Sculptures et bas-reliefs de Charpentier (il a fréquenté la « Petite Ecole », comme Rodin, qui l’engagea brièvement comme praticien) côtoient des objets dits d' « arts décoratifs » : pendules, fontaines, cendriers, vases, meubles étonnants. Ils sont exposés par thème. Les « maternités » reprennent dans différents matériaux et formats une Jeune mère allaitant son enfant, de profil. En bronze, elle orne la porte de droite d’un petit meuble à layette ravissant, dont un tiroir affiche les têtes rondes de deux enfants. Déclinée en étain, en argent, le sujet est aussi repris en grand dans un grès de belle lumière.
Je ne m’attendais pas à retrouver ici la formidable aventure du Théâtre Libre fondé par André Antoine en 1888, qui porte encore son nom aujourd’hui : le Théâtre Antoine. Vrai théâtre littéraire, il a révélé au grand public parisien les dramaturges étrangers comme Ibsen, Tolstoï, Strindberg, et permis à ses contemporains - Goncourt, Zola, Claudel, entre autres - d’y montrer des œuvres inédites. Charpentier a représenté en médaillons les têtes des différents membres du Théâtre Libre, qui couvrent tout un panneau de l’exposition.
Mais la musique est sans conteste ici le thème majeur. Charpentier jouait du violoncelle, sa femme du piano. Femme jouant de l’alto, femme à la contrebasse, ronde de danseuses… On les retrouve sculptées dans l’ébène pour un couvercle de piano, en plâtre à patine de marbre, en bronze doré sur un incroyable meuble destiné à contenir les instruments d’un quatuor à cordes, superbement présenté, précédé de deux pupitres dont les courbes se délient sur l’affiche et le catalogue de l’exposition (une lecture qui promet d’être passionnante et qui donnera sans nul doute envie d’y retourner). Chant et musique décorent aussi des plaques de serrure, des boutons de porte. Comme chez Horta, l’art touche à tout - « L’art dans tout » est le nom donné par Charpentier au groupe d’artistes qu'il fonde en 1896. Sur la couverture de Sonatines sentimentales sur des poèmes de Maeterlinck et Mauclair, Charpentier a dessiné le visage d’une jeune femme aux yeux de billes et à la longue chevelure rousse en diagonale. Charpentier était l’ami de Debussy, qui a composé pour lui Cloche à travers les feuilles.
On a envie de tout évoquer, mais à chacun de se promener dans ce bel ensemble de la fin du XIXe siècle. Il y a de jolies baigneuses sous un arbre au feuillage léger, une pendule tragique - La fuite de l’heure, une fontaine en étain baptisée Le poème de l’eau, un petit Penseur sur un encrier. Dans la collection d’Octave Maus, j’ai remarqué cette fois la belle tête d’une Herscheuse, forte sanguine de Rassenfosse ; un Jour de pluie d’Anna de Weert m’a consolée du gris été bruxellois.
Charpentier était en correspondance avec Meunier, Van Rysselberghe, Signac, qui ont fait son portrait. Il a représenté Zola, Eugène Isaÿe et bien d’autres. Toute l’effervescence des arts est là et m’a rappelé la grande exposition Paris-Bruxelles, Bruxelles-Paris visitée à Gand il y a dix ans. Ici, la démarche est plus modeste, mais je vous garantis que vous ne vous ennuierez pas.
Commentaires
Je connaissais peu Alexandre Charpentier et tu me l’as fait découvrir. Mes handicaps visuels ne me permettent plus d’apprécier les œuvres, je ne les vois plus que par morceaux. Faute de mieux, je vais rechercher sur la toile des reproductions que je peux mieux ramasser pour les voir en entier… Si je trouve, je ne manquerai de t'en parler. « Mettre de l’art dans tout » est la performance actuelle. Dangereuse cependant : où commence et s’arrête-t-elle ! En jugera-t-on suivant son état de compétence, de fantaisie ou de snobisme dans des interprétations imbéciles… ?
J'ai beaucoup aimé cette exposition, et tu me donnes envie d'y retourner. En flânant, j'ai découvert les photos de Louise Bossut: impressionnant la manière dont elle évoque avec tant justesse l'atmosphère des primitifs flamands.
J’ai pu admirer quelques œuvres de cet artiste en fouillant dans Internet et Encyclopédia Universalis, j’ai (re)découvert l’art nouveau que je n’aimais pas quand j’étais jeune parce que je privilégiais l’insolite plus littéraire de Magritte, Delvaux et de certaines œuvres de Dali. L’art nouveau ne me plaisait pas parce qu’il me paraissait alambiqué et excessif dans le décoratif. Je ne l’appréciais pas davantage que ce qui se faisait à l’époque (entre 1950 et 1970) et qui m’horripilait quand je conduisais ma mère dans la salle d’attente de son médecin dont les murs et les portes étaient entièrement chargés de boiseries travaillées dans un style d’époque fort influencé par cet art. J’ai modéré mon jugement depuis, mais je t’avouerai que si ce n’est pas ma tasse de thé… je trouve que cet artiste est incontestablement génial… Je suis fort étonné que l’Encyclopédia Universalis n’en parle qu’en le citant avec d’autres…