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roman - Page 185

  • Zelda dans l'ombre

    Gilles Leroy a obtenu le Goncourt en 2007 pour Alabama song, une fiction hantée par les ombres de Zelda Sayre, « la fille du Juge », et de Francis Scott Fitzgerald, le beau lieutenant épousé, aimé, jalousé, détesté. Juin 1918, les « Belles du Sud » bourdonnent autour de « guerriers rieurs » au Country Club, seul endroit où s’amuser entre gens respectables, jusqu’à minuit. A vingt et un ans, Fitzgerald a tout pour plaire – excellent danseur, « propre et soigné » – même si pour la mère de Zelda, « les hommes trop beaux sont le fléau des femmes ». Avec Goofo, comme elle l’appelle, la vie serait un bal perpétuel. Le jeune homme bien éduqué mais sans argent attend, pour l’épouser, d’avoir été publié. Il veut être à la hauteur de sa « fière danseuse gypsie » persuadée que le beau lieutenant sera un jour « le plus grand écrivain du pays ». Mésalliance, les parents de Zelda sont furieux.

     

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    Autoportrait

    http://www.flickr.com/photos/confetta/tags/zeldazeldafitzgeraldfitzgeraldpaintings/

    Galerie de photos de Confetta sur flickr : les peintures de Zelda Fitzgerald

     

    Il a trois centimètres de plus qu’elle, elle renonce aux talons hauts – « Pourquoi faut-il toujours les ménager, eux, comme s’ils étaient des guerriers de cristal ? » Dans la cathédrale Saint-Patrick à New York, l’haleine de Scott pue le bourbon, la jeune femme en robe ivoire se sent soudain « déplacée, inepte et mensongère ». Mariage sans fête ni parents, mais les amis défilent jour et nuit dans leur suite, d’hôtel en hôtel d’où on les éjecte « pour comportement indécent ». Très vite, les jeunes mariés se disputent. Scott au lieu d’écrire écume les bars avec ses copains le week-end, dessoûle la semaine. Zelda est enceinte. L’ennui commence à Westport, « la belle demeure du bord de mer qui avait tout pour devenir la maison du bonheur. »

     

    Zelda, vingt ans plus tard, se souvient pour un « carabin en blouse blanche » et accuse : « Scott ne m’a laissé aucune chance, jamais. Il s’est plutôt acharné à griller mes chances. » Le seul homme qui lui a voulu du bien, elle l’a rencontré lors d’une réception à la Villa Marie, elle portait sa robe rose « en peau d’ange ». La « chieuse merveilleuse » y tombe amoureuse d’un Français, Edouard Jozan, l’aviateur qui parle anglais « avec un accent sensuel à vous faire frissonner des dents ». Scott avait loué une villa à Antibes, un peu de paix retrouvée, mais s’entiche alors d’un admirateur, Lewis O’Connor, pour Zelda un « gros lard », « amateur de corridas et de sensations fortes ». « Deux hommes ne mesurent jamais la dimension physique de leur attirance l’un envers l’autre. Ils l’enfouissent sous les mots, sous des concepts sentimentaux tels que la fidélité, l’héroïsme ou le don de soi. » Zelda voit en Fitzgerald un homosexuel refoulé aux prises avec un « ogre folasse ».

     

    Les Fitzgerald aiment les fêtes, l'excès. Le quotidien ne leur réussit pas. Cauchemar d’une corrida à Barcelone, dont elle veut protéger sa fille, quatre ans. Fitzgerald éloigne sa femme adultère de l’aviateur, la prive de ses droits sur Patti, qui préfère son père. Alabama song fait tourner la ronde des souvenirs : soirée au Ritz ou chez les Stein à Paris, cours de danse avec Lioubov, Kiki chanteuse à La Rotonde. Zelda ne connaît que la vie d’hôtel, laisse tout dans la maison aux soins des domestiques, ménage, cuisine, repas de sa fille. Elle se veut artiste, ballerine, écrivain, peintre, mais Scott ruine toutes ses entreprises, impose son nom près du sien quand elle publie sa première nouvelle. Zelda lui cache son Journal, l’accuse de voler ses idées. « C’est un jeu, si l’on veut, un jeu triste où j’essaie de sauver ma peau et ma raison. »

     

    Mrs Fitzgerald se retrouve en clinique – Scott a beau boire comme un trou, c’est elle la folle qu’on enferme. Quand elle rentre chez sa mère, à Montgomery, Zelda retrouve Tallulah, avec qui elle jouait les garçons manqués. Son amie a choisi le théâtre, le cinéma, fait courir des rumeurs, son goût du scandale n’a pas entamé sa position sociale, alors que Zelda, elle, a tout perdu dans sa vie d’« accessoire décoratif, dans l’ombre du génie ». La plus jolie fille du comté, la plus populaire au lycée n’a plus rien, ne sent plus rien, n’est plus personne. Elle périra dans les flammes.

     

    Le camélia est l’emblème de l’Alabama. Gilles Leroy : « Il faut lire Alabama song comme un roman et non comme une biographie de Zelda Fitzgerald en tant que personne historique. » L’auteur s’est littéralement mis dans la peau de son héroïne – Alabama song, c’est lui. Dans ses romans reviennent, selon son éditeur, les thèmes de « l’homosexualité, la difficulté d’aimer, la difficulté de s’en sortir lorsqu’on naît au bas de l’échelle et, pour reprendre les mots de Fassbinder, la « difficulté de changer les choses dans ce monde ». » Pour les lecteurs-auditeurs, Fanny Ardant lui a prêté sa voix. Devant sa maison aujourd’hui musée, Zelda Sayre (1900 – 1948) avait planté à son dernier retour d’Europe un magnolia grandiflora. « Le magnolia continue de pousser pour elle, pour eux trois. »

  • Métamorphoser

    « La première fois que j’ai vu ma grand-tante préparer de l’aalangai puttu, j’avais peut-être cinq ans. Elle transformait du riz et des haricots en farine, de la noix de coco râpée en lait, le tout en une pâte et celle-ci en beaucoup de petites boules qu’elle métamorphosait, avec de la vapeur, du lait de coco et du sucre de palme, en fausses figures de banian sucrées. J’ai appris à l’époque que cuisiner, ça n’est rien d’autre que métamorphoser. Du froid en chaud, du dur en moelleux, de l’aigre en doux. C’est pour cette raison que je suis devenu cuisinier. Métamorphoser les choses me fascine. »

     

    Martin Suter, Le cuisinier 

  • Cuisine d'amour

    Nos cuisines équipées ne ressemblent plus à celles de nos grands-mères avec la nappe cirée sur la table, le buffet aux portes vitrées, la gazinière, le formica – même si leurs ustensiles servent encore parfois et qu’on prend toujours plaisir à utiliser un plat, une carafe, un service qui ont traversé le temps sains et saufs. La cuisine de Maravan, l’aide-cuisinier tamoul à qui Martin Suter offre le premier rôle dans son roman Le cuisinier (Der Koch, 2010, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni), ressemble plutôt à un laboratoire. Même si n’y ont pris place que des meubles et des appareils d’occasion, c’est une version réduite de la cuisine du Huwyler où il travaille aux ordres d’Anton Fink, spécialiste de la cuisine « moléculaire ». Ce grand restaurant suisse, « nouvelle cuisine » et salle « surdécorée », attire les gros bonnets des affaires et de la finance, malgré la crise financière – on est en mars 2008.

     

     

    Andrea, la serveuse, a grande allure et fait de l’effet sur les clients. Elle observe de temps à autre le travail de Maravan : l’aide-cuisinier semble pouvoir tout faire en cuisine, on use et on abuse de ses services, sans jamais le féliciter et on le renvoie aux basses besognes dès qu’on n’a plus besoin de lui. Avant de rentrer chez lui, cet homme hypersensible aux odeurs se douche toujours soigneusement. Les seules odeurs de cuisine dont il aime s’imprégner lui viennent de Nangay, sa grand-tante, qui lui a tout appris. Elle travaillait à Colombo comme cuisinière de maître. Mais la guerre civile, la mort de ses parents lui ont fait quitter le Sri Lanka où la vie est de plus en plus difficile, comme le lui rappelle une lettre de sa sœur. Maravan envoie de l’argent à sa famille quand il le peut. Son salaire, une fois le loyer payé, lui laisse juste de quoi cultiver sa passion : cuisiner. Plants de caloupilé en pots, épices, fines herbes, huile de coco, bâtons de cannelle, voilà un peu de  « l’odeur de son enfance ».

     

    Maravan aimerait se rapprocher d’Andrea, qui tient tout le monde à distance pour éviter les ennuis qui lui ont coûté ses places précédentes. Mais le jour où, sans penser à mal, Maravan propose au chef de lui préparer « un vrai curry », ce qui lui vaut d’être immédiatement rabroué et moqué devant tout le monde, elle est la seule à oser dire qu’elle en goûterait volontiers un jour – rendez-vous est pris pour le lundi suivant, leur jour de congé. Le dimanche soir, l’aide-cuisinier qui a l’habitude de partir le dernier et d’arriver le premier emporte dans son sac de sport le rotovapeur du Huwyler, sans rien dire à personne, et se lance dès son retour dans les préparatifs d’un repas très spécial pour Andrea. « L’essentiel, dans ce repas, c’étaient les entremets : une série d’aphrodisiaques ayurvédiques qui avaient fait leur preuve, mais accommodés avec autant d’audace que d’innovation. »

     

    Dans son petit appartement d’une propreté impeccable, Maravan plante le décor d’un « Maravan Curry Palace » : table très basse, bougies, pas de couverts – sa cuisine se mange avec les doigts. Andrea, qui s’est a posteriori reproché son réflexe de saint-bernard, a pris du vin avec elle au cas où le Tamoul n’aurait pas d’alcool chez lui. Mais Maravan a mis du champagne au frais et commence à lui servir un repas comme elle n’en a jamais goûté : minuscules chappatis sur lesquels il laisse tomber quelques gouttes d’un liquide secret ; rubans bruns entrelacés qu’il appelle « homme et femme » (« Et lequel est la femme ? – Les deux. ») ; sphères glacées « Nord-Sud » ; Ladies’-fingers-curry ; Churraa varai (du requin) ; thé blanc. Oubliant l’attitude défensive qu’elle s’était promis de garder toute la soirée, Andrea, de bouchée en bouchée, écoute Maravan lui raconter quelles circonstances ont mené un tel virtuose à une place de subalterne au Huwyler. Elle l’interroge sur sa famille sri lankaise… et finit par l’embrasser.

     

    L’euphorie de Maravan, qu’Andrea n’a quitté qu’au petit matin, se brise le jour même. Un accident de tram, un retard inévitable, et pas le temps de remettre le rotovapeur en place. Licenciement immédiat. Quand Andréa prend son service, plus tard, et se renseigne sur son absence, elle ne peut se retenir : « Maravan a sous l’ongle du petit doigt plus de talent qu’il n’y en a dans cette cuisine ! ». Elle ajoute même : « Pour le lit aussi ! » L’aide-cuisinier est désormais au chômage. Pour s’en sortir, il accepte de petits boulots au temple pour la fête du nouvel an tamoul, loin de son rêve : posséder son propre restaurant, être reconnu pour sa « haute cuisine indienne, ceylanaise et ayurvédique ». Et plus de nouvelles d’Andrea.

     

    Au mois de mai, celle-ci revient chez Maravan : elle veut tout savoir de la nourriture qu’il lui a préparée ce soir-là et qui l’a entraînée, elle qui ne couche qu’avec des femmes, à passer la nuit avec lui. Il lui avoue avoir choisi des plats aphrodisiaques, une cuisine à laquelle Nangay l’a initié. S’il désespère d’être un jour aimé d’Andrea, Maravan espère au moins être son ami. Il ne trouve aucun travail dans ses cordes, vivote. Pour être engagé dans un restaurant ceylanais, il devrait faire acte d’obédience aux Tigres tamouls qui récoltent des fonds pour leur armée de libération, il s’y refuse. Aussi quand Andrea vient lui demander s’il serait d’accord de préparer à nouveau le fameux repas chez elle, pour une invitée qu’elle veut séduire, il installe là sa table basse entourée de coussins, le même décor que l’autre fois, et se réjouit de sa première intervention dans un foyer suisse, peut-être l’occasion d’une nouvelle carrière dans la cuisine à domicile. Et tout marche à merveille, Andréa peut vérifier sur Franziska, jamais séduite par une femme jusqu’alors, les effets de la cuisine de Maravan.

     

    Elle propose au cuisinier de s’associer, moitié moitié. Elle s’occupera de la gestion de « Love food », à laquelle elle parvient à intéresser une sexologue qui les aidera en proposant ce repas d’amour en thérapie à ses riches clients en difficulté. Après quelques commandes, autant de réussites, leur affaire est lancée, au noir, vu les difficultés administratives insurmontables. Leur pécule augmente, ils peuvent s’acheter du matériel professionnel, un nouveau véhicule. Maravan cuisine toute la journée et une partie de la nuit. Ses gains lui permettent d’envoyer au pays les médicaments nécessaires à sa grand-tante diabétique de plus en plus faible. On verra jusqu’où les conduira cette association lucrative, Maravan n’acceptant de cuisiner au départ qu’à l’intention de couples mariés, mais en butte bientôt à de grands soucis quand les partisans des Tigres tamouls découvrent ses nouvelles ressources. Et puis, caché dans la cuisine – puisque seule Andréa rencontre les clients qui appellent le service en agitant une clochette –, « l’artiste en Maravan se sentait néglgé. Et, ce qui était presque pire, l’homme aussi. » En effet, Andrea est tombée amoureuse d’une magnifique escort-girl éthiopienne, Makeda, de plus en plus présente dans leur association. En pleine guerre civile au Sri Lanka, où son neveu préféré devient enfant-soldat, Maravan n’a plus le cœur à la fête même s’il est heureux d’exercer son art.

     

    Suter nous immerge dans des mondes très différents d'un roman à l'autre : maladie d'Alzheimer dans Small world, milieu de l'art dans Le dernier des Weynfeld. Ici, en plus de l’extraordinaire description d’une cuisine hors du commun et des péripéties de l’association entre Andrea et Maravan, le romancier prend soin, chapitre après chapitre, de camper le contexte économique à travers les rencontres entre des habitués du Huwyler spécialisés dans les échanges internationaux, souvent à la limite des législations en vigueur. Les us et coutumes de ce milieu d’affaires, les rappels de l’actualité semblent parfois obéir à des contraintes romanesques moins subtiles que les secrets de la cuisine de Maravan. C’est celle-ci qui donne au roman sa saveur et qui laisse flotter, une fois la lecture achevée, un parfum à la fois exotique et excitant qui donne, je l’avoue, envie de goûter avec les doigts aux plats de ce maître cuisinier.

  • Une épouse

    « Puis Willard s’en alla en emportant son large sourire étincelant et revint en compagnie d’une épouse, Vienna Daniels, née Whitcomb, une bas-bleu de New York qui avait deux ans d’université derrière elle et des déshabillés en provenance de Paris, qui savait jouer du piano et parlait des langues étrangères, qui avait les cheveux blonds et une femme de chambre blanche, des chaussures et des gants pour les différents moments de la journée, un buste en marbre de Quintilien et quatre malles pleines de livres – plus que dans tout le reste de Winsville. »

     

    Katherine Mosby, Sanctuaires ardents

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  • Vienna en Virginie

    Certains personnages de roman s’inscrivent d'emblée dans la mémoire lorsqu’un écrivain réussit à leur donner une telle présence, la première fois qu’il les nomment, qu’ils suscitent attente, curiosité, voire empathie. Katherine Mosby raconte, au début de Sanctuaires ardents (1995), que le jeune Addison, onze ans, avait été prévenu dès son arrivée chez son père contre Vienna Daniels : la glycine de sa maison avait fleuri deux fois l’été de son installation à Winsville en Virginie, « puis elle avait peint la grange en bleu. » Cela suffit aux gens convenables pour la juger folle, d’autant plus que sa fille Willa n’est pas une enfant modèle.

     

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    Aussi partageons-nous l’attirance du garçon pour la propriété des Daniels, où il aimerait devenir le compagnon de jeu des Daniels, Willa et son frère Elliott, et approcher leur mère extravagante. Son père, John Aimes, l’a mis en garde contre les rumeurs : « Vienna Daniels n’est pas folle ; elle est différente, c’est tout. Les gens ne le tolèrent pas. Tu ferais bien d’apprendre à considérer le contexte, au lieu de juger la personne. »

     

    Selon la tante Augusta, la sœur de leur père, que Willa et Elliott refusent d’appeler « Sœur » tout court, Vienna se néglige et livre trop ses enfants à eux-mêmes. A Willa, sa mère a fait promettre de lire un jour tous les livres de sa bibliothèque – « Ils peuvent te sauver. » Mais la fillette a d’autres plans en tête cet été-là . Pour décourager le jeune intrus qui a franchi les limites des Hauts, leur propriété, elle recueille sur une page de David Copperfield un étron produit par son frère dans le but de le catapulter sur Addison par surprise à sa prochaine apparition. Le plan échoue techniquement et psychologiquement : bombardé de terre, assailli de menaces, il reste ébloui par la beauté de la fille de « la plus riche famille du coin ».

     

    Quand Willard Daniels est revenu à Winsville en compagnie de son épouse de vingt ans, « un bas-bleu de New York », tout en elle a dérangé les autres : son prénom étranger, son érudition, ses manières du Nord, ses grands airs, son orgueil, son langage. Willard lui reproche bientôt sa franchise envers leurs invités, à quoi Vienna répond : « J’enfile des gants lorsque je quitte la maison, mais je ne mettrai pas de gant sur ma langue quand je suis chez moi. » La femme du maire qui se pique d’élégance espérait se faire une amie de cette nouvelle venue, mais le thé qu’elle donne en son honneur tourne au fiasco. Dès lors, elle aura la dent dure contre cette jeune femme qui refuse les invitations, qui passe ses soirées à lire, qui refuse de monter Ulysse, le pur-sang que lui a offert son mari, mais l’emmène en promenade avec elle.

     

    La seule qui devienne l’amie de Vienna, c’est l’institutrice de Winsville, ancienne bibliothécaire. Echanges de livres, rires, chansons, Alisha Felix et Vienna s’entendent merveilleusement. Willard trouve Alisha trop voyante avec ses vêtements colorés et trop envahissante, une « fauteuse de trouble ». Celle-ci, seule visiteuse régulière des Hauts, y gagne « une certaine notoriété » aux yeux des autres habitants. Jusqu’au jour où Willard quitte sa femme en compagnie de l’institutrice.

     

    Vienna était alors, sans le savoir, enceinte pour la deuxième fois. Sœur débarque dans la maison de famille pour venir en aide à la jeune mère abandonnée et mettre un peu d’ordre, veiller à l’éducation des sauvages petits Daniels. L’arrivée d’un botaniste, Gray Saunder, attiré par le saule pleureur de leur propriété, arbre rare dans la région, va détendre l’atmosphère et réjouir les cœurs. Vienna le prie de s’installer chez eux et le fait passer pour un cousin. Enfin un homme par qui elle se sent « acceptée » telle qu’elle est, un complice, à la hauteur de sa fantaisie – comme elle il a le goût des mots. Gray n’est pas le seul à tomber amoureux d’elle : c’est aussi le sentiment secret d’Aimes, leur plus proche voisin, et du Dr Barstow qui se montrera plus d’une fois un allié sûr de Vienna.

     

    Sanctuaires ardents n’est pas pour autant une bluette. Le récit de la vie des Daniels, parfois joyeuse, souvent douloureuse, tragique même, permet à Katherine Mosby de décrire avec un lyrisme tempéré mais sensible la beauté des éléments et de la nature, des arbres qui sont la passion de Vienna, des animaux qu’observe et soigne le petit Elliott. C’est un hommage aussi aux joies profondes de la lecture et de la musique. Les relations personnelles – l’affection entre frère et sœur, les enfants en bande, la vie domestique – y sont bien rendues, ainsi que les mesquineries, l’intolérance, la cruauté ordinaires, le racisme sudiste. Ce beau portrait de femme interroge le monde : quelle part la société laisse-t-elle à la fantaisie, à l’originalité, au refus des convenances ? « Dans l’alchimie infaillible de la métaphore et de l’imagination, parfois l’odeur de la pluie suffisait. »