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La petite Arabe

  • Mal dans sa peau

    La petite Arabe, roman d’Alicia Erian (2005), vient d’être adapté au cinéma par Alan Ball, le réalisateur d’American Beauty,. On y découvre comme dans ce film inoubliable des tensions familiales exacerbées, l’obsession du sexe, beaucoup de non-dit entre personnages de la classe moyenne américaine.

    Jasira, treize ans, raconte son histoire : « Parce que je plaisais trop à son petit ami, ma mère m’a envoyée habiter avec papa. » Il y a huit ans que sa mère (d’origine irlandaise) a divorcé d’avec son père (d’origine libanaise) chez qui elle doit passer un mois tous les étés, bon gré mal gré. Mais l’intérêt que porte Barry, le petit ami en question, au développement physique précoce de l’adolescente a exaspéré sa mère, qui l’envoie vivre à Houston. Rifat, qui gagne bien sa vie à la NASA, est un père autoritaire et violent. Le premier matin, lorsque Jasira vient déjeuner en tee-shirt et culotte, il lui flanque d’emblée une gifle et l’envoie s’habiller. Ils emménagent dans un nouveau lotissement, où  le premier contact avec leurs voisins, les Vuoso et Zack, leur fils de dix ans, est un peu tendu. Les Irakiens viennent d’envahir le Koweït et Vuoso, militaire de réserve, préjuge à tort des sympathies de son voisin libanais pour Saddam. Les deux hommes rivalisent dès lors de patriotisme, arborant l’un et l’autre la bannière étoilée devant chez eux. Ambiance.

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    Un autre malentendu surgit entre Jasira et son père : celui-ci veut profiter de la piscine du lotissement, mais elle n’ose pas s’y montrer, sa mère lui ayant interdit de se raser entre les jambes. Son père, quand il la découvre en maillot, trouve qu’elle « déborde de partout » et lui ordonne à nouveau de se rhabiller. En revanche, les voisins l’engagent pour garder Zack après l’école, ce qui rend le garçon furieux. C’est chez eux que Jasira découvre la revue Playboy que Zack emprunte régulièrement à son père. Quand elle tâche de l’en dissuader, il la traite « d’enturbannée ». Le père de Jasira est chrétien, « comme tout le monde au Texas », mais cela n’empêche pas le racisme ordinaire.

    Quand viennent ses premières règles, Jasira téléphone à sa mère, qui lui dit d’en parler à son père. Celui-ci l’emmène au drugstore et lui interdit les tampons hygiéniques avant le mariage, sans explication. L’adolescente, une fois de plus, est livrée à elle-même et c’est son drame. Personne à qui se confier, à qui poser ouvertement ses questions, pas de paroles réconfortantes, pas de gestes attentionnés. Alors Jasira se débrouille et fait les choses en cachette. Chez les voisins, elle aussi se réfugie dans l’univers de Playboy, y prend du plaisir, et vole des tampons dans la salle de bain de Mme Vuoso.

    Cette gamine mal dans sa peau n’a de relation vraie avec personne et sera bientôt la proie des hommes, jeunes ou adultes, pour peu qu’ils lui manifestent de l’intérêt, surtout sexuel. Melina, une nouvelle voisine qui est enceinte, s’attache à elle et lui vient discrètement en aide. Chez elle, Jasira découvre une autre sorte de gens, qui expliquent leurs principes, se parlent et ont des gestes affectueux. Mais la sympathique voisine ne se doute pas des situations extrêmes où Jasira s’enfonce. Ni sa mère, trop préoccupée de sa propre vie sentimentale, ni son père, dépassé par cette fille rétive à l’éducation stricte qu’il veut lui imposer et surtout soucieux de sa propre réputation, ne devinent la vie cachée de Jasira qui n’a trouvé qu’une solution : dissimuler. Le manuel d’éducation sexuelle pour adolescents que lui a offert Melina à Noël, tout en le conservant chez elle pour ne pas que Jasira en soit privée, lui fournit de temps à autre une clé pour résoudre les problèmes qui se posent à elle. « Le livre expliquait que ce n’était pas ma faute, que j’étais un être humain, pas une plante, et qu’on pouvait donc comprendre que mon corps ait réagi de cette façon. »

    Alicia Erian rend crûment la solitude extrême de son héroïne aux prises à la fois avec un corps qui change, des parents égocentriques, le racisme, les interdits. Seule Melina regarde Jasira non comme « la petite Arabe », mais comme une adolescente en grande difficulté. Ce sera sa chance, malgré ses malheurs.