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Passive, Maisie ?

« L’avenir de l’enfant était assuré, mais le nouvel arrangement était certes fait pour confondre toutes les notions dans une jeune intelligence intensément sensible au fait que quelque chose de très important s’était sans doute passé, et cherchant autour de soi avec anxiété les effets d’une si grande cause. Le destin de cette passive petite fille était de voir beaucoup plus de choses qu’elle n’en pouvait tout d’abord comprendre, mais aussi, et dès le début, de comprendre bien plus que toute autre petite fille, si passive qu’elle eût jamais l’occasion d’être, n’avait jamais compris avant elle. » (Début du chapitre I)

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Ainsi commence Ce que savait Maisie (1897) de Henry James, traduit de l’anglais par Marguerite Yourcenar (1947), à nouveau un bonheur de lecture. Dans l’introduction, l’auteur dit que ce roman lui a été inspiré par une affaire réelle. Un long procès de divorce attribue la garde de l’enfant au père, Beale Farange, à condition de rembourser à Ida, la mère de Maisie, « les deux mille six cents livres sterling qu’elle avait versées trois ans plus tôt, en vue de l’entretien de l’enfant, et précisément à la condition qu’il n’engagerait pas de procès ». En étant incapable, il accepte un compromis « digne du tribunal de Salomon » : « Chaque parent l’aurait pour six mois ; elle passerait tour à tour un semestre avec chacun d’eux. »

Une défunte tante de Beale a laissé quelque chose pour assurer l’avenir de la fillette sans que ses parents puissent y toucher, heureusement. Durant les premiers mois passés chez son père, Maisie le voit jeter au feu les lettres de sa mère. Quand celle-ci vient la chercher, elle se fait toute petite pour ne pas déplaire et répond à sa mère, qui lui demande si son ex-mari ne l’a pas chargée d’un message pour elle, ce qu’elle l’a entendu dire : « Il m’a dit de vous dire de sa part, répéta-t-elle fidèlement, que vous êtes un affreux chameau ! »

Maisie vit le moment présent, où qu’elle soit, et absorbe tout le mal que chacun de ses parents lui dit de l’autre – « elle était bien le petit volant empenné qu’ils pouvaient sauvagement se lancer l’un à l’autre ». Elle leur donne l’impression de ne s’apercevoir de rien, « par suite de son caractère extrêmement rusé ou extrêmement stupide ». Maisie comprend bientôt qu’elle a intérêt à feindre d’avoir tout oublié, à ne rien répéter, quitte à se voir traitée de « petite idiote » : « le plaisir qu’elle en éprouva fut vif et plein de nouveauté. »

Bien sûr, ses parents n’ont pas beaucoup de temps à lui consacrer, et la confient à d’autres personnes : Moddle, la bonne de Beale, puis miss Overmore, la première gouvernante engagée par sa mère, dont Maisie admire la beauté, une jeune femme « convenablement élevée, et pauvre à faire peur », merveilleuse et capable de répondre aux questions compliquées que se pose la fillette. Par exemple, doit-elle dire à son père « que maman m’a ordonné de dire qu’il ment, et qu’il sait qu’il ment » ?

Quelle déception quand elle apprend que Miss Overmore ne l’accompagnera pas chez son père ! Sa mère sait que Beale en sera déçu, motivation qu’elle dissimule derrière une question de convenances – « la maison de Beale étant de celles où nulle femme convenable ne consent à s’aventurer. » Ce sera donc le tour de Mrs. Wix, une dame au premier abord « terrifiante », mais un bon cœur, brisé : elle a perdu sa petite fille dans un accident. Maisie sent vite que c’est « une mère, et c’était là quelque chose que Miss Overmore n’était pas, quelque chose (étrangement, confusément) que maman était encore moins. » Une femme pauvre et laide, mais « plus sûre que personne au monde ».

Pour ajouter à la complexité des « passes d’armes » entre les ex-époux et par conséquent de la situation de l’enfant, James dote bientôt Maisie de deux mères et de deux pères : chacun de ses parents se remarie. Baladée de maison en maison, leur fille qu’ils se sont longtemps disputée sera désormais l’objet d’une autre lutte, « mais où l’on se battrait désormais à qui ne la recevrait pas» A qui se raccrocher ? Tantôt à l’un, tantôt à l’autre. Avec une certitude de plus en plus évidente pour elle : « Maman ne m’aime pas. »

Dans Ce que savait Maisie, les chassés-croisés autour de la fillette sont un terrible apprentissage des rôles sociaux, des manipulations en tous genres, des secrets cachés sous les apparences. Les sentiments des adultes l’un pour l’autre se révélant très instables, tout au long du roman, Henry James les fait comprendre avec subtilité à travers les impressions de l’enfant, tirée à hue et à dia, et par les réactions des adultes autour d’elle, dont le lecteur interprète mieux qu’elle les signaux.

Maisie aura un choix très difficile à faire finalement. James termine l’histoire « en suspens » sur un bateau « au beau milieu de la Manche », à nous d’imaginer la suite. « Si quelque chose, a écrit Mona Ozouf, rassemble en petite coterie fervente les lecteurs de James, c’est le sentiment de frustration irritée qui les empêche, le roman clos sur les personnages, d’en secouer le souvenir. »

Commentaires

  • Ce livre a l'air très fort; j'ai une amie qui était spécialiste d'Henry James. J'ai lu des nouvelles, le tour d'écrou...Il y a très longtemps et tu me donnes envie d'aller voir si je les retrouve....Bonne n ovuelle semaine!

  • C'est un tour de force, oui, de construire le roman autour de cette petite fille qui regarde les adultes et leur sert de miroir.
    Bonne semaine, Anne.

  • Un sujet si actuel aussi, et hélas.
    Comment devenir une adulte équilibrée après tout ça ?
    Un roman de James que je ne connaissait pas du tout, merci!

  • En mettant un point d'interrogation au titre de ce billet, je mets en doute cette passivité, comme le fait d'ailleurs l'écrivain lui-même dès le début. Maisie subit forcément ce que les adultes ont décidé pour elle, mais elle a du cran et sait se jouer d'eux aussi. Les échanges de regards entre les personnages sont fascinants. Que deviendra-t-elle ? On se le demande, oui.

  • Ce n'est pas du tout un livre "pour la jeunesse", tu le sais. Si je me souviens bien, c'est mon prof de français, à la fin du secondaire, qui avait éveillé ma curiosité en signalant l'originalité de ce roman.

  • oui j'étais trop jeune et je me souviens

  • Un sujet que je ne te recommande pas, à chaque jour suffit sa peine...

  • Je l'avais commencé il y a pas mal d'années et je l'ai abandonné, je ne sais plus pourquoi. Ce n'était sans doute pas le moment. Il faudrait que je refasse une tentative.

  • A partir de la situation difficile de Maisie, ballottée selon leurs caprices, ce sont surtout les comportements cruels des adultes que James nous fait percevoir et voir par les yeux de la petite.

  • Oh mais je dois le lire! Mes rencontres avec James on t été fort positives

  • Bonne lecture, Keisha !

  • C'est un roman de James que j'ai lu il y a longtemps mais qui m'est resté totalement en mémoire, cette enfant ballottée était tout à fait prémonitoire de l'avenir de certains enfants
    il y a une noirceur et une émotion forte dans ce roman et faire parler cette enfant n'était pas du tout à la mode à l'époque

  • C'est vrai, Dominique : si James évite le pathos dans cette histoire, nous avons tout de même le coeur serré pour cette petite. Une situation qui s'est malheureusement banalisée,

  • Je te le recommande, bien sûr. Bonne journée, Marie.

  • Tu me donnes aussi envie de le lire ! Sujet original pour une époque où on ne divorçait pas. Rare aussi de connaitre l'opinion des enfants....
    Merci et Belle semaine Tania !

  • Disons qu'on divorçait moins - pour cette enfant, c'est une galère. Bonne journée, Claudie.

  • merci pour ton commentaire qui me permet de découvrir ton blog et ce livre de Henry James

  • merci pour ton commentaire qui me permet de découvrir ton blog et ce livre de Henry James

  • Avec plaisir, Gazou, bienvenue.

  • A toi de voir, c'est un excellent roman d'une construction très originale. (En ce qui me concerne, quand je n'entre pas dans un roman la première fois, il en va souvent de même plus tard, mais on peut néanmoins essayer.)

  • Lorsque j'ai lu ce roman (pas de billet), j'y avais trouvé des similitudes avec "Le tour d'écrou".
    Ces livres sont contemporains des débuts de la psychanalyse, Freud publiera le cas du petit Hans en 1922.
    Les bons écrivains précèdent souvent les psychanalystes :-)

  • J'ai relu votre billet sur cette œuvre fantastique, pour moi un souvenir de lecture auquel se superposent trop d'adaptations cinématographiques, je devrais la relire.

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