Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Envoi de Nabokov

Un billet d’Adrienne sur le temps consacré à la lecture de livres en Europe m’a fait reprendre Littératures I de Vladimir Nabokov : ce sont ses cours sur Austen, Dickens, Flaubert, Stevenson, Proust, Kafka et Joyce (traduction de l’anglais par Hélène Pasquier). Ces essais se basent sur des notes rédigées par Nabokov pour ses cours à Wellesley et à Cornell dans les années 1940 et 1950, des notes manuscrites ou dactylographiées par son épouse Vera. A l’oral, le professeur y ajoutait bien sûr des remarques et des variantes.

Nabokov Littératures I Poche 1987.jpg
En couverture du Livre de Poche 1987 :
Arp, La planche à œufs

Le second tome de Littératures porte sur la littérature russe. A la fin du premier tome consacré aux « maîtres du roman et de la nouvelle européens » figure un texte intitulé « L’Envoi ». J’aimais le lire à mes élèves de rhétorique en fin d’année scolaire. Aujourd’hui, pour le plaisir de le relire et de le partager avec vous, en voici les deux premiers paragraphes et, dans le prochain billet, un paragraphe de conclusion. 

* * *

Face à la somme de problèmes irritants que pose l’actuelle situation mondiale, certains d’entre vous peuvent avoir le sentiment qu’étudier la littérature – et particulièrement la composition et le style – est une forme de gaspillage d’énergie. Je crois que pour un certain type de tempéraments – et nous avons tous des tempéraments différents – l’étude du style peut toujours apparaître comme un gaspillage d’énergie dans n’importe quelles circonstances. Mais cela mis à part, il me semble que dans tout esprit, qu’il penche du côté artistique ou du côté pratique, il y a toujours une cellule réceptive pour ce qui transcende les terribles soucis de la vie quotidienne.

Les romans dont nous nous sommes imprégnés ne vous apprendront rien que vous puissiez appliquer aux bons gros problèmes de l’existence. Ils ne vous aideront ni au bureau, ni à la caserne, ni dans la cuisine, ni dans la chambre des enfants. En fait, les connaissances que j’ai essayé de partager avec vous ne sont que luxe pur et simple. Elles ne vous aideront pas à comprendre l’économie française, ni les secrets du cœur d’une jeune femme, ou du cœur d’un jeune homme. Mais elles peuvent vous aider, si vous avez suivi mes recommandations, à éprouver la pure satisfaction que donne une œuvre d’art inspirée et précise ; et ce sentiment de satisfaction va, à son tour, donner naissance à un sentiment de confort mental plus authentique, le type de confort que l’on ressent lorsqu’on prend conscience du fait qu’en dépit de toutes ses bourdes, de toutes ses bévues, la texture profonde de la vie est aussi une affaire d’inspiration et de précision.

Vladimir Nabokov, L'Envoi (Littératures I)

Commentaires

  • je suppose que c'est de tous les temps ;-)
    mais la discussion reste intéressante: pourquoi l'art?

  • Pour augmenter la vie ? Vaste débat, oui.

  • J'aime beaucoup Nabokov, et surtout Autres rivages, son autobiographie (moins Lolita dont on nous parle toujours à propos de lui...) Je ne savais pas qu'on pouvait trouver et lire ses cours, c'est formidable: on en apprend tant dans les blogs aimés...Merci Tania!

  • Ravie de te faire découvrir ces deux volumes passionnants, Anne. Le second porte sur Gogol, Tourgueniev, Dostoïevski, Tolstoï, Tchekhov et Gorki. (En vérifiant, je vois qu'il y en a même un 3e tout entier consacré à Don Quichotte, je l'ignorais.)

  • Un immense auteur, pas toujours facile d'accès mais quelle récompense malgré l'effort (ou grâce à ?) que réclament certains de ses textes ... je garde de mes lectures notamment de Feu pâle et D'ada ou l'ardeur un souvenir émerveillé...

  • "Feu pâle" m'intrigue. Tu lui as consacré un billet très original, je viens de le lire - c'est noté.

  • J'ignorais que ces œuvres étaient en fait les notes prises pour préparer ses cours, cela semble en effet très intéressant à découvrir d'autant plus que je n'ai pas fait d'études littéraires donc j'ai de gros manques. Je n'ai lu de lui que "le guetteur" et bien entendu "Lolita" mais aussi des nouvelles alors tu vois c'est très peu...Il faudrait en particulier que je relise le guetteur car je crois bien que dans les années 80 ou 90, je n'avais pas tout compris de son texte...

  • "Le guetteur" fait partie de ses romans écrits en russe, que je n'ai jamais lus. Encore un titre à découvrir (je suis loin d'avoir lu toute son œuvre).
    J'ai les deux premiers tomes de "LIttératures" en livre de poche. A présent, les trois volumes sont réunis dans la collection Bouquins : https://www.lisez.com/livre-grand-format/litteratures/9782221113271

  • Les années 40-50 les "problèmes" de l'existence étaient en effet très lourds.
    Merci pour ces deux paragraphes, si intéressants.
    Art d'écrire, de lire, de comprendre, d’analyser, un luxe oui.
    Je retiens: inspiration et précision.

  • Ses propos restent d'actualité, à notre époque confrontée à d'autres problèmes qu'alors.

  • L'extrait reste très actuel en effet. Ces jours-ci on parle beaucoup de Nabokov dans les medias français, à cause de Lolita et des affaires de prédation sexuelle de jeunes actrices. Plusieurs extraits d'Apostrophe sont repassés et c'est un régal de l'écouter dans son français parfait.

  • Je ne l'ai pas entendu, peut-être en ligne ? (j'étais loin de penser à cette actualité-là en partageant cet extrait.)

  • Bien sûr, c'est surtout une actualité franco-française. C'est cet extrait là qui ressort souvent dans les débats : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i17180258/vladimir-nabokov-lolita

  • C'est très gentil à toi d'avoir cherché cette vidéo - d'une époque où je ne regardais pas encore Apostrophes (pas de télévision), merci beaucoup.

  • deux volumes que j'aime particulièrement même s'il me met en colère quand il parle de Dostoievski

  • Moi de même. Tolstoï est davantage "de sa famille" littéraire, n'empêche, Nabokov y va fort.
    A compléter par le "Tolstoï ou Dostoïevski" de George Steiner que tu as lu aussi : http://asautsetagambades.hautetfort.com/archive/2015/07/16/tolstoi-ou-dostoievski-george-steiner-5657738.html

Écrire un commentaire

Optionnel