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mrah - Page 2

  • Les magasins Wolfers

    Wolfers est un nom bien connu des amateurs d’Art nouveau en Belgique, que les bijoux de Philippe Wolfers font rêver. Les magasins Wolfers (1912-1973), rue d’Arenberg à Bruxelles, proposaient à une clientèle aisée de l’orfèvrerie, de la joaillerie et des articles de luxe. Les Musées royaux d’art et d’histoire ont hérité de leur mobilier dessiné par Victor Horta : « des vitrines d’acajou aux lignes délicieusement sinueuses, tendues d’un velours vert foncé. » (Anne Hustache, Les magasins Wolfers. Un écrin de luxe, Collect, 2017) 

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    Vue partielle du mobilier Horta pour les magasins Wolfers

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    Jusqu’à la fin de cette année, dans une aile conçue au départ pour les Arts décoratifs, le musée du Cinquantenaire expose, dans ce mobilier Horta restauré, ses collections Art nouveau et Art Déco : Horta & Wolfers, une initiative du conservateur Werner Adriaenssens. On découvre ce bel ensemble dans une reconstitution des magasins Wolfers en entrant par les portes originales dans des salles aux murs de la même teinte que la soie tendue sur ceux de l’ancienne joaillerie.

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    Dans les vitrines des comptoirs, de l’argenterie, des étoffes, des bijoux. Des couverts en argent signés Philippe Wolfers. Dans les vitrines hautes, des vases, des sculptures, de l’orfèvrerie. Sur les cartels, des noms plus ou moins connus, en plus des Wolfers, des artistes belges et français pour la plupart. Le plaisir de regarder toutes ces belles choses est tel que la prise de notes est fastidieuse – je mise sur un catalogue pour retrouver des informations et j’ai tort, la boutique du musée ne propose que le gros catalogue de l’exposition gantoise sur La dynastie Wolfers (soixante euros) : Louis Wolfers, le fondateur ; Philippe Wolfers, son fils, créateur génial ; Marcel Wolfers, son petit-fils, sculpteur.

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    Applique pour le pavillon Ambassade de France par Paul Iribe
    à l'Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, Paris, 1925

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    © Edouard-Marcel Sandoz (1881-1971), Chat, bronze, 1925

    La première salle, à droite de l’entrée, est consacrée à l’Art Déco ; il aurait fallu commencer par l’Art nouveau, de l’autre côté, où une visite guidée était en cours. Un peu plus loin que le grand portrait de Philippe Wolfers par Frans Van Holder, je remarque une belle applique (ci-dessus) et un cache-radiateur d’époque. De nombreuses pièces exposées de ce côté datent de 1925 : des étoffes pour les Ateliers viennois, des bijoux de fantaisie et un éventail à plumes de Henriette Montaru, une pochette en cuir et feuille d’or signée Josef Hoffmann, un tissu « Roses d’or » de Raoul Dufy…

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    © Marcel Wolfers, Victoire à la couronne de lauriers, ca 1931 (Photo MRAH)

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    © Lalique, Coupe aux ondines, 1921

    Des vases et des coupes de toutes sortes ornent les vitrines : verre, cristal, orfèvrerie, céramique. Tout au-dessus, une Victoire à la couronne de lauriers de Marcel Wolfers (ivoire, laque, bois) est une merveille d’équilibre. Oh, cette coupe aux Ondines de Lalique ! Ah, ce vase noir et blanc de Jean Dunand (cuivre, laque, coquille d’œuf) ! Tiens, une Autrichienne a signé ce vase en céramique, Hilda Jesser. Je reconnais le beau Chat d’Edouard-Marcel Sandoz, déjà admiré à la Villa Empain.

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    Vues de l'exposition avec
    L'Offrande de Marcel Wolfers / des sculptures de Philippe Wolfers (Photos MRAH)

    On passe forcément, comme dans une boutique, d’une chose, d’un genre à l’autre, c’est très varié. Un grand bronze de Marcel Wolfers, L’Offrande, devant les fenêtres donnant sur le joli jardin du cloître, fait face aux vitrines de l’entrée. Deux statuettes en ivoire de Philippe Wolfers y attirent l’attention, Le premier bijou et Printemps, de fines sculptures très élégantes. Puis des vases de Daum Frères et d’autres, dont un bleu et un rouge aux motifs de fleurs très à mon goût.

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    La collection Art Nouveau « historique » des MRAH doit beaucoup à Octave Maus : c’est lui qui sélectionnait pour le musée les œuvres à acquérir et cette collection présente en quelque sorte sa vision des arts décoratifs en 1900. Sur un tableau comparatif des salaires et appointements annuels en francs belges, de 1890 à 1910, on découvre que le typographe exerçait alors un métier mieux rétribué qu’un fonctionnaire. Cela permet de mieux évaluer ce que représentait le prix de certains articles, qu’on a renseigné sur le cartel quand on en a gardé la trace.

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    © Philippe Wolfers, Encadrement de dessins, noyer, 1897 / dessins datés

    Que de chefs-d’œuvre dans cette salle Art nouveau ! Charles Van der Stappen, Philippe Wolfers marient l’ivoire et l’argent dans des créations spectaculaires : Sphynx mystérieux du premier, du second un coffret à bijoux appelé La parure ou Le paon, entre autres. Au mur, un très original encadrement en noyer présente des dessins de Philippe Wolfers pour ses créations.

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    © Charles Van der Stappen, Sphinx mystérieux, 1897 (ivoire, argent)

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    © Philippe Wolfers, coffret à bijoux La Parure ou Le Paon, 1905 (argent, ivoire et pierres semi-précieuses), Photo MRAH

    Surprise, voici une armoire à layette de Charpentier où je reconnais la Jeune mère allaitant son enfant que j’avais vue au musée d’Ixelles il y a des années. Beaucoup de vases dans ces vitrines art nouveau, mais aussi d’autres objets, une reliure de Toulouse-Lautrec, des verres en forme de fleurs de Friedriech Zitzman avec des feuilles qui s’élèvent de leur pied comme d’une tige, une coupe à sucreries en cristal rubis de Philippe Wolfers est posée sur un calice d’argent, un bol Tiffany...

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    Alexandre Charpentier, Armoire à layettes, 1893 (sycomore, étain)
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    Friedrich Zitzmann, Verres, 1898-1899 

    Entre deux chandeliers de Henry van de Velde, de belles appliques de ceinture précèdent des bijoux créés par le joaillier incontesté de l’Art nouveau,  Philippe Wolfers (1858-1929). Ce sont des parures d’un raffinement hors du commun : pendentifs Cygne (or, émail, rubis, diamant, perle), Libellule (or, émail, opales, diamants, rubis, saphirs, pierres semi-précieuses) ou encore Cygne et serpents (bronze, diamants, rubis, opale, perle), porté avec fierté par l’épouse de Philippe Wolfers sur un grand portrait de 1903 signé Firmin Baes.

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    © Philippe Wolfers, Applique de ceinture Lys du Japon, 1898 (argent, or, saphir, opales, prime de perle)

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    © Philippe Wolfers, Pendentif Cygne, 1901 (or, émail, rubis, diamant, perle)

    Pour info, la maison Wolfers (aujourd’hui installée au boulevard de Waterloo organise pour l’occasion avec les MRAH un concours pour gagner un bracelet Libellule (en question subsidiaire, le poids exact d’une sculpture exposée). Les musées Royaux d’art et d’histoire et le Cinquantenaire attirent toujours beaucoup de monde, dehors des touristes descendaient des autocars sous les arcades anoblies par la lumière, royale ces jours-ci.

  • Vie privée

    « Il n’y a guère qu’un peintre, il n’y a guère qu’Utamaro, qui raconte avec du dessin et de la couleur, la vie privée de jour et de nuit de ces femmes. »

     

    Edmond de Goncourt, Utamaro, le peintre des maisons vertes 

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    Utamaro, Les douze heures des Maisons vertes : L’heure du Rat

    Ōban, 36,5 x 24,1 cm ; fond jaune et application de laiton en poudre

    Vers 1794 (Kansei 6)

    Utamaro hitsu

    Tsutaya Jūzaburō

    Kiwame

    Inv. 1, provenance E. Michotte, achat 1905

     

    L’heure du Rat correspond plus ou moins à minuit. C’est le moment où le silence tombe sur le Yoshiwara, si animé jusque-là. Debout, la courtisane a revêtu sa tenue de nuit pour rejoindre son client au lit, tandis qu’une shinzō replie soigneusement la robe qu’elle portait auparavant pour assister au banquet. (Notice MRAH)

  • Les belles d'Utamaro

    Dans le nord de la région bruxelloise, non loin des serres de Laeken, les Musées royaux d’Extrême-Orient occupent de splendides bâtiments édifiés à la fin du règne de Léopold II, au début du XXe siècle : la Tour japonaise et le Pavillon chinois. A l’arrière de celui-ci, dans le parc où les érables arborent leur frais feuillage de printemps, le Musée d’Art japonais (installé dans une dépendance) expose en ce moment une sélection de cent douze estampes (en deux temps) signées Utamaro, « Les douze heures des maisons vertes et autres beautés ». La série des Douze heures est si précieuse que ces œuvres sont exposées trois par trois, pour ne pas dépasser deux semaines d’exposition à la lumière, même tamisée.

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    Utamaro, Mère et enfant (vers 1797)

    Katigawa Yüsuke adopte en 1781 son nom d’artiste : Utamaro (1753-1806). Avec Hokusaï, il est un des plus grands peintres d’ukiyo-e, ces fameuses « images du monde flottant » qui vont émerveiller les Occidentaux au XIXe siècle. Utamaro est célèbre en particulier pour ses peintures de femmes en gros plan – ôkubi-e (littéralement, grandes têtes) et bijin-ga (portrait de belles femmes).

    Femme et enfant, c’est le premier thème qu’on découvre dans la salle d’entrée avec une très belle scène de femme coiffant son enfant devant un pot d’azalée, un peigne entre les dents, au naturel. Les couleurs sont ravissantes, les cheveux d’un noir de jais. Puis ce sont deux femmes dont l’une porte un petit garçon déjà muni d’un sabre (signe de noblesse) ; deux autres dont l’une écrit, l’autre lit, un enfant endormi sur ses genoux. Plus loin, une mère allaite avec un fin sourire ; elle porte un kimono bleu et blanc, son bébé est en rouge (Mère et enfant).

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    Utamaro, Le jouet (détail)

    Edmond de Goncourt signe en 1891 une monographie intitulée Utamaro, le peintre des maisons vertes. C’est ainsi qu’on surnommait Yoshiwara, le quartier de plaisir d’Edo (aujourd’hui Tokyo), où l’on s’adonnait à la prostitution, aux plaisirs nocturnes – un terreau aussi pour la vie culturelle et la littérature. En montant quelques marches à gauche, on découvre dans une petite salle trois des plus célèbres beautés du temps, disposées en pyramide sur une même feuille ; le blason végétal qu’elles portent sur leur vêtement ou leur éventail permet de les identifier (paulownia, triple feuille de chêne, primevères). Leur présence dans un établissement lui assurait une clientèle nombreuse par tous les temps.

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    Utamaro, Trois beautés du temps présent

    L’une d’elles, représentée seule, le visage tourné vers la droite, s’appelle Takashima Ohisa, elle a seize ans. Dans le cartouche figure un poème burlesque à propos de cette jeune hôtesse d’une maison de thé : « Charmes et thé débordent sans se refroidir. Ne me réveillez pas de ce rêve heureux de nouvel an au Takashimaya. » Une autre, représentée sur un fond gris foncé (plus rare), tient un papier roulé autour du doigt, signe qu’elle est retenue pour un prochain rendez-vous.  

    Des pièces de la collection permanente du Musée d’art japonais sont visibles à plusieurs endroits. J’ai admiré de superbes kimonos en crêpe de soie, certains frottés à la poudre d’or avant la coloration, et leur belle variété de motifs : rayures, branches d’arbres en fleurs, nuages, papillons, oiseaux, feuillages, dans de belles nuances.

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    Utamaro, Une nuit d’été au pont de Ryôgoku (détail), vers 1804-1805

    A l’étage sont représentées des activités diverses : promenade avec le chien (la couleur du collier assortie au kimono rose de sa maîtresse), en bateau, dans le jardin. C’est en haut de l’escalier de gauche que sont exposées Les douze heures des maisons vertes, chefs-d’œuvre d’Utamaro, une suite qu’Edmond de Goncourt jugeait « la plus parlante aux yeux ». Jusqu’en 1873, les Japonais divisaient le jour et la nuit en douze heures et chacune portait un nom : l’heure du Rat (0-2), l’heure du Bœuf (2-4), du Tigre (4-6), etc. Seules celles du Lièvre, du Dragon et du Serpent sont visibles jusqu’à demain, ensuite l’accrochage changera.

     

    Utamaro idéalise la vie des courtisanes au Yoshiwara. « Si leur vie réelle était parfois très pénible, Utamaro les a sublimées. Les dessins sont d’une beauté et d’un raffinement sans pareil. » (Guy Duplat) L’heure du Lièvre (6-8) en montre une tendant sa veste au client qui s’en va : la doublure luxueuse prouve sa grande fortune, elle est ornée du portrait de Bodhidharma, patriarche du Zen. L’heure du Dragon (8-10) sonne le réveil dans les maisons closes : une jeune femme se redresse sur sa couche, une autre tente de prolonger un peu la nuit. Dans L’heure du Serpent (10-12), une servante tend un bol de thé à une courtisane à peine sortie du bain. Ces œuvres sont d’une rare délicatesse dans les traits, le rendu des vêtements, le naturel des poses.

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    Utamaro, L’heure du serpent

    C’est une exposition exceptionnelle pour ce qui est de la qualité des œuvres et de leur rare visibilité. La collection de 7500 estampes des Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles est de tout premier plan : en majorité des « images de brocart », c’est-à-dire en pleine polychromie. L’art de la belle estampe japonaise s’adressait à une clientèle riche et exigeante pour la qualité du dessin et du papier, de la gravure et de l’impression.

    Il est dommage que l’accueil et l’information ne soient pas à la hauteur. Sans légendes près des œuvres exposées, le visiteur ne dispose, dans chaque salle, que d’un classeur avec une présentation générale de la collection, où les numéros ne correspondent pas toujours aux descriptions, s’y retrouver n’est vraiment pas commode.

     

    Si vous allez visiter cette exposition visible jusqu’au 27 mai prochain, vous trouverez la billetterie dans le jardin devant le Pavillon chinois : le ticket d’entrée donne accès aux trois musées (Musée d’Art japonais, Pavillon chinois et Tour japonaise). Entrée gratuite pour les enseignants belges.

     

    D’abord tourné vers les jeunes mondaines et les geishas, Utamaro s’est mis à peindre au fil du temps des femmes mûres, des inconnues, dans leurs activités quotidiennes, avec la même délicatesse. Ce spécialiste incontesté de la féminité et de l’amour donne charme et vivacité à ses modèles. C'est de toute beauté.