A l’Hôtel des Arts de Toulon, Speedy Graphito présente son « musée imaginaire » : cet artiste populaire de l’art urbain en occupe tous les espaces, aménagés par lui. Le visiteur est accueilli avec humour (remarquez le cadre noir inachevé) : « Bonjour je m’appelle Speedy Graphito et je fais ce qui me plait. »
L’accrochage est thématique, un in-folio intitulé « Le musée imaginaire de Speedy Graphito par Speedy Graphito » présente chacune des salles du rez-de-chaussée et du premier étage, du « Naturalisme » au « Street art ». Le sujet ou les éléments représentés dans ses peintures sont issus de la culture populaire ou inspirés par des œuvres connues de grands peintres, dans un mélange coloré qui ne laisse aucune place au blanc, au vide.
Fuyant Paris, Speedy Graphito s’est installé en Normandie dans les années 1980 et s’y est laissé inspirer par la nature, ses couleurs, une atmosphère de « temps retrouvé ». Puis l’isolement et « l’abandon du marché de l’art » l’ont ramené, écrit-il, « à la raison de la civilisation ». A chaque peinture son clin d’œil, comme avec cette irruption numérique dans un paysage de montagne : « Do you want to save ? » J’ai aimé l’œuvre la plus récente présentée dans la première salle, une étonnante Diane végétale (2018).
© Speedy Graphito, Diane, 2018 (acrylique sur toile)
L’hommage au surréalisme moderne est explicite : atmosphère à la De Chirico où un petit chien de Jeff Koons tient compagnie à un torse antique, personnages de bandes dessinées mêlés aux figures de Picasso, Matisse ou Dali… Sur un mur couvert de motifs bleus et blancs, Le baiser (2018), avec l’oiseau de Twitter et d’autres emprunts divers et variés, dans les tons pastel, reprend une scène de Magritte – la pipe souligne la référence. L’artiste considère les surréalistes comme ses ancêtres, exemplaires de liberté créatrice.
© Speedy Graphito, Le baiser, 2018 (acrylique sur toile)
Les calembours ne sont pas seulement visuels : dans le couloir, Le Saint Dessin (1988) décline en triptyque des volumes dessinés dans les gris et bruns des cubistes. Speedy Graphito a peint la cage d’escalier in situ, un peu à la Keith Haring : « L’abandon de la couleur concentre l’attention sur le geste. » Avant de monter à l’étage, il est intéressant de l’écouter expliquer sa façon de travailler dans une vidéo – dans la salle sont exposées ses « ressources », des photos de toiles d’artistes qu’il admire et dont il s’est inspiré.
Vidéo YouTube : Art Is Life, Speedy Graphito (2014)
A l’étage, le thème des « Nouvelles technologies » est décliné dans des peintures ersatz : ici un écran de téléphone, là une simulation d’image numérique en grand format à l’aide de couvercles de bocaux en guise de pixels – à regarder à travers son appareil photo, signale le gardien, et en effet, le recul décode de façon surprenante l’image inspirée par une star de la téléréalité (pour ceux qui la connaissent).
© Speedy Graphito (Nouvelles technologies)
Après « Sur le chemin de l’abstraction », la salle intitulée « Mon histoire de l’art » comporte une étonnante Annonciation (2018) dont les figures sont très reconnaissables et détournées – voyez l’ange devenu petit diable se détacher sur le pont japonais du jardin de Monet ! Les autres peintures s’inspirent à la fois du pop art et de l’art moderne.
© Speedy Graphito, L'annonciation, 2018
L’exposition de Speedy Graphito est très variée. Son parti pris ludique prend différentes formes : des motifs « internet » repris en bleu et blanc sur des assiettes, des sculptures-jouets, une série de clichés où une question se pose aux gens qui se photographient devant des sites célèbres – Voulez-vous vraiment prendre cette photo ? Devant l’usage qu’il fait des images connues dans un incessant recyclage, il y a dans ce musée imaginaire comme une fuite en avant : tout a-t-il été montré ? ne peut-on que répéter, à la manière du matraquage publicitaire ?
Le parcours se termine sur le thème du « Street art », présenté « comme le dernier mouvement artistique populaire », favorisé par les réseaux sociaux, « nouveau marché financier » plus accessible que celui de l’art contemporain plus hermétique. La bombe de peinture géante (ci-dessous, à gauche) est-elle peinture ou bombe ?
© Speedy Graphito (Street Art)
Personnages de dessins animés, logos commerciaux, tags et graffiti prennent possession de tout l’espace disponible. De quoi se sentir finalement dans l’espace urbain, comme Bambi, pris au piège dans une forêt de signes : les motifs surabondent, comme les mots-clés sur le mur qui sert de fond à cette toile. Ce joyeux détournement égalise en même temps qu’il rend hommage.
© Speedy Graphito (Street Art)
Merci à Brigitte (Plumes d’anges) de m’avoir signalé cette exposition toulonnaise, installée à l’Hôtel des Arts jusqu’au 2 juin prochain (entrée libre), je ne m’y serais peut-être pas arrêtée. Speedy Graphito s’y révèle passionné d’art, avec un regard décalé, débordant d’énergie, et un sens certain de la composition, voire de la mise en scène.
Commentaires
Merci à toi d'en parler si bien ! J'ai ressenti la générosité de cet artiste devant chaque tableau, il nous offre de la joie et de la bonne humeur et rend un magnifique hommage à ceux qui l'ont inspiré. Il fait passer beaucoup de messages sur notre monde, sa vision est engagée, sa technique est irréprochable, il maitrise son art le bougre ! Formidable expo vivifiante !!! Lumineuse journée Tania. brigitte
Ton enthousiasme est communicatif, Brigitte. Oui, cet artiste étonne et fait réfléchir, c'est une expo très réussie. Bonne fin de semaine, bises.
J'adore TOUTES les expos; elles nous font rêver, nous ouvrent des univers……...Certaines comme celle de Nicolas de Staël me sont restées en mémoire (vue 3 fois à Pompidou, 1 fois à Aix en Provence)
Merci pour ce partage qui nous fait ouvrir l'œil!
Une approche positive ! Merci, Anne, je vais aller regarder tes broderies.
Quel artiste, j'aime beaucoup. Son oeuvre "Diane" est magnifique.
Merci chère Tania pour ce superbe partage.
Douce fin de journée.
Bisous ♥
Ravie de te retrouver ici, Denise, à bientôt.
Tonique, créatif, coloré et culte, j'aime vraiment beaucoup!
Dans la vidéo il explique bien comment il s'empare des images de la rue, les images mythiques ou connues, et les détourne pour raconter d'autres histoires. C'est fort intéressant.
Note que son nom est magnifiquement trouvé!!!
Merci et bonne soirée.
Le street art se développe-t-il aussi aux Baléares ? à Palma ? Le passage de cet artiste de la rue au musée se justifie pleinement.
Coup de coeur pour le cadre noir inachevé et sa légende :-)
Une tentation universelle : faire ce qui nous plait...S'exprimer en tant qu'artiste répond déjà en grande partie à ce désir.
Cela correspond bien à ce qu'il propose.
Un artiste que je ne connais pas. Je n'aurai pas l'occasion d'aller à Toulon, mais qui sait .. ailleurs un jour peut-être je tomberai sur une de ses expos.
J'ignore dans quelle mesure il est connu du grand public, plus à Paris peut-être, mais son parcours est déjà une réussite.
Oui, parfois nous faisons preuve de parti pris et risquons ainsi de nous priver de belles découvertes... J'aurais probablement eu la même première réaction que toi ! Merci pour cette intéressante visite, Tania et bon retour chez toi !
Avec plaisir, Annie, je vais faire un tour chez toi.
en voilà un qui connaît son "histoire de l'art"! j'aime beaucoup ces clins d’œil!
Des clins d'œil porteurs à la fois d'admiration et de dérision, ça secoue !
Oui, oui, ici aussi, regarde: https://piafmajorque.es/produits-traditions/street-art-palma-decouverte-insolite-capitale-majorque/
Merci pour le lien, Colo, et désolée pour le retard et les doublons de ton commentaire, je vais les supprimer.
C'est toujours de très grande qualité ce qu'on voit à l'Hôtel des Arts. Je n'ai pas encore traversé la rade pour y aller mais...
Bon dimanche !
Je serais ravie de connaître tes impressions sur cette expo, Marie. Désolée pour les doublons, je vais les supprimer tout de suite.