Mon âge de Fabienne Jacob n’entre dans aucune catégorie précise : ni roman ni témoignage, c’est une succession de moments vécus, d’expériences où se croisent l’âge qu’on a et l’âge qu’on ressent, les couches du temps dans l’être. Une femme se raconte, physiquement. Cela commence par un démaquillage à deux heures du matin : « Voilà mes yeux, voilà ma bouche, voilà mon âge, vingt-sept ans, trente-neuf ans, soixante et un ans. »
Firmin Baes, Jeune femme au miroir
« Passé une certaine distance de son reflet on ne se raconte plus d’histoires », même si « se regarder dans un miroir est une opération impossible, être dans le même temps celui qui regarde et celui qui est regardé, mais qui est soi et qui est l’autre ? » Dans la chambre attenante à la salle de bain, son mari la regarde, l’attend. « Un livre entier n’y suffirait pas, à dire toutes les pensées qui arrivent en vrac dans l’esprit d’une femme qui se démaquille. »
Le miroir peut être cruel dès l’enfance, quand on se voit pour la première fois dans la robe de tulle dont on rêvait, rapportée de chez la couturière. Elle tombe bien, mais que dirait son amie Else si elle la voyait – « C’est quoi ce déguisement ? » On peut être surpris à n’importe quel âge par son reflet inattendu, une image de soi non préparée. Ou blessé par le regard d’une vendeuse dans une boutique de mode qui vous déclasse instantanément.
« Toute une partie de sa vie, on veut ressembler à quelqu’un d’autre. » Son modèle, pendant l’enfance et l’adolescence, c’était Else, qui avait deux ans de plus, sûre d’elle, sa mèche devant les yeux – elle osait tout, elle lui apprenait le plaisir. « Ce que je voulais, c’était attraper sa façon d’être au monde. » Sa mère aurait préféré la voir jouer avec une autre, mais elle préférait Else qui avait « le chic pour trouver les coins que les autres ne connaissent pas ».
Au lycée viendront d’autres influences ; celle qui cache ses origines et sa langue maternelle veut alors « être comme tout le monde », « ressembler aux filles d’ingénieur », alors que son amie Else était « un modèle de transgression et de liberté ». « J’ai mis du temps à être moi et seulement moi. »
Des souvenirs surgissent, les siens, ceux de sa mère, ils se confondent parfois quand elle pense à elle. « Age ? » lui demande-t-on : « J’ai un autre âge que celui que j’ai donné à la secrétaire médicale. J’ai indiqué un faux parce qu’elle s’impatientait, j’ai donné le premier qui m’est venu à l’esprit. »
Les peurs, les pleurs n’ont pas d’âge, même quand on devient « une autre femme » et que « la possession des êtres et des choses » n’intéresse plus, qu’on vit dans « le détachement », « la vie intérieure ». Comment définir la pudeur ? « C’est cacher aux autres et à soi-même un corps qu’on ne reconnaît pas comme sien. »
Seul lui importe à présent de « vivre des moments sans temporalité ». Elle les trouve dans des endroits auxquels on ne penserait pas, des lieux banals. Ou un soir de pleine lune, près d’une piscine. Fabienne Jacob est une romancière qui écrit au plus près des sensations. Dans Mon âge, passant d’une période de la vie à une autre, sans ordre, elle conte les rendez-vous d’une femme avec son corps, des ressentis dans la peau, qui n’ont pas d’âge.
Commentaires
Ma grand-mère m'a dit un jour qu'au-dedans d'elle-même, elle n'avait pas d'âge précis, pas l'âge de sa carte d'identité, mais un âge flou, qui reste inchangé depuis des années, "depuis toujours"... je la comprends de mieux en mieux et certaines réflexions que tu cites dans ton billet m'y ont fait penser :-)
un thème qui titille à partir ...d'un certain âge :-)
j'aime bien cet idée de vivre des moments sans temporalité
J'ai remarqué ce livre récemment sur un autre blog et noté. Je pense que ce sont des réflexions qui nous traversent toutes à un moment ou à un autre et à plus forte raison en vieillissant où la tête n'est plus forcément en accord avec le corps.
D'elle j'ai lu Coprs, déjà un thème sur l'apaprence, non? Celui ci me plairait (comme mes prédécesseuses(?) j'ai souvent l'impression que mon intérieur et mon extérieur ne collent pas ensemble...
Faire coïncider apparence corporelle et état d'esprit peut être, à partir d'un certain âge,assez vertigineux; un exercice qui fait rire et/ou pleurer, parfois.
Bien intéressantes ces réflexions sur notre image. Merci.
Il faut que je lise cette auteure, je pense que ce titre pourrait me plaire.
Décidément, les livres que tu présentes m'intriguent. --- Je vais aussi le télécharger sur ma tablette pour le "parcourir" et satisfaire ma curiosité
@ Adrienne : Un âge flou, inchangé ? Une stabilité qui m'étonne, moi qui me sens plutôt rajeunir ou vieillir selon les jours. Heureuse de t'avoir rappelé ce souvenir de ta chère Adrienne.
@ Dominique : Oui et non (quand on est jeune et qu'on a des problèmes de santé, cela titille précocement). Les beaux moments intemporels se greffent en nous.
@ Aifelle : En effet, mais il me semble que j'aurais dit l'inverse : "à plus forte raison en vieillissant... où le corps n'est plus forcément en accord avec la tête".
@ Keisha : "Mon âge" est ma première lecture de Fabienne Jacob. Elle parle du ressenti, surtout, derrière l'apparence - notre expérience à toutes.
@ Colo : Plus les années passent, plus le vertige s'accentue à certains moments, surtout quand nous sommes fragiles sans doute.
@ Valérie : Bonne lecture, Valérie (disponible en Folio).
@ Doulidelle : François Busnel écrit pour sa part : "Si j'étais une femme, voici le livre que j'offrirais à l'homme que j'aime : Mon âge, de Fabienne Jacob. Puisque je suis un homme, je me console en me disant que grâce à la plume vibrante de cette romancière délicate et vive, j'ai désormais accès à quelques secrets de femmes."
http://www.lexpress.fr/culture/livre/fabienne-jacob-sans-fard_1628264.html
le miroir peut être en effet très cruel, lorsqu'on a un âge dans sa tête qui ne correspond guère à celui de la carte d'identité - pour certains, vous jouez "à la gamine", d'autres vous trouvent ridicules, très peu apprécient le fait que l'on aime simplement la vie en général, peu importe son âge, mais hélas les rides sont bien là :)
OUf!
Quelle façon de prendre à bras-le-corps les problèmes du temps qui passe et leur incidences sur notre image.
Je me sens attirée par ce livre alors que mon image a été modifiée d'un seul coup, sans que je m'y attende. Sensation de vertige dis-tu? C'est cela.
Je note...Non pour chercher une explication mais peut-être des convergences.
Merci Tania.
Bon we.
@ Niki : Le miroir, une photo aussi. Pas moyen d'échapper aux rides, mais bien d'entretenir son goût de la vie, Niki, tu as raison.
@ Maïté/Aliénor : Fabienne Jacob, tu l'as compris, ne reste pas à fleur de peau. J'espère que la lire t'aidera à apprivoiser ta nouvelle image. Bon week-end à toi, Maïté.
Un livre qui m'intrigue, moi aussi, et tes remarques sur les miroirs m'interpellent en particulier (ce regard vu et regardé, ce trouble de ne pas se voir d'un coup comme on se "voit"/s'imagine).
@ Mina : Tant mieux s'il t'intrigue - chacune peut y trouver quelque chose d'elle-même, il me semble. A bientôt sur ton blog.
Et cette surprise qui ne passe pas à mesure que la vie passe, de se voir prendre des années ! Vraiment, j'ai déjà tout ça ? N'est-ce pas incroyable ? J'ai hâte de lire ce livre !
Bonne lecture, Ariane, j'espère que ce récit te plaira.