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Dix-huit ans

La petite-fille de François Mauriac, faire du cinéma ? Printemps 1965. La question agite la famille. Mais c’est Robert Bresson qui veut faire tourner Anne, le réalisateur du Journal d’un curé de campagne, une référence !

Anne Wiazemsky est comédienne et écrivain  elle écrit surtout des romans, de Mon beau navire (1989) à Je m’appelle Elisabeth (2004), l'étonnante amitié entre la fille cadette d'un psychiatre et un de ses malades (qui a inspiré le récent film de Jean-Pierre Améris). Jeune fille (2007) est un récit autobiographique. Elle y évoque avec beaucoup de délicatesse le changement radical que produisit dans sa vie la rencontre avec Bresson, pour qui elle fut l’héroïne d’Au hasard Balthazar, l’histoire d’un âne et d’une jeune fille.

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« Adolescente timide et maladroite », élève au Collège Sainte-Marie de Passy, on l’introduit un jour dans l’appartement du cinéaste sur l’Ile Saint-Louis. Il tient à l’entendre lire, puis relire un dialogue « sans aucune intention… sans y penser… » Puis vient l’attente, fiévreuse. Anne s’interroge sur son avenir et espère vivre cette expérience nouvelle, dans un monde qu’elle ne connaît pas : « la jeune fille que j’étais en train de devenir m’était étrangère ».

Ses dix-huit ans fêtés - « un âge où l’on ne sait encore rien de soi, où l’on doute, où l’on se cherche » -, Anne, accompagnée par sa mère, se rend pour des essais aux studios de Boulogne. Pour Bresson, c’est décidé, il ne pourra faire ce film sans elle. N’ayant plus son père, Anne est convoquée chez son grand-père Mauriac qui, malgré son inquiétude, ne s’y oppose pas, avouant même dans un grand rire qu’il l’envie, lui à qui on n’a jamais proposé de jouer !

Commence alors la description pleine de sensibilité d’une rencontre hors du commun, avec un homme délicat, qui la considère « comme un être précieux doté de qualités que lui seul percevait. » Sur les bons conseils de Mauriac, elle continue à tenir son journal : « Ce sera passionnant, le journal d’un tournage. » D'abord, il lui faut une séance d’essayage étonnante à La Samaritaine, puis un rendez-vous chez le coiffeur Alexandre, pour allonger ses cheveux par un postiche. Anne s’amuse beaucoup, Bresson est irrésistible : « Dans sa façon de prononcer mon prénom passait à nouveau toute la douceur du monde. » Câlin, insistant, protecteur, il l’isole du reste de l’équipe pendant le tournage à Guyancourt où ils seront deux à loger chez les propriétaires. Là, il lui présente son partenaire : « La pression de sa main sur mon bras s’accentua soudain. C’est lui, murmura-t-il d’une voix émue. Dans la prairie, attaché à l’ombre d’un marronnier, un grand âne brun foncé nous contemplait. » Ce sera le seul acteur du film que le cinéaste n’arrivera pas à soumettre par le seul effet de sa voix persuasive.

Il y a le Bresson du tournage, exigeant, pointilleux, parfois colérique, et il y a, pour Anne, le Bresson du soir, tendre, s’amusant comme un gosse avec ses chatons siamois, terriblement possessif et parfois trop pressant, ce qui la met mal à l’aise. Anne décide alors de s’émanciper, engage un flirt avec un acteur, s’échappe pour un week-end à Paris. Premières étreintes, bonheur du corps, détente. Anne s’étonne de ce que personne ne lise sur son visage qu’elle est à présent une femme. Vis-à-vis de Bresson, elle se sent plus assurée, ose l’affronter quand il l’accuse de n’être pas « gentille » avec lui ou quand il envisage pour elle une scène trop déshabillée.

Anne Wiazemsky rapporte avec simplicité sa première expérience d’actrice, les conditions du tournage, la découverte concrète des procédés du cinéma. C’est vivant, fidèle, on y sent un véritable attachement pour toute l’équipe qui, l’apprend-elle un jour, l’appelle « la petite prisonnière » de Bresson. Elle lui rend hommage, reconnaissante. Ces journées furent « parmi les plus heureuses » de sa vie.

C’est l’histoire d’un tournage, et aussi celle d’un tournant. La jeune fille qu’elle était y perd de son innocence, s’éloigne de sa mère, change de vie. Mais elle s’est trouvée. « Tu t’ennuies déjà avec nous ? » constate Mauriac lors d’une réunion de famille, avant d’ajouter : « Comme je te comprends ! »

Bresson, à la fin du tournage, se confie : « Votre jeunesse m’a rendu jeune… Souvent, j’ai eu votre âge. Et devant mon air étonné : Vous comprendrez plus tard… Plus tard. »

Commentaires

  • Son frère, Pierre, a reçu le Grand prix de l'humour vache au Salon international du dessin de presse et d'humour de Saint-Just-le-Martel (Haute-Vienne) en 2001.

  • Quelle chronique pleine de vie! Merci Tania.

    Vivre, travailler avec des jeunes (à moins d'être une vieille rabougrie et grincheuse) donne "la sensation d'avoir eu souvent 18 ans", c'est bien vrai et c'est délicieux!
    J'aime beaucoup la délicatesse du tableau.

  • Je travaille avec des jeunes, mais je sens tout de même mes années! Mes 18 ans ils sont un peu loin. Par contre ma fille les a ! Ses frères encore plus!

  • Mon article sur le festival de Cannes où étoiles et toiles se succèdent va dans le sens de votre billet.

  • Je ne connais pas ce livre d'Anne Wiamzenski dont j'ai lu quelques autres avec plaisir. Il y a chez elle un ton et un charme indéniable. Quelle belle expérience de commencer dans la vie en devenant une actrice de Bresson, cinéaste que j'admire profondément. Oui, quelle chance dont elle rend compte avec justesse et reconnaissance, écrivez-vous. Je vais me procurer cet ouvrage à la bibliothèque.

    J'ai consacré un article au cinéaste dans la rubrique "Les réalisateurs du 7e Art " sur mon blog "La plume et l'image" dont je vous mets le lien.

  • D'Anne Wiazemski, "Une année studieuse" publié cette année récolte beaucoup d'éloges et je lirai certainement ce récit inspiré par sa vie avec Godard qu'elle a épousé à vingt ans.
    Merci, Armelle, de me remettre sur le chemin de "La plume et l'image", j'y ai retrouvé votre article sur Bresson : http://laplumeetlimage.over-blog.com/article-robert-bresson-cinema-personne-82350075.html et je vais aller y lire votre critique du dernier Resnais.

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