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Loin de Pékin

Comment Fugui, le fils unique des Xu, un joueur et un noceur impénitent, est-il devenu ce vieil homme à la peau tannée qui encourage son buffle poussif près de la rizière ? Le roman Vivre ! de Yu Hua (1994) répond  à cette question. Zhang Yimou en a tiré un film primé à Cannes cette même année – lui qui vient de mettre en scène la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin. Vivre ! est le récit d’un récit. Dix ans plus tôt, l’auteur parcourait les campagnes à la recherche de chansons populaires (pour les lecteurs de Balzac et la petite tailleuse chinoise de Dai Sijie, impossible de ne pas songer aux aventures picaresques des deux jeunes « rééduqués » lancés dans ce genre d’entreprise) et il y a rencontré ce vieux paysan qui lui a raconté son histoire.

Effarantes vicissitudes du peuple chinois dans la seconde moitié du vingtième siècle. Fugui en traverse toutes les péripéties. Quand il était jeune, il ne se déplaçait qu’à dos d’homme, mais il s’endette dans les maisons de jeux – « tous des chats gourmands » dit sa mère en parlant des hommes - au point d’obliger son père à vendre ses terres. Le mariage ne l’assagit pas, malgré la patiente Jiazhen. Ce n’est que quand son beau-père vient rechercher son épouse enceinte, en lui laissant Fengxia, leur fille aînée, que Fugui commence à ressentir son indignité. Heureusement, sa femme reviendra, avec leur petit garçon de six mois, Youquin.

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Comme le Candide de Voltaire, Fugui est enrôlé de force dans l’armée du Guomindang et y découvre les horreurs de la guerre. Fait prisonnier par l’armée de Libération, il ne peut rentrer chez lui que deux ans plus tard, dans une famille très éprouvée en son absence. Puis vient la réforme agraire : le nouveau propriétaire du domaine des Xu est fusillé, mort à la place de Fugui, en quelque sorte. Celui-ci décide alors de « vivre correctement » et d’abord de rester en vie en faisant profil bas lors des réformes successives.

Le sort de sa famille est sa priorité. Il place sa fille comme servante pour pouvoir payer des études au garçon. Leur vie est difficile. Youquin prend en affection deux moutons qu’il nourrit soigneusement le matin avant de courir à l’école, mais ceux-ci seront réquisitionnés lors de la famine. On n’imagine pas les malheurs qui vont frapper tour à tour les membres de cette famille pauvre.

Yu Hua n’hésite pas à montrer la stupidité des réformes irréalistes, dont tous les Chinois ont fini par payer le prix fort, au gré des changements de politique. Quand Fugui, au soir de sa vie, étonné d’avoir survécu, décide d’acquérir un buffle qui l’aide aux champs, il prend en pitié une vieille bête qu’on mène à l’abattoir et l’achète. « Les buffles comprennent les hommes. Sur le chemin du retour, mon buffle ne cessa de me frôler pour me manifester sa reconnaissance et sa sympathie. Il savait que je lui avais sauvé la vie. – Ne te fais pas trop d’illusions, lui dis-je. Je t’emmène pour te faire travailler, il ne faut pas t’imaginer que tu vas être traité comme un roi. »

Commentaires

  • Bonjour Tania,
    Très beau texte sur ce livre. Vos choix sont très éclectiques et vos commentaires toujours justes. Je vais me procurer ce livre.
    Amitiés de France

  • Je suis resté rêveur devant la photo de ce pauvre diable avec son buffle « poussif » qu’une vertu évangélique lui avait fait acheter pour lui éviter l’abattoir. D’abord avant de te lire, je l’ai pris pour un de ces misérables paysans que l’on retrouve malheureusement partout dans les régions non privilégiées de notre terre… et puis j’ai appris que ce vieux avait été un riche « noceur impénitent» qui se déplaçait « à dos d’homme » et qui, ruiné, avait subi les vicissitudes d’une existence de misère dans un pays que guerres et révolutions avaient laissé exsangues.
    Je suis resté longtemps rêveur en m’imaginant cette existence d’insecte microscopique dans un milliard trois cents millions d’autres. J’ai imaginé cette humiliation du riche que la déchéance réduit à cultiver une terre qu’il égalise avec des moyens archaïques. Mes yeux n’arrivaient pas à se détacher de ces deux vieux dos misérables qui avaient connu une existence bien meilleure… et qui partagent leur misère : « Ne te fais pas trop d’illusions ... Je t’emmène pour te faire travailler… »

  • J'ai ressenti et pensé les mêmes choses que Doulidelle en lisant ton billet, en contemplant la photo. Il m'est aussi venu à l'esprit cette devise si vraie et généreuse, si belge et si oubliée aussi:"L'union fait la force"

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