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cure thermale

  • Ephémère

    Hesse Le curiste.jpg« Une feuille morte poussée par le vent à travers la fenêtre est venue se poser au bord du bassin. C’est une petite feuille tombée d’un arbre dont le nom ne me revient plus. Je la regarde attentivement, déchiffre les lignes de ses nervures et de ses veines, respire son odeur si particulière qui nous rappelle que nous ne sommes pas éternels. Nous tremblons face à la mort, et pourtant rien de beau n’existerait sans elle. Il est merveilleux de constater à quel point la beauté et la mort, le plaisir et l’éphémère représentent des principes indissociables, à quel point l’existence de l’un implique nécessairement celle de l’autre. En observant cette feuille, je sens tout à coup avec précision la frontière qui sépare la nature de l’esprit. Les fleurs sont éphémères et belles ; l’or est éternel mais il est ennuyeux. De la même manière, tout ce qui anime la vie de la nature est passager et magnifique, tandis que l’esprit est immuable et lassant. […]

    Pour exister, l’or doit se faire à la fois corps et âme. Non décidément, à cette heure tiède du matin, allongé entre un sablier et une feuille morte, je n’ai pas envie d’entendre parler de cet esprit que je suis tout à fait capable de vénérer en d’autres circonstances ; je désire être éphémère, je veux être enfant et fleur. »

    Hermann Hesse, Le curiste                                          

     

  • Hesse en curiste

    Le curiste de Hermann Hesse (1925, traduit de l’allemand par Alexandra Cade), suivi de « Souvenirs d’une cure à Baden » (1949) est un récit autobiographique inspiré par sa première cure à Baden pour soigner une sciatique. (Comme on disait « prendre des bains (Baden) à Baden », la ville thermale a pris en 1931 le nom de Baden-Baden.)  

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    Friedrichsbad à Baden Baden

    En disant « Nous, les curistes de Baden » dans l’avant-propos, le narrateur est conscient de faire comme s’il ne parlait pas en son nom propre, « mais au nom de toute une catégorie de personnes, de toute une classe d’âge » (« quarante-cinq ans révolus »), sans doute une illusion, voire une erreur. Le récit est à la première personne du singulier.

    Arrivé à Baden en train, le futur curiste est « immédiatement saisi par la magie de l’endroit ». Remarquant à la gare d’autres voyageurs souffrant comme lui de sciatique, il observe leur allure, les « mimiques » personnelles de chacun, et reconnaît des « compagnons d’infortune ». Il leur trouve l’air plus contrarié que lui et se réjouit d’être moins atteint, un sentiment qui grandit encore en descendant vers les bains : comparé aux autres malades, il se trouve « l’air jeune et bien portant ».

    Une voix intérieure qu’il s’efforce de ne pas écouter contredit cette « douce euphorie » : il boite légèrement sur sa « canne de Malaca » et ne remarque pas les individus plus jeunes et plus droits que lui. A l’hôtel Heilingenhof arrive le moment délicat pour « un homme à la fois ermite et écrivain » de choisir la chambre « la plus calme », la difficulté venant souvent de la porte de communication vers une chambre voisine ou du plafond qui résonne sous les pas.

    Hesse adopte dès le début un point de vue ironique pour décrire sa situation et son état d’esprit : il veut faire preuve d’optimisme, y compris en ce qui concerne le médecin qui va diriger sa cure. Il attend de lui « qu’il possède une forme de savoir humaniste » et se réjouit de découvrir sur son visage « une expression intelligente qui laissait supposer un esprit ouvert. » Bref, tout lui semble réconfortant.

    Chaque journée de cure commence par un matin – pour lui, de manière générale, le moment le plus pénible de la journée, celui où il est de mauvaise humeur, sous le poids des problèmes « qui empoisonnent et compliquent [son] existence » ; ce n’est qu’à partir de midi que « les choses redeviennent supportables et agréables » ; le soir est son moment préféré. Il est insomniaque, d’où cette détresse matinale. Mais il arrive tout de même à suivre l’horaire des curistes, ravi de prendre un bain chaud matinal au sous-sol où le décor est magnifique, de boire un verre d’eau à la source et puis de retourner au lit, sur prescription médicale.

    S’il détaille ses réactions, Hesse décrit aussi les autres curistes, leur mode de vie, leurs loisirs – « nos déjeuners sont de véritables représentations théâtrales ». Il mange seul à une petite table ronde et prend plaisir à observer les autres convives, une séance d’observation mutuelle en quelque sorte. D’abord méprisant pour les amusements habituels des curistes, au fur et à mesure que la cure le fatigue (beaucoup plus qu’il ne le croyait au début), il va lui aussi se relâcher et trouver du plaisir à manger plus qu’il ne faudrait, à écouter de la musique de second plan.

    Tout un chapitre est consacré au Hollandais qui occupe la chambre voisine avec sa femme. Alors que lui-même offre à ses voisins un silence parfait, la porte de communication ne lui épargne ni les bavardages ni les rires de ces personnes qui restent le plus souvent dans leur chambre et y reçoivent des visites, ne lui offrant du répit qu’entre minuit et six heures du matin.

    Bref, bientôt, il ne lui reste plus grand-chose de l’optimisme du début. Il lui faudra tout un travail sur lui-même pour accepter la cure et son environnement. Dans le dernier chapitre, « Rétrospection », qui commence par « Ces pages n’ont pas été rédigées à Baden », il avoue avoir « en vérité, (…) éprouvé bien du mal à quitter Baden. »

    Avez-vous déjà fait l’expérience d’une cure thermale ? Cela m’est arrivé il y a longtemps. Le récit de Hermann Hesse m’en a rappelé certains aspects, agréables ou non. J’ai lu Le curiste avec grand plaisir : l’écrivain y a mis beaucoup de vie, de fine observation des autres et de lui-même, avec une bonne dose d’ironie qui incline à sourire. Se moquer de soi-même s’avère au fond assez reconstituant.

    * * *

    Merci beaucoup pour vos commentaires et vos visites en mon absence.
    Je vais les découvrir avec grand plaisir dès mes rangements terminés.
    A bientôt.

    Tania