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  • Un verger

    Verger

     

    tsvetaïeva,marina,insomnie et autres poèmes,poésie,littérature russe,culture,blok,akhmatovaPour ce martyre,
    Pour ce délire ;
    À ma vieillesse
    Donne un verger.

    Pour ma vieillesse
    Et ses détresses,
    Pour mon labeur –
    Années voûtées,

    Chiennes d’années,
    Années-brûlures :
    Donne un verger...
    Et la fraîcheur

    De sa verdure
    À l’évadé :
    Sans – voisinage,
    Sans – nul visage !

    Sans – nul railleur !
    Sans – nul rôdeur !
    Sans – œil voleur !
    Sans – œil violeur

    Sur le qui-vive
    Sans puanteur !
    Sans bruit de cœur !
    Sans âme vive !

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    Dis : assez souffert – tiens, voilà!
       Prends ce verger – seul comme toi.
     (Mais surtout, Toi, n’y reste pas!)
         Prends ce verger – seul comme moi.

    De ce verger, fais-moi cadeau...
    – Ce verger ? Ou bien –  I’Ici-haut ?
         Fais-m’en cadeau en fin de route –
    Pour que mon âme soit absoute.

    (1er octobre 1934)

    Marina Tsvetaïeva, Insomnie et autres poèmes

  • Poèmes d'Insomnie

    « Tsvetaïeva-poète était identique à Tsvetaïeva-personne ; entre la parole et l’acte, entre l’art et l’existence, il n’existait pour elle ni de virgule ni même de tiret : Tsvetaïeva posait là le signe égal. » (Joseph Brodsky, Loin de Byzance) C’est le poète et dramaturge Zéno Bianu qui le cite à l’ouverture d’Insomnie et autres poèmes dans la collection Poésie/Gallimard.

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    Portrait de Marina Tsvetaïeva par Magda Nachman (1913)

    Une vingtaine de traducteurs ont travaillé pour ce complément du recueil précédent, Le ciel brûle, suivi de Tentative de jalousie, commenté ici il y a peu. Zéno Bianu présente la poésie de Tsvetaïeva en ces termes : « Une œuvre universelle, c’est celle qui traduite dans une autre langue et dans la langue d’une autre époque – ne perd presque rien et même rien du tout. Ayant tout donné à sa contrée et à son époque, elle donne encore à toutes les contrées et à toutes les époques. »

    Tsvetaïeva (1892-1941) aimait rendre hommage aux poètes qu’elle admirait. « L’amie », la première partie du recueil, regroupe des poèmes inspirés par sa passion tumultueuse, de 1914 à 1916,  pour Sophia Parnok (1885-1933), des poèmes sur Moscou et Poèmes à Blok (1880-1921) dont voici la première strophe :

    Ton nom – un oiseau dans la main,
    Ton nom – sur la langue un glaçon.
    Un seul mouvement de lèvres.
    Quatre lettres.
    La balle saisie au bond,
    Dans la gorge un grelot d’argent. [...]

    (15 avril 1916) 

    La deuxième partie, « Insomnie », commence par une douzaine de poèmes sur le thème de la nuit. Que ses vers, ses poèmes soient courts ou longs, Tsvetaïeva en affûte le rythme. « A Akhmatova » est dédié à l’autre grande poète de son siècle (1889-1966) et daté du 19 juin 1916, Moscou :

    Ô muse des pleurs, la plus belle des muses !
    Complice égarée de la nuit blanche où tu nais !
    Tu fais passer sur la Russie ta sombre tourmente
    Et ta plainte aiguë nous perce comme un trait.

    Nous nous écartons en gémissant et ce Ah !
    Par mille bouches te prête serment, Anna
    Akhmatova ! Ton nom qui n’est qu’un long soupir
    Tombe en cet immense abîme que rien ne nomme.

    A fouler la terre que tu foules, à marcher
    Sous le même ciel, nous portons une couronne !
    Et celui que tu blesses à mort dans ta course
    Se couche immortel sur son lit de mort.

    Ma ville résonne, les coupoles scintillent,
    Un aveugle errant passe en louant le Sauveur…
    Et moi je t’offre ma ville où les cloches sonnent,
    Akhmatova, et je te donne aussi mon cœur.

    Avant d’autres poèmes repris sous le titre « Après la Russie », composés à Berlin et à Prague, voici, dans « Insomnie » encore, trois textes courts de l’été 1918, choisis dans une série thématique où Marina Tsvetaïeva écrit sur l’inspiration, le travail poétique. Sa prédilection pour l’oral y est manifeste. A lire, à dire, à écouter.

    J’ai dit. Un autre l’a entendu
    Doucement l’a redit. Le troisième l’a compris.
    Avec son gros bâton de chêne, le quatrième est parti
    Dans la nuit, accomplir un exploit,
    Et le monde en a fait sa chanson.
    J’avance avec aux lèvres cette chanson,
    Au-devant de la mort, ô ma vie !

    (6 juillet 1918)

     

    Je suis la page sous ta plume.
    Livre-moi tout. Page blanche,
    Je garde en moi ton bien
    Et te rends tout au centuple.

    Je suis la glèbe, la terre noire.
    Tu m’es le soleil et la pluie.
    Tu es le seigneur et le maître, moi
    Le terreau noir, la feuille blanche.

    (10 juillet 1918)

     

    Les vers naissent comme les étoiles et les roses,
    Comme la beauté dont la famille ne veut pas,
    Et aux couronnes et aux apothéoses –
    Une seule réponse : mais d’où me vient cela ?

    Nous dormons – et à travers les dalles de pierre,
    De l’hôte céleste percent les quatre pétales.
    Sache-le, ô monde ! Le poète découvre dans ses rêves
    La formule de la fleur et la loi de l’étoile.

    (14 août 1918)