« Selon cette science sociale oubliée, c’est la convention qui rend l’existence intéressante comme un morceau de théâtre. Le fait de porter des bijoux pour déjeuner, de se montrer aimable et souriant, d’être attentif aux autres et de s’exprimer clairement, tout cela donne une forme délectable au temps qui passe. Aller au musée, se promener dans les jardins publics, se retrouver à la messe du dimanche, prendre le thé, parler du dernier film ou du dernier roman : autant de mornes habitudes nous rappellent l’équilibre savant d’un ancien art de vivre. Même la fameuse hypocrisie bourgeoise devient une qualité quand elle consiste à masquer ses tourments, à laisser la part d’ombre dans l’ombre, plutôt que de donner le champ libre à la sincérité et aux conflits. Voilà toute une esthétique du quotidien que nous ne connaissons plus guère, depuis que nos vertus s’appellent franchise et naturel. »
Benoît Duteurtre, Les pieds dans l’eau
Commentaires
L'art de vivre peut-il s'exporter? Ou bien n'est-ce qu'un épisode du livre sur les "bonnes manières" écrit depuis si longtemps par la culture occidentale?. Je pose la question car je suis en train de lire un livre sur la "bonne société" en Australie, au XIXème siècle, qui en devient, avec le recul, une cruelle société.
Parfois la franchise et le naturel peuvent faire très mal et certains ne s'en privent pas... quand l'esthétique s'alliait avec une certaine éthique, "l'hypocrisie bourgeoise" avait plus que du bon !
Peut-être est-il possible de trouver une voie médiane pour éviter les écueils entre trop de dissimulation ou trop de franchise. Tout un apprentissage ..
D'accord avec Aifelle,la délicatesse n'est-elle pas une possible voie médiane?
De manière général, les conventions m'ennuient... Mais bon, je conçois qu'elles puissent servir à modeler une certaine société, à ériger des repères.
La franchise et le naturel sont une qualité quand elles sont empruntes de générosité. Elles rejoignent alors les bonnes manières qui sont également basées sur le souci du bien-être et agrémentent de ce fait la vie sociale. Enfin, hum, c'est comme ça que je vois les choses... Que veut dire Damien au sujet de la bonne et cruelle société australienne?
@ Delphine: L'Australie, à ses débuts, a été colonisée par un curieux mélange de bagnards, de pionniers déguenillés, d'aventuriers audacieux et courageux et de British extrêmement conservateurs et intransigeants quant aux statuts sociaux. Le clash qui en a résulté entre eux, et avec les aborigènes, a été saignant, avec aucune volonté de part et d'autres de comprendre l'autre (par manque de générosité, sans doute, comme tu dirais). Belle journée à toi, et merci Tania pour le forum.
Les « bonnes manières » : codes nécessaires qui ne prétendent qu'à rendre les échanges plus harmonieux. La « sincérité » n'est pas valeur absolue, en toute situation. Amie du « moi je » si souvent.
Franchise ou tyranie de la transparence ? On peut aussi poser la question dans ce sens.
Tania un ouvrage collectif qui vous intéressera si vous ne le possédez déjà :
La politesse: vertu des apparences.
Éditions autrement.
Collection Morales.
@ Damien : L'art de vivre, cette belle expression, recouvre tant de manières diverses, selon les cultures - et aussi un idéal d'harmonie dans les rapports avec le monde, avec les autres, avec soi. L'extrait de Duteurtre m'a intéressée parce qu'il bouscule notre détestation des règles mondaines et des échanges superficiels et révèle en même temps les manques d'attention à l'autre trop fréquents dans l'actuel mépris des formes. Comme si le désir d'authenticité avait balayé ces gestes quotidiens que nos parents nous ont appris bon gré mal gré : dire bonjour, dire au revoir, dire merci - vous voyez, je pense à des choses très simples et qui pourtant ne vont plus de soi. Merci à vous d'animer le forum.
@ MH : Oh oui ! Et quel plaisir de retrouver ici, dans les commentaires, cette courtoisie.
@ Aifelle : Et une question à se poser tous les jours : le dire? ne pas le dire? et comment?
@ Colo : "Délicatesse", tu as trouvé le mot juste, amie.
@ Blue Jam : Conventions, conformisme, des mots qui commencent mal !
@ Delphine : Merci d'inviter la générosité dans le débat.
@ Elisabeth : Je note la référence du livre, merci.
Conte, convive, concert
sans oublier Benjamin Constant
ni les confitures.
Quelques mots et un nom en guise de plaidoyer.