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Le professeur et Outland

Septembre. Le professeur St. Peter n’avait pas fort envie de déménager ; sa femme, oui. Leur nouvelle maison est prête. Au lieu d’y occuper son nouveau bureau, il décide de louer un an de plus (il peut se le permettre à présent) la maison où il a l’habitude de travailler au grenier et de continuer à y soigner son jardin. Dans La maison du professeur (1925, traduit de l’anglais par Marc Chénetier), la romancière américaine Willa Cather (1873-1947) nous livre le point de vue d’un homme dans la cinquantaine sur sa famille, ses étudiants, son travail, sa vie. 

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© Arthur Chartow, Lake Michigan 7:30 a.m., 2007

« Outland » est le nom choisi par sa fille aînée, Rosamond, mariée à Louie Marsellus, pour la grande demeure qu’ils ont construite près du lac Michigan. Le professeur se sent plus proche de Kathleen, la cadette, qui aime dessiner son portrait – « on prétendait souvent que St. Peter avait l’air espagnol ». Elle a épousé Scott McGregor, un journaliste, ils vivent plus modestement.

Son « placard » sous le toit n’a pas encore été vidé. Quand Augusta, la vieille couturière qui partageait la petite pièce avec lui « trois semaines à l’automne, et trois autres au printemps » (elle terminait à cinq heures, le professeur n’y travaillait en semaine que le soir) vient chercher ses affaires, il refuse qu’elle emporte ses mannequins, un buste et une silhouette en fil de fer – « Vous n’allez tout de même pas m’embarquer mes dames ? » 

C’est dans cette pièce que St. Peter a consacré quinze ans à son essai majeur, Aventuriers espagnols en Amérique du Nord, malgré l’inconfort du vieux poêle à gaz qui brûle mal et l’oblige à entrouvrir la fenêtre pour ne pas s’asphyxier. Sa deuxième vie, menée de front avec l’enseignement auquel il tient : « Un seul regard intéressé, un seul esprit critique ou sceptique, un seul curieux à l’esprit vif dans un amphithéâtre empli de garçons et de filles sans intérêt particulier, et il devenait son serviteur. » Et surtout, de la fenêtre, « il apercevait, au loin, juste à l’horizon, une vague tache allongée, bleue, embrumée – le lac Michigan, la mer intérieure de son enfance. » 

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A la nouvelle maison, Lillian, son épouse, veille à ce que son Godfrey mette bien sa jaquette et lui recommande d’être « plaisant et agréable » avec leurs invités du soir : leurs filles, leurs gendres, ainsi que Sir Edgar Spilling, un érudit anglais intéressé par ses recherches. Louie Marsellus anime le dîner en dévoilant à Sir Edgar, qui connaît « l’inventeur du moteur Outland », l’origine de leur bonne fortune : Tom Outland, mort à la première guerre mondiale, quasi fiancé à Rosamond, avait rédigé un testament en sa faveur, et Louie, ingénieur en électricité, a réussi à faire passer son idée « du laboratoire au marché ».

En silence, Scott et le professeur gardent au cœur un autre Outland : pour Scott, Tom était « son condisciple et son ami » ; pour St. Peter, l’étudiant le plus exceptionnel qu’il ait jamais rencontré. Seule Lillian vibre à l’unisson de l’ambitieux Louie Marsellus, élégant, raffiné, entreprenant, et le professeur observe depuis le mariage de ses filles à quel point la présence de ses gendres, de Louie surtout, réveille sa coquetterie et ses goûts plus mondains que les siens.

Mon Antonia de Willa Cather fait partie des classiques étudiés par les jeunes Américains au collège. La romancière excelle dans le portrait de ses personnages et dans l’analyse des relations, voire des tensions entre eux. Dans La maison du professeur, St. Peter, en plein bilan de la cinquantaine, considère que « les choses les plus importantes de sa vie avaient toutes été le fruit du hasard ». QuOutland frappe un jour à sa porte a été « un coup de chance qu’il n’aurait jamais pu s’imaginer. » Il voudrait publier le journal que celui-ci a tenu au Nouveau-Mexique. « Le récit de Tom Outland », dont je ne vous dirai rien, m’a fait quelquefois penser à « Into the Wild », le film bouleversant de Sean Penn.

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La maison du professeur offre aussi des paysages et des saisons superbement dépeints. Le bleu et les ors de l’automne ou du couchant y reviennent comme des leitmotivs. Willa Cather, qui avait à peu près l’âge de son héros quand elle écrivait ce roman, propose une réflexion délicate sur le sens de la vie, sur ce qui compte vraiment et sur la solitude où nous conduit parfois la compagnie des autres.

Commentaires

  • Un beau roman, vous le rendez bien, que j'ai envie de convier à mes moments de disponibilité littéraire. J'ai souvent l'impression, comme St. Peter que les choses les plus importantes d'une vie sont le fruit du hasard.
    Si de surcroît, il est question un peu de "Into the wild" (vu trois fois), du sens de la vie et de la solitude, je me sens prêt à entrer dans cette maison.

  • Comme Christw je suis prête à tenter l'expérience d'une visite à ce grenier
    j'ai beaucoup aimé les deux romans lus de cette auteure et même si c'était il y a longtemps j'en garde un très très bon souvenir

  • @ Christw : J'ai beaucoup aimé partager les songeries de ce professeur, j'espère que vous apprécierez le roman. Vu pour la première fois récemment, le film de Sean Penn me hante littéralement - et même quand je lis, vous voyez.

    @ Dominique : En cherchant Willa Cather sur ton blog, j'ai trouvé Mary Austin et "Le pays des petites pluies" qui pourrait aussi entrer en résonance avec ce roman.
    Le peintre Arthur Chartow t'a prise au piège de son réalisme : en cliquant sur la légende, tu verras d'autres paysages de rêve.

  • Je n'ai lu que "mon Antonia" il y a longtemps, je lirai volontiers celui-ci dont l'atmosphère est très bien rendue dans ton billet.

  • @ Aifelle : Je te souhaite autant de plaisir que j'en ai eu à le lire il y a quelques années et à le relire.

  • @ Delphine : Merci, nous nous débrouillons tous avec cela. Bonne après-midi, Delphine.

  • J'ai beaucoup aimé "Destins obscurs" de Willa Cather. Son écriture simple, ses récits émouvants, ses personnages de tous les jours m'ont fait découvrir une littérature subtile et raffinée à la portée de tous.

    Et puisque vous citez "into the wild" qui m'a chamboulé, je ne puis qu'inscrire "la maison du professeur" sur ma très longue liste .

    Comment faites-vous Tania pour lire tous ces chefs-d'oeuvres et prendre de plus le temps de nous les résumer?

  • @ Gérard : Merci pour cet autre titre, Gérard, je le lirai certainement. Ne misez pas trop tout de même sur ma référence à "Into the wild" - le film me trottait en tête en lisant "Le récit de Tom Outland", enfin vous verrez.
    Comment ? En lisant chaque matin pour commencer la journée, je ne peux m'en passer. Comme dans un potager, on y travaille tous les jours. Et une fois le livre terminé, s'il vaut la peine, le revisiter avant de passer au suivant.

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