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une vie à coucher dehors

  • Une crique

    « - Là !

    Tous les soirs, ils cherchaient une crique. Les voyages aux quatre vents rendent exigeant. Il leur fallait un mouillage calme et extrêmement sauvage. La moindre trace de présence humaine déconsidérait tout endroit. Rien ne les déprimait davantage qu’une colonne de fumée plantée dans le moutonnement des arbres. Pas question de partager un paysage avec qui que ce soit. Si une route desservait la plage où le vent les avait conduits, ils viraient de bord. Sur l’eau et dans la vie, le demi-tour garantit le bonheur. L’enfer, ce n’est pas les autres, c’est l’éventualité qu’ils arrivent. »

    Sylvain Tesson, La crique (Une vie à coucher dehors)

    Voile à l'horizon.jpg
  • Le sens de la chute

    Lisez-vous souvent des nouvelles ? Une vie à coucher dehors (Prix Goncourt de la nouvelle, 2009) de Sylvain Tesson en rassemble quinze, où vous devriez trouver quelque bonheur de lecture, à défaut d'optimisme. L’asphalte, la première nouvelle du recueil, tourne autour de l’obsession d’Edolfius, un paysan de Tsalka, en Géorgie. Une piste caillouteuse traverse son village « au bord d’un lac à l’abri des ondulations de collines » et les nuages de poussière qui s’en élèvent le font tousser. Pourquoi ne couvre-t-on pas cette route d’asphalte pour « rabouter Tsalka à son siècle » ? Tract, pétition, contacts… Edolfius arrive à ses fins. Avec le ruban d’asphalte, les villageois découvrent la vitesse, la proximité de la ville, un nouveau mode de vie. Et le paysan son malheur. 

    Voilier à l'entretien (La Seyne sur mer).jpg

    Tesson, géographe et voyageur teinté d’un moraliste, plante sa plume ici ou là sur le planisphère : à lire la vraie vie d’un élevage de cochons dans le Dorset (Les porcs), pas sûr qu’on ait encore envie d’en manger. Qu’elles vivent au Népal ou au Texas, en Inde, en France ou au Mexique, les femmes savent comment se venger des hommes impossibles (Le bug). Et les ours de ceux qui les piègent (Le lac).

    En Afghanistan, Zaher le démineur est excédé : sa femme vient d’accoucher d’une cinquième fille. En nettoyant les champs, l’équipe de déminage met régulièrement au jour des vestiges anciens, et cette fois Zaher tombe sur une gracieuse statuette. « Le génie grec féconda la mystique orientale. Un art nouveau naquit. Quinze siècles plus tard, les Talibans abattaient les canons de la beauté avec les canons de leur bêtise. La petite déesse enfouie devant Zaher était une alluvion de ces âges tumultueux. » Il décide de sauver l’objet, de lui substituer une pierre, y voit la promesse d’une nouvelle vie, d’un fils… Avec toute la prudence dont il est capable, réussira-t-il ? (La statuette)

    Parmi quelques nouvelles maritimes – « Le bateau convient aux âmes fragiles que le chaos du monde rebute » (La crique) –, je vous recommande L’île, l’histoire d’un naufrage. Quelques rescapés échouent sur une petite île, avec assez de vivres pour subsister. Lothka, un professeur hongrois, va les sauver de l’ennui en leur racontant des histoires, quand vient la nuit. Ses compagnons d’infortune ignorent qu’il a récupéré sa malle pleine de livres et qu’elle est sa source d’inspiration. Leur réaction quand ils l’apprennent est une leçon de bêtise.

    Sylvain Tesson a le sens de la chute, une loi du genre. En quatrième de couverture d’Une vie à coucher dehors, il annonce la couleur : « Rien ne sert à l’homme de trop s’agiter dans l’existence, car la vie, même quand elle ne commence pas très bien, finit toujours mal. Et puis une mauvaise chute vaut mieux qu’une fin insignifiante. »