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  • La maison des passants

    La maison du Bosphore (Yolgeçen Hanı, 2011, traduit du turc par Sibel Kerem) ou La maison des passants de Pinar Selek raconte une histoire collective, de 1980 à 2001, dans un des plus anciens quartiers d’Istanbul, Yedikule. Au début du roman, Elif, la narratrice, annonce une intention réaliste : « Et si j’entamais mon récit à la manière de Sema ? Il était une fois… Mais non, je ne peux pas. Ce n’était pas un conte, c’était la réalité. »

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    En octobre 1980, la pharmacie de Bostanci, en front de mer, est fermée, les gens pressent le pas pour rentrer chez eux. Sur la place, il y a plus d’hommes en uniforme que de civils, on disperse les manifestants parmi lesquels Elif et Hasan, quinze et dix-sept ans, qui protestent contre le « tyran » qui remplit les prisons d’opposants – « La dignité humaine aura raison de la torture ». Le père d’Elif, un pharmacien qui a connu la prison, voudrait l’éloigner pour qu’elle termine sa scolarité dans un endroit sûr.

    L’Istanbul de Pinar Selek est, comme l’a raconté Orhan Pamuk, une ville où tout change, où des immeubles surgissent là où « il y avait des jardins à perte de vue », faisant disparaître les potagers. Sema et sa mère Guldjan cueillent des herbes après la pluie. Sema a échoué à l’examen d’entrée au lycée d’Etat. Les autres lycées sont trop chers pour elle. Sa mère voudrait tant qu’elle échappe à la pauvreté.

    Artin, le vieil artisan menuisier de Yedikule, s’est pris d’affection pour Salih, son apprenti doué. Amoureux secret de Sema, le jeune homme n’a rien à lui offrir, avec cinq personnes à sa charge depuis la mort de son père (grand ami d’Artin) et de son frère. Il a donc dû interrompre ses études pour travailler à l’atelier de menuiserie. Son plus grand rêve est de construire une « grande maison au milieu des montagnes ». Artin voudrait l’adopter, éviter que le patrimoine s’empare de son appartement et de l’atelier à sa mort. Salih hésite.

    Hasan a réussi un concours pour entrer au Conservatoire à Paris, il joue du violon. Il aime retrouver ses copains dans une vieille maison abandonnée sur les hauteurs où s’est installé un ancien capitaine, Osman Baldji, célibataire et retraité. La maison du Bosphore raconte comment ces personnages, les jeunes, les vieux, et les autres qu’on découvre peu à peu autour d’eux, font face pour survivre ou vivre mieux. Hasan retrouve Elif quand il rentre pour enterrer sa grand-mère, puis il rencontre un musicien arménien à Paris : Rafi joue du doudouk, un instrument qu’il tient de son père. Ils deviennent inséparables.

    Quand son père ouvre une nouvelle pharmacie avec Sema comme assistante à Yedikule, « le quartier appelé autrefois du nom arménien d’Imrahor » où sa mère est née, Elif, inscrite en philosophie à l’université, est pleine d’espoir : « Hasan reviendrait bientôt. Nous allions vivre comme avant. » Mais en deuxième année déjà, elle se sent inutile et veut rejoindre un mouvement révolutionnaire, contribuer à une « révolution socialiste permanente », prête à entrer dans la clandestinité et à renoncer à l’amour d’Hasan.

    Une ancienne prostituée accueillie dans un foyer, une femme battue qui finit par oser demander le divorce, une dame qui fait restaurer sa maison ancienne, de nombreux personnages illustrent le combat féministe et pacifiste de Pinar Selek. Si sa plume n’a pas la sensibilité d’un Pamuk, ni la verve d’Elif Shafak, elle réussit à nous intéresser à ces destinées diverses, modestes pour la plupart, et à ce quartier attachant où Turcs, Arméniens et Kurdes se côtoient. La maison du Bosphore est une fiction qui témoigne de la répression contre les intellectuels en Turquie et « un puissant appel à la liberté et à la fraternité » (Pascal Maillard, Mediapart).

    Depuis 1998, Pinar Selek est accusée de terrorisme par la justice turque : un « invraisemblable imbroglio judiciaire » lui vaut depuis lors une succession d’acquittements et de condamnations. Après la prison et la torture, elle s’est réfugiée en France en 2001. Devenue sociologue « afin de comprendre et d’agir », elle déclarait l’an dernier : « Je ne veux pas une autre vie, mais je veux un autre monde » (Pinar Selek : vingt ans d’exil et de lutte, Ligne 16).