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Lecture - Page 23

  • Un soir au Louvre

    L’ouverture du Louvre en nocturne le mercredi jusqu’à vingt-deux heures permet d’y terminer une journée parisienne en beauté, avant de reprendre le dernier Thalys pour Bruxelles. Les visiteurs sont moins nombreux le soir, on peut se retrouver seul, dans les salles moins courues, en tête à tête avec Corot, Chardin ou Fragonard, par exemple.

    Mercredi dernier, on était loin de cette ambiance feutrée. C’était la grande foule. Dans les salles consacrées aux Ecoles du Nord, la reine Paola était présente à l’inauguration de l’exposition exceptionnelle de Jan Fabre, L’ange de la métamorphose, que le public peut découvrir jusqu’au 7 juillet dans l’aile Richelieu. Le site de France Culture en offre une excellente visite guidée (images et sons). 

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    J’ignore si cela se produit fréquemment, mais tandis que je visitais l’exposition consacrée à Van Dyck graveur, l’art du portrait, le son d’un instrument qui s’accordait m’attira vers une salle voisine. Un jeune homme à la clarinette basse proposait avec une jeune accordéoniste, duo inattendu, une transposition du Voyage d’hiver de Schubert. Les musiciens s’étaient installés juste en dessous d’un magnifique paysage de neige, Environs de Honfleur, signé Monet. Pour les visiteurs qui choisirent de rester là pour les écouter, ce furent des instants magiques.

    Imaginez-les, assis sur les banquettes ovales au milieu de la salle dédiée aux peintures de la donation Hélène et Victor Lyon, enveloppés par la voix chaude et caressante de la clarinette basse, accompagnée par l’accordéon. Sous les yeux, quelques belles toiles impressionnistes – il en reste au Louvre : d’autres paysages de Monet, dont les Glaçons sur la Seine à Bougival,  des arbres en fleurs sur un Pissarro, Paysage à Pontoise, un chemin dans les bois de Sisley, des fleurs de Fantin-Latour

    Trois Renoir dont la délicieuse Lecture : une fille aux longs cheveux blonds retenus par un nœud blanc, les mains croisées sur un livre ouvert, se tient les yeux baissés sur le texte ; sa compagne, brune en robe rouge, absorbée elle aussi par la lecture, le menton appuyé sur la main gauche, a posé l’autre bras sur le dossier de la chaise, dans le dos de son amie. « Il y a une telle émotion dans Renoir, un mouvement parfait, une douceur… On peut toucher le bonheur rien qu’en voyant les nœuds dans les cheveux des petites filles. » répond le peintre du roman Escalier C d’Elvire Murail à un critique d’art qui s’étonne de voir un artiste contemporain s’intéresser à ce peintre qu’il juge trop sucré (Renucci campe ce personnage de manière formidable dans l’adaptation cinématographique de Tacchella).

    Et, dans le même temps, la musique de Schubert. Un cadeau du ciel.

    Ailleurs, des étudiants du Conservatoire jouaient sur divers instruments, seuls, en groupe. Plus loin, même, de jeunes danseurs aux pieds nus improvisaient sur une musique contemporaine interprétée par des cuivres. La plupart des visiteurs se détournaient des cimaises, ce type d’événement a aussi son revers.

    Cette soirée du 9 avril 2008 au Louvre représente pour moi bien des choses. Elle restera un moment très particulier, touché par la grâce. Je le dédie à une femme remarquable, un professeur de français exceptionnel, qui a révélé à des générations de rhétoriciennes les beautés de la littérature, de l’art, de la musique, et qui, lors de voyages à Paris, les a initiées aux charmes de la ville lumière et de ses musées.

  • Lire et relire

    « Tout ce qui nous entoure est certainement faux, mais nous-mêmes sommes bien vrais. » Voilà la première phrase que j’avais soulignée dans Paula ou l’éloge de la vérité en 1992,  l’année de sa traduction en français pour Actes Sud. Un article du Monde des Livres que je retrouve glissé sous la couverture, avait attiré mon attention sur ce romancier suédois : « Lindgren ou l’illusion du réel ».

    Que retient-on des livres qu’on n’a lus qu’une seule fois ? Je peux le dire exactement pour celui-ci et c’est la raison même pour laquelle je l’ai relu récemment. L’incipit, inoubliable,  ressemble à un conte de fées pour les amateurs de salles des ventes : un encadreur découvre, dès son entrée à l’exposition, une peinture extraordinaire, suspendue parmi d’autres. Il est fasciné au point de perdre l’air détaché qu’affichent par prudence et par ruse ceux qui envisagent d’acquérir un objet, se gardant d’attirer l’attention. Le dialogue muet qui commence entre la madone du tableau et lui, les paroles qu’il échange avec un petit homme chauve qui se montre lui aussi très intéressé, le souci immédiat de rassembler immédiatement la plus grosse somme d’argent possible en vue des enchères – puisque c’est d’un chef-d’œuvre qu’il s’agit -, le récit haletant de la vente elle-même, tout cela s’était greffé très précisément dans un coin de ma mémoire.

    50f5e839547b1bbfc18b6d2dd9ae7327.jpgQue souligne-t-on en lisant ? Il y a, j’imagine, autant de réponses à cette question que de lecteurs. Certains refusent de prêter leurs livres à cause de ces marques trop personnelles. Tout lecteur – ou lectrice puisque les femmes forment le gros des troupes – ne manque pas de remarquer, un jour ou l’autre, en retirant un livre de l’étagère où il était retourné au silence, à quel point le temps a passé. Le crayon s’est posé sous un mot, une phrase qu’aucun écho ne fait plus résonner. Ailleurs surgissent de simples repères, des lieux, des dates, … Bien sûr, des passages cochés pour leur résonance avec le titre du roman, sa thématique fondamentale sur le vrai et le faux. Parfois la musique d’une phrase, la force d’une image.

    Mais quelques années après, on n’est plus du tout celui ou celle qui a souligné cela. L’œil s’attarde ailleurs, voit d’autres choses. Moins obnubilée par l’intrigue, la lecture suit un autre cours et va, peut-être pour la première fois, à la rencontre du texte.