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Les désorientés de Maalouf

Dans Les désorientés (2012), Amin Maalouf a choisi Adam, professeur et écrivain installé à Paris, pour évoquer une bande d’amis que la vie a séparés et, pour la plupart, exilés. « Je porte en mon nom l’humanité naissante, mais j’appartiens à une humanité qui s’éteint, notera Adam dans son carnet deux jours avant le drame » : ainsi commence ce roman qui débute par un coup de téléphone : Tania, l’épouse de Mourad, l’appelle au chevet de son mari ; il va mourir et demande à le voir.

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La compagne d’Adam, Dolorès, l’y encourage, même s’ils ne se sont plus parlé depuis vingt ans. « C’est un ancien ami », répond-il à ceux qui mentionnent Mourad en sa présence, et non pas « vieil ami », vu leur brouille. Mais peut-on refuser une telle demande sur un lit de mort ? Le soir même, Adam sera au pays. Durant le vol, il se prépare à ces retrouvailles, incertain « qu’il faille pardonner à ceux qui meurent ». Mourad a trahi durant les années de guerre les valeurs qui leur étaient communes. Comme toujours, Adam réfléchit par écrit : « Si j’étais resté au pays, je me serais peut-être comporté comme lui. De loin, on peut impunément dire non ; sur place, on n’a pas toujours cette liberté. »

Le roman d’Amin Maalouf alterne entre les notes d’Adam en italiques et le récit de son séjour au pays natal. Il s’installe d’abord à l’hôtel, sans prévenir personne. Le lendemain, l’épouse de Mourad l’appelle sur son téléphone portable : « Il n’a pas pu t’attendre. » Il va s’incliner devant la dépouille à la clinique. A peine rentré dans sa chambre, il entreprend de résumer l’histoire de leur amitié rompue.

A l’origine de leur groupe, une soirée en 1971 chez Mourad – sur la terrasse de sa belle maison familiale – avec Tania, Albert, Naïm, Bilal, « la belle Sémi », Ramzi et Ramez : « Nous entrions dans la vie étudiante, un verre à la main, la rébellion au cœur, et nous croyions entrer dans la vie adulte. » Le plus âgé avait vingt-trois ans ; Adam, le plus jeune, dix-sept ans et demi, se sentait « incurablement étranger. Sur la terre natale comme plus tard sur les terres d’exil. »

On les surnommait « les Byzantins », tant ils aimaient discuter, argumenter, convaincus que leurs idées pourraient « peser sur le cours des choses ». De cette terrasse où ils se retrouvaient, ils assisteraient à la fin de la « civilisation levantine ». Ils appartenaient à toutes les confessions, avant que chacun se voie redevenir chrétien, musulman ou juif, avec « les pieuses détestations qui vont avec. » Naïm et sa famille étaient partis s’établir au Brésil, sans avertir personne. Bilal était mort dans un échange de tirs, ils ignoraient tous qu’il avait pris les armes. Six mois plus tard, Adam partait pour la France.

S’il assiste aux funérailles de Mourad, Adam sera tenu de prendre la parole. Il s’y refuse, prétend qu’il doit rentrer pour ses étudiants. En réalité, il préfère prolonger son séjour « en brouillant ses traces ». Il ira à l’Auberge Sémiramis, à la montagne, chez une amie qui lui avait fait promettre de « passer la voir le jour où il reviendrait au pays ». Elle est prête à le loger discrètement dans son hôtel peu fréquenté en avril et l’accueille comme un prince. A quarante-huit ans, elle n’a rien perdu de son charme.

C’est là qu’Adam va mettre par écrit leur histoire, relire les lettres de ses anciens amis qu’il a emportées avec lui, faire le point sur leurs destinées si diverses et sur la manière dont leurs liens se sont distendus. Il est difficile à un historien de parler de sa propre époque, mais Adam veut y voir plus clair, même s’il est censé avancer dans la biographie d’Attila commandée par son éditeur.

Un soir de leur jeunesse, en la reconduisant chez elle, Adam avait eu envie d’embrasser Sémiramis ; les circonstances l’en avaient empêché. Elle lui confie qu’elle-même le désirait alors, déçue de sa timidité. Les voilà proches à nouveau, sans rien qui trouble leur complicité renaissante, sinon Dolorès, la compagne d’Adam, l’amie de Sémiramis qui ne voudrait pas la trahir.

Sémiramis sera aux côtés de Tania à l’enterrement, Adam rendra visite à la veuve plus tard, quand elle sera moins accaparée par les visiteurs. En mémoire de Mourad et de leur jeunesse partagée, celle-ci voudrait les réunir tous prochainement. Adam accède à sa demande, il va les contacter et essayer de les rassembler tous au pays natal avant de rentrer chez lui.

Négar Djavadi, dans Désorientale (2016), creuse surtout son propre passé. L’auteur des Identités meurtrières le fait ici à travers un portrait de groupe, avec la volonté de comprendre le cheminement de chacun d’entre eux dans sa propre voie et aussi ses propres choix. « Dans Les désorientés, je m’inspire très librement de ma propre jeunesse. Je l’ai passée avec des amis qui croyaient en un monde meilleur. Et même si aucun des personnages de ce livre ne correspond à une personne réelle, aucun n’est entièrement imaginaire. J’ai puisé dans mes rêves, dans mes fantasmes, dans mes remords, autant que dans mes souvenirs. » (A. M.)

Commentaires

  • Je n'ai toujours pas lu cet auteur, qui a pourtant une belle bibliographie. Ce titre ci m'intéresserait plus que Desorientale.

  • Inoubliable Sémiramis qui est restée si vraie après tout ce temps.
    Un grand conteur Amin Maalouf. Lu il y a longtemps, je n'ai pas oublié ces destins différents.

  • @ Marilyne : Bonne lecture si tu ouvres ce roman-ci, Marilyne.

    @ Colo : C'est vrai, Sémiramis est une femme formidable, positive, aimante - je ne l'oublierai pas non plus.

  • Je me souviens de la sortie de ce roman et des interviews de l'auteur. Mais je ne l'ai pas encore lu.

  • Je n'ai encore rien lu de Maalouf qu'on trouve ici un peu nostalgique ? (j'ai pu lire les premières pages).

  • Comme Marilyne je n'ai toujours pas lu cet auteur. Lorsque je le ferai ce sera en commençant je pense, par un autre livre que celui-ci. Je n'aime pas trop en effet ces retours en arrière, ces "Nous nous sommes tant aimés". Je ne sais pas trop pourquoi je dois dire ! L'impression, probablement vaine, qu'il y a mieux à faire. Bonne journée, Tania.

  • même si ce n'est pas le livre que je préfère de l'auteur c'est un excellent comme toujours avec Maalouf
    c'est un conteur hors pair, j'aime ses biographies, son livre sur les croisades en particulier

  • @ Aifelle : Il m'attendait sur la table d'un bouquiniste à Nyons.

    @ Christw : Oui, la nostalgie des jeunes années s'y glisse, mais le héros, comme le roman, est bien ancré dans le présent. Je vous recommande "Les identités meurtrières" pour faire connaissance avec Amin Maalouf.

    @ Annie : Ma réponse précédente pour toi aussi ? Ici, un décès et le retour au pays amènent inévitablement un bilan sur ce qu'il reste comme liens entre ces amis d'autrefois.

    @ Dominique : La structure romanesque est plus lâche ici que dans ses premiers romans comme "Les jardins de lumière", par exemple.
    "Les croisades vues par les Arabes" est un classique à recommander, tu as raison.

  • Chacun peut se retrouver dans une telle histoire, nous sommes ou avons tous été des anciens amis et cette démarche entreprise - écrire - pour y voir plus clair est intéressante. Merci Tania, doux week end à toi. Bises ensoleillées. brigitte

  • Merci pour ce commentaire, Brigitte, les amitiés sont si importantes dans la vie. Au Proche-Orient où se déroule le roman, Maalouf montre les façons différentes dont chacun d'eux a vécu la guerre et les troubles qui ont poussés beaucoup d'entre eux à l'exil.
    Bises ensoleillées à toi aussi, nous avons une belle après-midi d'automne, l'arrosage reste de mise sur mon jardin suspendu en attendant la pluie qui se fait plus rare chez nous cette année.

  • Je me demande pourquoi ma médiathèque propose autant d'exemplaires en Gros Caractères de ce roman. C'est noté pour un jour prochain.

  • @ Niki : Ce n'est pas son meilleur roman, mais j'ai aimé son sujet à multiples facettes.

    @ Adrienne : Une manière de découvrir l'atmosphère de sa jeunesse.

  • Ce roman d'Amin Maalouf est riche en réflexions personnelles, il a sûrement beaucoup à donner encore à la relecture. Merci pour ton passage & bonne journée !

  • Commencé hier soir et déjà fini. Des histoires plein la tête, un effet kaléidoscope, une écriture fluide et un sens acéré de l'observation. Sémiramis habite bien son prénom, Adam aussi.

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