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En mémoire de Max

Max, en apparence, le deuxième roman de Nathalie Skowronek, rapporte la quête d’une petite-fille en mémoire de son grand-père, dont le numéro tatoué sur l’avant-bras, « seule trace visible de ses deux années et demie passées à Auschwitz », attirait toujours son regard quand il portait des manches courtes. La narratrice ne se souvient plus des chiffres, mais bien des étés passés à Marbella, de ses sept à ses seize ans, quand elle rejoignait dans leur maison de vacances Max et Gitta, sa femme allemande.

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Les souvenirs sont choses mouvantes. Elle n’est plus sûre de la couleur de ce tatouage peut-être confondue avec celle de « L O V E » sur la main de Fernand, qui travaillait pour la société de ses parents (vêtements pour femme). Ses lectures – Un sac de billes, Au nom de tous les miens, Elie Wiesel, Primo Levi, Antelme – lui parlaient de que son grand-père taisait. Quand elle finit par oser le questionner, il s’était borné à répondre « Ce n’était pas facile, Epinglette » (son surnom). A Tel-Aviv où elle séjourne régulièrement, elle observe les habitants qui lui semblent tous tatoués à différents endroits du corps.

« Nous ne savions des camps que ce que nous en disaient les films et les livres » : à part une opération de l’appendicite à Buchenwald après la marche de la mort et quelques anecdotes, son grand-père ne racontait rien à sa famille, sauf une fois, à Marbella, où il lui avait raconté sa déportation et une remarque, un jour, en promenade, en direction de la montagne où vivait Léon Degrelle depuis la fin de la guerre.

Après la mort de Max, elle ne s’était plus intéressée à la Shoah durant une quinzaine d’années : études de lettres, mariage, enfants, quelques années de travail dans les magasins de ses parents. Après la découverte des jeunes Israéliens « ostensiblement tatoués », elle revient sur l’histoire de son grand-père, recueille les confidences d’une cousine de sa grand-mère à Haïfa, reprend des lectures sur le sujet, se rend chez la sœur de Max, Fanny, puis à Berlin.

Tous les matins, son grand-père faisait à Berlin le tour du zoo avec ses cachets à prendre en cas d’urgence dans une poche et dans l’autre, une petite bourse en velours emplie d’un tiers de petits diamants faciles à revendre en cas de besoin. Quand il se rendait au Ciao, un restaurant italien « bruyant et mondain » où il avait ses habitudes avec Gitta, il était accueilli « avec moult accolades par le maître d’hôtel », il y prenait plaisir, fier de son succès. Sa famille bruxelloise ne comprenait pas comment il pouvait vivre « là-bas ».

Dès les années 1960, il passait à l’Est sans problème pour retrouver son ami Pavel, rencontré en Pologne où ils travaillaient à la mine de Jawischowitz, à dix kilomètres d’Auschwitz. Celui-ci était devenu un homme d’affaires important, puis « un des principaux négociants de RDA ». Des affaires et des arrangements dont son grand-père « ne connaissait ni les tenants ni les aboutissants », mais il ne refusait rien à Pavel. En dehors de la famille, Max « aimait séduire, créer des liens, lâcher le bon mot au bon moment, payer l’addition avec élégance. »

Avant ces mystérieuses transactions entre l’Est et l’Ouest, Max avait été représentant en maroquinerie pour un ami de son père, puis il avait fait de l’import-export de tricots entre l’Italie et l’Allemagne. Il avait fini par quitter Rayele, sa femme, originaire de Liège où ils s’étaient installés, et leur fille, pour aller vivre à Berlin. Par sa mère, la narratrice sait que ce rescapé d’Auschwitz a perdu son père, sa mère, sa première femme, une sœur et deux frères – sa mère l’a souvent raconté aux thérapeutes consultés pour soigner sa dépression et ses angoisses.

Marbella, Berlin-Ouest, Liège, Auschwitz-Jawischowitz… Pour écrire son deuxième roman, après Karen et moi, Nathalie Skowronek, qu’on suppose la petite-fille de Max, visite les lieux où son grand-père a vécu, traque les traces, fait remonter les souvenirs des uns et des autres. A-t-elle raison d’écrire, de décrire ? « On ne raconte pas comme si on y était quand on n’y était pas. » Elle lit, écoute les témoignages, s’efforce de ne parler que de ce qu’elle a vu personnellement. Elle découvre que Paula, la première femme de Max dont elle ignorait l’existence, a été arrêtée après que celui-ci avait confié l’adresse de sa cachette à quelqu’un qu’il pensait de confiance. Une archiviste de la caserne Dossin lui envoie une photo d’elle.

Après avoir visité Auschwitz, elle se rend chez sa tante en Israël et l’entend répéter : « Max n’était pas à Auschwitz » ! En réalité, il était dans un autre camp proche, à Jawischowitz – incertaines certitudes. Le matricule oublié resurgit dans un ancien carnet d’enfant, c’est un palindrome : « 70807 ». La quête continue à Berlin-Est,  à Tel-Aviv, sur la tombe de son grand-père où Gitta, sa troisième épouse, après l’avoir d’abord enterré à Berlin dans les années 1990, avait souhaité le faire inhumer, et non au cimetière juif de Bruxelles comme le souhaitait sa fille.

« Connaît-on jamais vraiment cet autre qui nous semblait si proche ? » peut-on lire à propos de La carte des regrets, son dernier roman, sur le site de la romancière. Qui était vraiment ce grand-père, cet homme charmeur et secret ? Max, en apparence n’est pas un récit linéaire. Nathalie Skowronek reconstitue peu à peu le puzzle d’une vie, d’une famille. On sent que la narratrice cherche aussi à clarifier certaines choses en elle-même.

Dans son roman qui va et vient entre son enfance et le temps de l’écriture, beaucoup d’écrivains lui ont fourni un appui, montré une direction, d’où cette conclusion d’Alain Delaunois qui a présenté Max, en apparence dans Le Carnet et les Instants : « Une traversée littéraire qui, derrière le matricule oublié de Max, met à nouveau en lumière le talent d’écriture, singulier et sensible, parfois modianesque – c’est un compliment – de Nathalie Skowronek. »

Commentaires

  • "parfois modianesque", un compliment?
    LOL
    heureusement qu'il a ajouté "parfois", point trop n'en faut, de la sauce modianesque ;-)

  • Eh bien, prépare-toi à un nouveau billet sur Modiano dont j'ai lu récemment un autre livre qui m'a plu. Bonne journée !

  • Je ne connais pas du tout.
    Modiano, je l'ai lu très tôt, un de mes grands- frères était fan, mais bon, c'est toujours la même ambiance et ça ne me touche pas. On verra……….Bonne nouvelle semaine!

  • J'ai été sensible à cette recherche sur le passé d'un grand-père trop peu connu par sa petite-fille. Pour ce qui est de Modiano, à jeudi probablement.

  • Un livre qui semble nous montrer une nouvelle fois que rien n'est binaire, noir ou blanc. J'aime ces livres sur la complexité des hommes. Quelle vie tourmentée pour Max....
    Merci Tania pour cette découverte.
    Et j'attends Modiano avec impatience ! Bises, belle journée !

  • C'est tout à fait ça, les mille et une nuances de la vie et des hommes... A bientôt, Claudie.

  • Je l'ai lu en avril, cette quête m'a paru un peu trop plombante à la longue mais la période était elle-même plombante. J'ai beaucoup plus aimé Karen et moi mais j'en ai encore d'autres de l'autrice à lire.

  • Ah, c'est bien toi qui avais éveillé ma curiosité pour ce roman. Je viens de relire ton billet, je vais ajouter le lien : https://desmotsetdesnotes.wordpress.com/2020/04/27/max-en-apparence/
    Tu avais été surprise du silence de Max sur son passé ; certains écrivains ont eu besoin d'écrire (Primo Levi), d'autres de se taire (Semprun) pour surmonter. Mon grand-père, déporté en représailles pour ne pas avoir livré un fils très actif dans la Résistance et dont la tête était mise à prix (ni ma mère, qui s'est jointe à ce combat), a gardé le silence lui aussi, ne racontant quasi rien dans sa famille. Il ne reparlait du camp qu'avec un autre survivant qu'il avait retrouvé après la guerre.

  • Tu as tout à fait raison, j'ai lu Primo Levi et Jorge Semprun aussi, il y a longtemps. Non, je voulais dire que la période où j'ai lu ce livre (le confinement) était plombante à la longue.

  • Je comprends mieux ta remarque. Je suis d'accord avec toi, cette période de confinement a eu un impact sur nos lectures, nos réactions en lisant. J'avais déjà noté chez toi le titre "Karen et moi", il est dans ma liste.

  • Difficiles chemins, on a tous besoin de comprendre d'où nous venons mais quand l'impensable est à nos origines, les chemins se brouillent, les blessures fantomatiques ressurgissent, ce doit être dur à vivre ! Je ne me sens pas de lire ce livre en ce moment, mais plus tard peut-être. Bises et une soirée douce Tania, à bientôt. brigitte

  • Bonjour, Brigitte. "Chacun doit inventer son chemin." (Sartre) La narratrice a besoin, pour le faire, de chercher sous l'apparence de ce grand-père aimé.
    A chacune d'inventer son chemin de lecture aussi, surtout en ce moment, je le comprends bien. Douce journée à toi.

  • Je n'avais pas remarqué ce livre et je ne connais pas l'auteure. Je le note, c'est tout-à-fait le genre d'histoire qui m'intéresse, les choses tues et qui intriguent si fort les générations suivantes et les familles maltraitées par la grande histoire.

  • Bruxelloise, Nathalie Skowronek a travaillé dans l'édition, elle écrit, elle enseigne : https://www.nathalieskowronek.com/about
    J'espère que tu apprécieras ce roman. Bonne journée, Aifelle.

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