, Nancy Huston rêve et désespère d’être artiste. A Paris, en troisième année, son désir d’écrire de la fiction se heurte aux mots d’ordre de la Théorie et de la Révolution. Acceptée en 1975 au « petit séminaire » de Barthes« une période d’apprentissage exaltante » –, elle commence à publier des textes dans des revues, puis se lance dans la fiction. Elle partage dès 1980 la vie de Tzvetan Todorov.

 

Professeur de sémiologie et de « théorie féministe », elle souffre ensuite d’une maladie invalidante qui remet tout en question. « Mon critère, maintenant que j’ai
eu la chance de prendre conscience de ma mortalité, est devenu : « Cela m’aide-t-il à vivre ? » »
Alors vient le choix délibéré de la fiction, en parallèle avec la lecture de tout Romain Gary. La romancière nourrit à son tour les études théoriques, mais rien ne peut la détourner de ce que seule la fiction offre : « la vie changeante, fluctuante, pleine de secrets et d’impalpable et de contradictions et de mystères. »

 

« Festins fragiles » rapproche l’écriture et la cuisine, « mais sans recette », et « tout cela n’est rien sans la musique ». « Toutes les mères sont étrangères » est la première phrase de « La pas trop proche », où elle confronte la figure de sa mère
à sa propre expérience de la maternité. Dans Libération, elle s’étonne de ceux qui
ont des opinions sur tout, « éberluée par la facilité avec laquelle ils les acquièrent et la violence avec laquelle ils les défendent. » Un séjour en Bretagne chez une femme cultivée qui « zappe » d’un sujet à l’autre lui fait écrire : « Le rôle des intellectuels et des écrivains (…) serait maintenant, au contraire, de rétrécir. D’isoler. D’ériger des cloisons. De concentrer. D’écarter le flux affolant d’images et de bruits, de choix miroitants, d’informations et d’influences parasites. De faire le vide, le silence. De dire une chose, une seule. Ou deux… mais en profondeur. » (Le déclin de l’« identité » ?)

 

En deuxième partie, « Lire et relire », Nancy Huston va de l’Evangile selon saint Matthieu à Duras, rapproche Tolstoï et Sartre – « bonne foi, mauvaise conscience » –, questionne Romain Gary. Dans la troisième partie, qui donne son titre au recueil, se trouve son texte « le plus largement diffusé dans le monde », « traduit dans treize langues » et même en braille : « La donne » (1994). Nancy Huston le commence par « Je suis belle. Je n’ai encore jamais rien écrit à ce sujet, mais tout d’un coup j’ai envie d’essayer de le faire. » Au paragraphe suivant : « Par ailleurs, je suis intelligente. Moins que Simone Weil. » Elle examine ce que cela a signifié jusque alors dans sa vie, comment cela a joué dans ses rapports avec ses professeurs, avec les Français, avec les Américains qui mettent hypocritement le corps entre parenthèses. C’est une réflexion personnelle sur « les mille langages muets des corps », pour conclure : « On joue selon sa donne. »

 

Les derniers textes tournent autour de « La maman, la putain… et le guerrier » (quatrième partie). Elle y défend l’hypothèse suivante : « la guerre est un phénomène culturel au même titre que la prostitution, qui essaie de se faire passer pour un phénomène naturel au même titre que la maternité. » Comment la guerre est racontée aux femmes, quel y est leur rôle. Elle y revoit et adapte des
propos tenus dans A l’amour comme à la guerre (1984). Nancy Huston est une passionnée qui passionne. Dans Ames et corps, j’ai particulièrement aimé les textes
où elle revient sur son propre parcours de femme et d’écrivain. Une lecture stimulante.

Commentaires

  • Nancy Huston... "L'Empreinte de l'ange", j'ai adoré (un peu moins "La Virevolte") c'est vrai qu'elle est belle ! Merci de nous faire connaître son 'identité' et merci pour les liens.
    Les passages sur le déclin de la pensée et sur la guerre interpellent.

  • Je n'arrive pas à lire Nancy Huston, je ne sais pas pourquoi. J'ai seulement lu "lettres parisiennes", échange de correspondance avec Assia Djebar, que j'ai apprécié.

  • Si la lecture de Nancy Huston vous fut stimulante, soyez remerciée pour celle de votre billet l'est tout autant.

  • Si la lecture de Nancy Huston vous fut stimulante, soyez remerciée pour celle de votre billet qui l'est tout autant.

  • Ce qui m’étonne, dans sa biographie, c’est qu’elle s’est trouvée seule à Paris … ? Étonnant pour une francophone de sa classe !
    Autre chose : « … prendre conscience de sa mortalité (par la maladie grave) … cela aide-t-il à vivre ? … sans doute, si on ne craint pas de voir la vérité en face, mais ce serait mieux de ne pas passer par là ?

  • Nancy Huston... oui j'aime cette auteure, oui c'est une passionnée
    Merci pour ce très bel article
    Sais-tu Tania, qu'elle est une amie de Henri Bauchau? Il parle dans son journal de ses rencontres avec elle...

  • Superbe billet qui me donnel'envie de partir à la découverte d'une écrivaine que je ne connaissais pas, et ça même si certains titres de livres j'ai dû les croiser dans mes promenades en librairie puisqu'ils ne sont pas tout à fait étrangers à ma mémoire.
    Bonne année à tous.

  • @ Claire : "L'empreinte de l'ange" est un beau roman pour entrer dans l'oeuvre de Nancy Huston, je suis d'accord. Je n'ai pas lu "La Virevolte", mais bien "Lignes de faille" qui demande plus de temps pour donner sa mesure.

    @ Aifelle : Je n'ai pas lu cette correspondance, un jour peut-être. Parfois la rencontre a lieu, parfois non, peut-être à un autre moment?

    @ JEA : Merci, c'est vrai chez vous aussi.

    @ Doulidelle : Bienheureux ceux qui ne passent pas "par là" avant le grand âge !
    Le critère "cela m'aide-t-il à vivre?" me semble très sage pour faire des choix, prendre de bonnes décisions - sans exclure les autres, bien sûr -, et particulièrement dans notre société qui multiplie les sollicitations. A conjuguer avec cette pensée de Gandhi (de mémoire) : si tu hésites entre deux choses, choisis celle qui améliore la vie du plus misérable.

    @ Coumarine : Je ne connaissais pas les liens de Nancy Huston avec Bauchau, cela ne m'étonne pas vu son amitié avec Hubert Nyssen (N.H. et H.N.) et l'équipe d'Actes Sud. Pourrais-tu préciser la référence du journal où il en parle? Je lis parfois les Carnets de Bauchau en ligne, mais je n'en ai pas le temps pour l'instant (http://www.hubertnyssen.com/carnets.php) .

    @ Armando : Merci, Armando, je vais faire un tour chez vous où j'ai aperçu une lectrice intéressante.

  • Après "désirs et réalités" que j'ai beaucoup aimé, comme presque tous ses textes d'ailleurs, cette lecture "stimulante" sera la bienvenue.
    "Lettres parisiennes" m'a beaucoup aidée, il y des années, à y voir plus clair dans toutes les implications inhérentes au fait d'être étrangère dans un pays ami et choisi.

  • Bonjour Nancy, On aimerait vous inviter à notre Salon du livre de Toronto qui aura lieu au centre de la ville du 8 au 11 décembre 2010.
    Vous pourriez être conférencière invitée, présenter vos livres ou participer à une table ronde sur la littérature.

    Comme vous êtes anglophone d'origine et francophone par votre résidence et par vos livres, vous seriez une invitée idéale à notre Salon. Une réponse rapide ferait plaisir.
    Paul Ceurstemont, vice-Président du Salon du livre.
    (416) 449 8738

  • @ Paul Ceustermont : Vous me voyez très flattée de l'invitation au Salon du Livre de Toronto adressée à Nancy Huston. Le billet que vous avez commenté sur mon blog porte sur ses textes autobiographiques.

    Mes "Textes & Prétextes" sont principalement le journal d'une lectrice bruxelloise (belge) qui aime partager sa curiosité littéraire ou culturelle. Bienvenue sur mon blog à tous ceux qui partagent cette passion des livres. (Courriel suit.)

  • @ Michelle : Non, je ne connais pas ce film, je vois que Nancy Huston y a joué et est co-auteur du scénario. Peut-être une diffusion télévisée un jour ou l'autre ?

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